#9-L’amour au temps des règles

15 octobre 2011
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Cette nuit il a plu du vin
Je le sais il n’y a pas moyen d’empêcher les roses de parler

Paul Claudel, Cent phrases pour éventail

Ni frayeur, ni fétiche, l’occurrence des règles chez les femmes que je connus ne m’indisposa jamais. Elle ne m’excita pas non plus. Mon seul critère alors pour faire l’amour, ce furent les dispositions dans lesquelles se retrouvait la femme surprise par ses règles ou les ayant depuis quelques jours. La mauvaise foi masculine porte souvent les hommes à considérer les règles comme un facteur de mauvaise humeur chez les femmes et, par là, d’indisponibilité sexuelle. Pour ma part, je n’ai pas connu de femme que ce phénomène rendît indisposée ou indisponible. Les mufles devraient y regarder de plus près : la sécrétion de cyprine inhibe l’écoulement du sang. Une femme qui a ses règles peut ressentir du désir, éprouver de l’excitation et prendre du plaisir. Son état n’est pas anormal, ni pathologique, –pas davantage que plus tard ne le sera sa grossesse. Mais ce passage du cycle menstruel demandera de notre part, plus encore qu’habituellement, de l’attention, de la tendresse et, surtout, la ferme intention de s’en remettre à son désir à elle. Seule la femme ayant ses règles peut décider de l’amour au temps des règles.

À l’opposé de la goujaterie que tant de mâles ont en partage, j’en distingue parmi nous certains pour qui les règles sont un défi ou une fascination. Je me souviens ainsi de ce beau film sur une passion que je vis encore étudiant, film fort, film de femme justement, Si je t’aime, prends garde à toi, de Jeanne Labrune (1998). Une scène d’amour nous montre l’amant attirer à lui l’amante avec violence. Celle-ci résiste et invoque le motif de ses règles. Et lui, dont l’ardeur virile précisément redouble, de répondre avec sécheresse : « J’ai pas peur du sang ! » Je vois dans cette exacerbation par les règles du désir violent de l’homme une résurgence du mythe de Siegfried se baignant dans le sang du dragon. Pénétrer la femme qui a ses règles, sentir son sang sur soi, le voir sur son sexe quand on le retire du sien, c’est vivre l’expérience, je crois, de cette petite immortalité dans la petite mort. C’est la seule occasion qu’un homme, après sa mise au monde, aura de toucher au sang d’une femme. Il vint avec le sang de sa mère ; il vient dans le sang de l’amante.

Sans doute le deuxième cas de figure est-il plus déroutant. Il s’agit de Jules Michelet, notre grand prosateur de l’histoire de France. J’invite à ce titre les lecteurs de ces lignes à se reporter à la si belle biographie que Barthes lui consacra, biographie par fragments, parue au Seuil en 1954. En effet, il y est longuement expliqué que Michelet éprouvait pour les règles une attirance fétichiste et qu’il pouvait passer des heures à observer le sexe de sa jeune épouse quand survenaient ses menstrues. Je parle de fétichisme et j’ai tort. Là où d’autres éprouvent de l’excitation et même du plaisir grâce au pied d’une femme, à ses seins ou à sa chevelure, Michelet se cantonne à la fascination, s’en tient à la pétrification. Le spectacle du sang qui s’épanche sans blessure de ce sexe vivant, tantôt clair et tantôt foncé, parfois en filet et parfois en abondance, c’est le cycle de la vie, à la fois vue comme expulsion et comme régénération. Pour l’historien, c’est donc probablement le symbole de l’histoire même que ce sang menstruel. Et faire face à la vulve ensanglantée, ne serait-ce pas alors, comme Persée, regarder ce qui s’épand de la gorge tranchée de Méduse ? On sait quelle part immense la décapitation occupe dans l’imaginaire de Michelet qui, né en 1798, fit de la Révolution la fin et le commencement de toute chose, à l’instar de ces règles qui marquent – ô fatal compte – la disparition d’un ovule et l’imminence d’un nouveau.

Aussi la femme est-elle par ses règles révolutionnaire. Lorsque, pour quelques mois, la révolution en elle cessera, cela correspondra finalement au temps de sa maternité. Sur cette femme et sur cet amour au temps de la grossesse puis de la maternité, je ne peux encore rien écrire. Mais comme la précédente, j’ai hâte d’aimer aussi cette femme-là.

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