#9-La Fauteuse du mois : la comtesse Erzébeth Bathory

15 octobre 2011
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Portrait d'Erzébeth Bathory

S’il est une Fauteuse qui semble insaisissable, jusque dans ce qui la définit comme fauteuse, c’est bien la comtesse Bathory. Plus qu’une femme réelle, Erzébeth est un mythe voire l’origine d’un mythe, celui des vampires. En effet, avant elle, les vampires sont des figures peu répandues dans les croyances populaires comme en littérature, au contraire du loup-garou qui apparaît, par exemple, dès l’Antiquité dans le Satyricon de Pétrone. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que les vampires trouvent leur place dans l’imaginaire collectif, imaginaire qui s’est d’abord constitué dans les pays d’Europe de l’Est. Et c’est bien de là qu’est originaire la comtesse Bathory.

De la cruauté érotique…

Née en 1560, appartenant à la haute aristocratie hongroise, elle reste tristement célèbre pour son procès. Elle fut en effet accusée de plusieurs meurtres, tortures et actes de barbarie sur des jeunes filles. On raconte que de jeunes paysannes comme de jeunes nobles sont enlevées pour assouvir sa cruauté. On raconte qu’elle leur enfonçait des aiguilles, les laissait mourir de froid, nues dans la neige, leur brûlaient les parties génitales. On raconte. Son procès, qui a lieu de 1610 à 1611, se base en effet sur de multiples témoignages qui, s’ils ont contribué à sa légende, sont remis en cause par les historiens modernes. La torture, fort en vogue à l’époque, aurait été très utile pour arracher ces témoignages. Mais la légende court, et enfle, et dépasse l’Histoire. On raconte qu’elle se baignait dans le sang de ces victimes pour conserver sa beauté et sa jeunesse : de cela, nulle trace dans les procès-verbaux. Elle est condamnée à être enfermée dans son château et y meurt en 1614. Mais ce n’est que le début de la légende de celle qu’on surnommera la Comtesse sanglante. Un jésuite hongrois, László Turóczi, lui consacre en 1729 un passage de ses Histoires tragiques et contribue à renforcer les rumeurs de beauté perdue, de vanité féminine et de bains sanglants. La violence féminine semble devoir nécessairement être justifiée par des raisons appartenant à la nature de la femme, forcément coquette forcément obsédée par son apparence. Plus tard, au XIXe, à l’époque où Krafft-Ebing s’intéresse de près aux perversions sexuelles, les actes de la comtesse sont expliquées par un penchant sadique. C’est d’ailleurs largement la figure sous laquelle Valentine Penrose évoque Erzébeth dans son passionnant et glaçant ouvrage, La Comtesse sanglante : mi-roman mi-essai documentaire, ce livre est une rencontre avec la cruauté sexuelle d’Erzébeth, avec un personnage qui tient du roman noir et de la nouvelle fantastisco-érotique.

à l’insupportable liberté

Les fautes de la comtesse sont ainsi bien plus que des fautes : ce sont des actes condamnables, réprouvés par la morale, la justice, la société. Mais elle ne serait pas notre fauteuse du mois si elle était uniquement une des premières tueuses en série… Cultivée, se mêlant de politique, c’est son indépendance qui, pour certains, est à l’origine de son procès et des accusations dont elle fut victime. L’historien hongrois, László Nagy, penche pour la thèse de la conspiration, qui aurait permis d’évincer Erzébeth qui voulait soutenir son cousin contre les Habsbourg. De même, Jacques Sirgent, qui a publié en 2010 Erzsébet Bathory : Le Sang des innocentes, envisage l’hypothèse d’un procès qui aurait en fait reflété la volonté de soumettre une femme un peu trop indépendante. L’impossibilité de trancher entre ces deux hypothèses est tout ce qui fait la séduction de ce personnage et c’est également le parti pris du film réalisé par Julie Delpy en 2010 et intitulé La Comtesse. La réalisatrice incarne également Erzébeth et si le film a des défauts – l’hypothèse de la déception amoureuse, qui ne fait qu’ajouter une trame un peu consensuelle, la narration très académique – il saisit avec justesse l’angoisse du temps qui passe, l’impossibilité de la retenir, la folie qui gagne la comtesse dans la recherche de sa beauté, en même temps qu’elle s’impose et tient tête aux hommes qui l’entourent.

Violence, sexe, sang, liberté. Erzébeth Bathory fascine et cristallise les angoisses, les peurs, les fantasmes, les désirs des époques que son mythe traverse. Femme vaniteuse pour le XVIIIe, femme perverse pour le XIXe, femme libre pour le XXe, chaque période de l’Histoire interprète la légende de la comtesse sanglante selon l’évolution de la femme dans la société, mais aussi selon l’émergence de nouvelles esthétiques et de nouvelles morales.

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