#8-Folie post mortem : le cimetière chinois de Manille

15 septembre 2011
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Dans la capitale des Philippines, c’est un moment à ne pas rater : une visite guidée dans le cimetière chinois de Manille. A peine commence-t-on à déambuler dans les allées et à sortir son appareil photos qu’on est rejoint par un petit homme à vélo qui prend des airs de conspirateur… Attention, prévient-il, on ne peut pas prendre de photos comme ça, les familles seraient choquées. Soit. On remballe l’APN, donc. Mais il poursuit : « Enfin, si vous voulez, je peux vous faire visiter, et je pourrai vous dire quand vous pouvez prendre des photos sans problème. C’est un cimetière unique, et très intéressant, je le connais très bien, je suis né dedans ! » Brrr. Il est plutôt sympathique et engageant, en même temps, ce monsieur d’un certain âge, et il finit par nous convaincre, excitant notre curiosité par des promesses de Maison blanche et de Mulloland drive.

C’est partie pour un tour de folies terrestres et célestes… C’est un cimetière pour riches, on le comprend très vite. Chaque caveau a la taille d’une maison, mais pas que. Le minimum pour rester dans le coup, c’est une cuisine et des toilettes. Et si. Au cas où. Au cas où quoi, on ne sait pas bien, mais bon, à nous de faire preuve d’imagination. Ensuite, chacun y va de sa petite touche déco, de son idée originale : petit salon, balcons, lustre en cristal… On apprécie la délicate attention de la boîte aux lettres, par exemple, pour des messages angéliques.

Notre guide nous mène alors vers une des merveilles de son programme : The White House. C’est indéniablement sa fierté : un caveau immense, une maison avec un étage à l’architecture moderne, qui possède bien sûr tout le confort. Sols entièrement marbrés, télévision, air conditionné, rien ne manque. Pensée rapide aux millions de Philippins qui vivent dans la misère la plus noire quand on nous annonce fièrement que la tombe vaut cinq millions de pesos… (soit plus de 85000€, alors que le salaire moyen est à moins de 300€). Cette tombe jouit d’un emplacement de choix, bien sûr, et voisine avec la plus ancienne du cimetière, beaucoup plus simple à première vue mais qui révèle tout de même que l’originalité ici est un mot d’ordre : une tombe tortue, majestueuse, construite il y a quelques deux cents ans.

Le périple continue, toujours haut en couleurs : nous traversons « Mulloland drive », et c’est vrai qu’on a sérieusement commencé à oublier qu’on est dans un cimetière… Rue goudronnée avec ligne blanche en pointillé, bordée de caveaux avec jardins, fils et poteaux électriques (ben oui, la clim, elle marche pas aux prières !)… Mais les tombes surplombées des portraits des morts, toujours bien visibles par la grille, rappellent à l’ordre. Dans une autre catégorie, notre guide nous présente « Alcatraz », soit une minuscule allée où se font face des dizaines de grilles. On est obligé de reconnaître que la perspective est troublante ! Pauvres morts pas assez riches pour être dans les bons quartiers…

Dans cette concentration de bizarreries, une longue avenue serre le cœur : « Baby lane ». Les enfants morts ne partagent pas les tombes familiales. C’est comme ça. Ils ont donc un quartier réservé dans le cimetière, et reposent dans de petites tombes les uns sur les autres, avec une parcimonie qui laisse perplexe dans un tel contexte.

Enfin, c’est le clou du spectacle : on est conduit auprès d’une très grande tombe, avec petit jardinet, piscine gonflable et… enfants bel et bien vivants qui y barbotent ! C’est que dans cette famille, les vivants vivent avec leurs morts. Dans leur tombe, quoi. Comment ça, ça ne se fait pas ? Il y a une autre famille (vivante) un peu plus loin dans le cimetière. Celle-là n’a pas la piscine, mais une télé qui fonctionne à tue-tête, et un chien (pour prévenir de l’arrivée des morts ?). Plus on est de fous…

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