#8-De la folie vantée aux enfants

15 septembre 2011
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Comment voulez-vous que les enfants écoutent leurs parents, puisque Tarzan vit à moitié nu, Cendrillon rentre à minuit, Pinochio passe son temps à mentir, Aladin est le roi des voleurs, Batman conduit à 320km/h, Blanche Neige vit avec 7 mecs. Faut pas s’étonner si les enfants font des conneries.

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On sait que tout est faux, mais on veut que ce soit vrai…

C’est en regardant le film d’animation Dragons que je me suis rendue compte de l’importance des dessins animés sur notre psychologie. Il y a une incohérence évidente entre ce que l’on désigne pour nous comme modèles quand nous sommes enfants et ce que l’on attend de nous dans la vraie vie. Que les dessins animés nous programment pour attendre le prince charmant (ce crétin) et nous condamnent au bonheur à condition d’avoir « plein d’enfants » ça, tout le monde le sait. Et pourtant, qui d’entre nous pourrait se défendre de ne pas apprécier au moins une des comédies romantiques girly qui pullulent sur les écrans ? Cela étant, ce que nous envoient les contes de fées est bien conforme à ce que la vie d’adulte, la vie moderne veut de nous : un régime matriarcal, des enfants pour payer la retraite des plus âgés et assurer la pérennité de l’espèce humaine. D’accord, les contes de fées enjolivent un peu la chose et refusent de nous parler du chômage potentiel du joli prince bac + 9 et des séances esthéticienne nécessaires pour que la princesse ne ressemble pas à la fée Carabosse aux jambes poilues. Mais quand même, on reste dans une vision cohérente du bonheur domestique et adulte….

Ce dont on nous parle moins, et sans doute parce que nous en avons moins conscience, c’est du modèle de héros que les dessins animés, les comptines ou les romans jeunesse véhiculent. Des « modèles » qui sont aux antipodes de ce que l’on voudrait pour nos enfants, qui sont à l’opposé même des préceptes de toute éducation digne de ce nom. Des héros qui sont complètement fous, à l’image de cet éléphant se balançant sur une toile d’araignée qu’il a sans nul doute au plafond.

« Une petite flamme de folie, si l’on savait comme la vie s’en éclaire » Henry de Montherlant, Malesta.

Bien sûr, l’enfant sait déjà faire la différence entre monde imaginaire et réalité, mais il restera toujours quelque part dans l’inconscient une trace de ces personnages qui s’élèvent discrètement au rang d’idéal. Si l’on a tant de mal à se détacher de notre image du bonheur à la « Belle au bois dormant »; on conviendra qu’un enfant aussi aura du mal à se détacher du monde des fous et du « tout est possible ». C’était d’ailleurs le propos même de ce film surprenant, Le secret de Terabithia : deux enfants trouvent refuge dans un monde imaginaire qui les sauve d’une réalité trop douloureuse. Entraîné dans la « folie douce » de sa voisine, Jess vit mieux désormais sa différence. Mais Leslie choisit pour de bon le monde du rêve. Peut-être que mon point de vue sur le sujet est assez extrême, à l’image de ce film, mais on ne peut que s’interroger sur les syndromes qui empruntent leur nom à un personnage imaginaire comme Peter Pan ou à un personnage de fou, comme Hamlet, qui, avant que Freud ne pense à œdipe, était le personnage qui a inspiré le psychanalyste.

La folie comme parcours initiatique

Prenons Alice (aux pays des merveilles). Passons sur le fait même d’imaginer qu’au fond d’un puits on puisse trouver un monde merveilleux (et après on s’étonnera que les enfants puissent s’y jeter pour la rejoindre) et que l’on puisse suivre un lapin fou qui parle. Et prenons la version du conte selon Tim Burton. Alice est sur le point de se marier à un très beau parti. Enfin, financièrement, parce que, d’un point de vue esthétique, on ne saura trop dire. Après un second voyage dans ce monde merveilleux qu’elle a connu étant enfant, elle décide de désobéir et de refuser le mariage. A qui désobéit-elle ? A sa chère Môman.

Quelque part, ce n’est pas en soi très novateur et l’on retrouve ici le parfait schéma œdipien, tuer la mère (ou le père) pour conquérir son identité. Il n’est pas évident que les enfants adhéreront à ce message, et il n’est pas même souhaitable qu’un enfant adhère à ce message à six ans. Sinon, on en viendrait à ce genre de dialogue sympathique à la table du dimanche «  maman, je ne mangerai pas d’épinards car cela va à l’encontre de mes choix identitaires ». On serait bien dans la mouise. Mais, dans le petit cerveau de cet enfant, la graine a germé et s’épanouira quand l’enfant sera adulte.

« Qui vit sans folie n’est pas si sage qu’il croit », La Rochefoucault.

Dans le cas d’Alice, on reste dans un schéma tout à fait censé, puisqu’il s’agit avant tout de refuser un mariage « forcé ». Ce qui l’est moins c’est d’avoir choisi une héroïne qui à chaque instant semble atteinte de folie : par ce qu’elle voit, par ce qu’elle croit et par ce qu’elle subit. Et quand elle fait le pari de croire en ce qu’elle voit, elle fait le pari de ne pas être folle, mais l’est aux yeux de ses proches quand elle « remonte » du puits où elle avait glissé.

De nombreux commentateurs pensent voir en les métamorphoses d’Alice (qui rapetisse, grandit à l’excès) le morcellement d’un moi qui se déforme et se cherche. A la fin de son grand parcours initiatique dans ce monde de la folie, Alice sait quelle décision elle doit prendre, une décision dictée par un monde qui ne répond pas aux conventions du sien, un monde où règne justement la folie. Une décision dictée par l’enfant qu’elle a été. La « folie » d’Alice, c’est donc bien de renouer avec ses rêves d’enfant, sa vision qu’elle avait d’elle-même, enfant.

La folie qui brave les interdits

Dans le cas du personnage de Dragons, les choses sont un peu différentes. Le héros est un petit viking qui, physiquement, ne fait pas le poids, et qui, moralement n’aime pas tuer. Cela étant, il aimerait se conformer à ce que la société des vikings attend de lui. Il a bien tenté de mettre au point une machine à assassiner un dragon, puisque ce serait la seule façon pour lui de forcer le respect de son père, le grand chef du village, et de ses amis. Mais quand il est sur le point d’atteindre son but, alors qu’il a pris au piège le plus terrible de tous les dragons, il lui sauve la vie. Notre ami viking fait alors un pari fou et complètement stupide si on en reste à nos considération pragmatiques : il tente d’apprivoiser le dragon. Il enfreint alors plusieurs règles de l’éducation que tout parent tente d’inculquer à son enfant : il ne faut pas approcher un animal qu’on ne connaît pas, il ne faut pas tenter de toucher un animal en train de manger, ce que fait le gentil viking, il ne faut pas approcher sa main des flammes (c’est ce qu’il y a dans la gueule de tout dragon qui se respecte), il ne faut pas sortir de chez soi sans la permission de ses parents, ni sortir de chez soi la nuit sans l’autorisation de ses parents. Ajoutons à cela le fait que le gentil viking chevauche le dragon pour s’envoler au-dessus de la mer (aleeeeeeeeerte !), je ne vois pas bien ce que nous pourrions, en tant que parents, cautionner ici. Et pourtant, c’est LUI, le héros.

La folie : le courage d’être soi

On ne pourrait dénombrer les personnages d’histoires pour enfants qui commettent des actes fous et dangereux comme s’asseoir sur un poêle alors qu’on est constitué de neige (Prévert), se battre avec des longues épées (Narnia) s’approcher d’animaux dangereux (Yorek l’ours polaire dans La boussole d’or). Mais ce n’est pas la mort qui attend tous ces valeureux personnages. Non. Tels les chevaliers médiévaux, ce qu’ils obtiennent, au bout de leur aventure, c’est de s’atteindre eux-mêmes, c’est de gagner leur identité, de la conquérir comme on révèle au prix de nombreux combats son nom au beau Lancelot. Harold ne peut pas être un viking tueur de dragons, mais il devient bien le héros des dragons et des vikings en tuant celui qui finalement était à l’origine de cette guerre séculaire. Il devient LUI, Harold, et tout le village apprend à l’aimer pour ce qu’il est. Alice vu par Tim Burton est une héroïne féministe engagée, qui par son choix complètement fou (sa mère la traite justement de folle et lui demande si elle a perdu la tête) s’affranchit de toute convention sociale pour diriger seule sa vie. Que retiendront nos enfants de tout cela ? Que c’est en faisant des choix audacieux et en croyant en soi, en sachant faire ses propres choix qui iront peut-être à l’encontre de notre éducation, mais en les faisant pour et par nous-mêmes, que nous atteindrons le bonheur.

« Il faut toujours un coup de folie pour bâtir un destin » Marguerite Yourcenar

Choisir ce qui ne va pas de soi, ce qui est un défi et apparaît comme un pari fou, c’est un acte de courage. Nous, adultes, nous apprécions toujours ces récits, nous en avons une sorte de nostalgie et nous tendons toujours vers ce monde merveilleux de l’enfance qui est en quelque sorte, l’instant de notre vie où le champ des possibles est le plus étendu. Notre esprit ne se heurte plus aux barrières du conformisme. Et nous encourageons nos enfants à travers ces dessins animés à s’affranchir de ce qui, pour les autres est « bien » « bon » et « juste ». Quant aux enfants raisonnables et sensés, ils sont souvent ridiculisés, leur manque de folie est un défaut et les rend antipathiques à l’instar du cousin des enfants de Narnia dans le quatrième volet de leurs aventures, au cinéma.

Quand le petit devient grand : faire taire la folle audace

Et pourtant, quand nos enfants sont des adolescents, on s’étonne. On s’étonne qu’ils veuillent tenter des choses qui nous semblent impossibles comme une carrière de peintre alors qu’on ne compte peintre dans la famille mais que l’on admet qu’un rat peut devenir chef-cuisinier, on s’étonne qu’ils veuillent partir faire le tour de l’Europe à pied alors qu’on les a bassiné avec le tour du monde en 80 jours, on s’étonne qu’ils écoutent du rock alternatif quand la maison est remplie de classique à la Vivaldi. On s’étonne que, bien que la maison soit tapissée de livres jusqu’au plafond, ils préfèrent jouer au basket. On s’étonne que nos adolescents n’aient pas de perception très claire de la réalité et ne voit pas la relation de cause à effet entre entraînement et réussite (« mais Môman, Arthur il était tout petit et il a sorti l’épée d’un coup, comme ça ! »). On voudrait des adolescents obéissants, responsables et raisonnables, alors que pendant toute leur enfance on les a préservés de cette réalité. On leur a fait croire que tout était possible, même de chevaucher un ours polaire alcoolique, qui, parce qu’il est ami avec une petite fille est guéri… Allez faire comprendre après ça que l’alcool est dangereux ! Parce qu’ils ont maintenant 12-13 ans, nos enfants doivent renoncer à tous leurs rêves car le merveilleux leur est désormais interdit. D’accord, les fées n’existent pas, d’accord, les lutins ne mènent pas leurs amis humains vers un fabuleux trésor au pied d’un arc-en-ciel, d’accord. Bien sûr que pour réussir dans la vie il faut avoir le sens de la réalité, et faire les bons choix, en connaissance de cause, arrêter de rêver… Mais nous, si nous sommes si nostalgiques de tout cela, n’est-ce pas parce que nous avons renoncé un peu trop tôt, un peu à trop de choses ?

Soyons fous : croyons en nos rêves !

Ce qui fait de Harold un héros, ce n’est pas tant qu’il ait apprivoisé un dragon, c’est surtout, qu’en le faisant, il a appris à connaître ce dragon, métaphore symbolique de l’Autre, du différent, et qu’en le faisant il a su aller au-delà des apparences, au-delà de ce que les autres nommaient la réalité et la connaissance, la sagesse donc. Il a découvert que cette sagesse n’était en fait fondée que sur des erreurs d’interprétation et a ainsi mis en évidence qu’il y a toujours deux versants des choses. Pour nous, parents d’ados, il est peut-être fou de vouloir devenir slameur professionnel comme Barcella, avec un 5 en bac français. Mais pour notre adolescent, la folie, ce serait sans doute d’y renoncer. Et le nouveau poète-musicien de conclure lors de ses concerts «  tu vois maman, j’ai gagné ». Alice et Harold ont été assez fous pour croire en eux. Et ils ont réussi, ils ont remporté le pari. Continuons de vanter la folie aux enfants, et félicitons-nous que nos adolescents nous désobéissent de temps en temps, quand cela est nécessaire pour atteindre leurs rêves. La folie quelquefois, c’est la sagesse. Et la sagesse, c’est cette folie, c’est le choix de devenir soi-même, envers et contre le bon sens, qui n’est souvent qu’ignorance.

«  Il n’y a point de génie sans un grain de folie » Aristote, Poétique.

(1) Barcella, «  Obligatoire au bac », La boîte à musiques, 2008.

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One Response to #8-De la folie vantée aux enfants

  1. Lucie
    17 septembre 2011 at 19 h 09 min

    Mais t’es mormone ou quoi ?

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