#7 « Et toi, quand est-ce que tu t’y mets ? » Entretien avec les auteurs

15 mai 2011
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Le sujet ? Jeanne, trentenaire épanouie, ne veut pas d’enfants. Et alors ? Et alors, ça dérange à peu près tout le monde autour d’elle…

Sous des apparences de BD humoristique, les deux auteurs abordent un vrai sujet, profond, intime et dérangeant. On sourit, on rit bien sûr, mais pas que. Les deux femmes mettent le doigt sur un point sensible. Et, finalement, qu’on ait des enfants, qu’on en veuille ou non, ou – pire ? – qu’on hésite, ce livre touche.

Rencontre avec les auteurs de ce petit bijou d’intelligence et de drôlerie.

« À chaque fois que je parlais de ce sujet, je sentais bien que c’était quelque chose de compliqué, tabou, un peu agressif, que j’avais du mal à faire passer. »

Marguerite Tournesol : Rose et bleu, c’est le côté layette ou l’éternel fille/garçon ?

Madeleine Martin

Madeleine Martin : Le rose, c’est pour le côté féminin, femme enceinte. Et le bleu, c’est parce que c’est une bonne couleur complémentaire. C’est aussi con que ça. Je voulais un camaïeu et le rose est une couleur qui s’y prête assez bien. Elle est chaleureuse, douce, elle convient effectivement à la femme enceinte. Le orange, c’est tout de suite taxé 70 rétro ; le bleu, c’est froid ; le vert, c’est moche…
Véronique Cazot : Oui, mais – enfin, je l’ai aussi ressenti comme ça – ça montre aussi qu’on prête un petit peu à Jeanne, l’héroïne, des intentions d’homme, puisqu’elle n’a pas une envie de femme. On dit que les femmes qui ne veulent pas d’enfant ne sont pas vraiment des femmes, etc. Et je pense que, du coup, ça montre très bien ça aussi.

Marguerite : Le dessin est léger, mais le sujet est assez grave finalement. Vous avez envisagé cela dès le départ comme un équilibre ou est-ce quelque chose qui est apparu au fil de votre travail ?

Véronique Cazot

Véronique : C’est totalement voulu. À chaque fois que je parlais de ce sujet, je sentais bien que c’était quelque chose de compliqué, tabou, un peu agressif, que j’avais du mal à faire passer, en tout cas en version film. Et quand j’ai commencé à l’écrire en BD, je me suis dit que cette forme était idéale pour en parler et que, pour compenser le côté tabou, il fallait un dessin super léger, très frais, avec beaucoup d’humour et de délicatesse pour faire passer le message très en douceur. Quand j’ai trouvé le dessin de Madeleine, je me suis dit que c’était exactement ce qu’il fallait.

« On peut être heureuse et avoir une vie marrante quand on n’a pas d’enfant. Ce n’est pas forcément dramatique. »

Marguerite : Sous des dehors de BD humoristique, donc, on touche à une question plus profonde. Aviez-vous cette volonté de traiter un sujet difficile ?

Madeleine : L’humour, c’est un des meilleurs vecteurs pour faire passer un message. L’humour, la tendresse qu’il y a dans l’album, c’était le meilleur moyen de la rendre sympathique. Mais c’est aussi un message de tolérance. Il faut tolérer son choix. C’est intéressant de la présenter humainement, et de manière légère.
Véronique : C’est vrai que c’est une question profonde et une question très intime, mais ce n’est pas forcément grave. Dans le sens où ce n’est pas forcément grave de ne pas vouloir d’enfant. Dans ce qui se dégage de la BD, ça montre aussi qu’on peut être heureuse et avoir une vie marrante quand on n’a pas d’enfant. Ce n’est pas forcément dramatique.

« Les femmes qui ne comprennent pas que tu ne veuilles pas d’enfant sont souvent plus agressives que les hommes qui ne le comprennent pas non plus. »

Marguerite : Mais, quand on voit la BD, on se dit « on va me faire rire avec le sujet de la femme qui ne veut pas d’enfant ». Et je me demandais juste si votre point de départ, c’était faire rire ou traiter un sujet plus profond.

Madeleine : Ah oui. Non, l’humour est un vecteur et pas un but.
Véronique : Oui, oui. Rire des situations que ça peut engendrer, mais pas des femmes qui ne veulent pas d’enfant. Bon. Je me suis peut-être un tout petit peu moquée des femmes…
Madeleine : … qui en ont !
Véronique : Et qui veulent à tout prix te forcer à en vouloir et en avoir ! C’est ça, surtout.
Madeleine : Oh… un peu ! (Rires)

Marguerite : Justement, vous attaquez assez férocement les femmes qui ont des enfants et qui ne comprennent pas celles qui n’en ont pas, n’en veulent pas, n’en ont pas le désir. J’ai l’impression que vous voyez la maternité comme une pression exercée par les femmes sur les femmes. « Et toi, quand est-ce que tu t’y mets », c’est une parole de femme ?

Véronique : Il peut y avoir des hommes qui peuvent nous la poser, cette question, même quand on en veut d’ailleurs, hein ?
Madeleine : Oui.
Véronique : Mais c’est quand même un truc de femmes.
Madeleine : C’est plus dur à entendre de la part de femmes, parce qu’elles sont passées forcément par un questionnement, donc elles peuvent comprendre qu’on n’ait pas fait le choix d’en avoir. C’est peut-être ça aussi.

Marguerite : C’est donc plus dur qu’elles ne le comprennent pas ?

Madeleine : Ce n’est pas forcément dur. Mais on s’attend peut-être à plus de souplesse. Après, c’est exacerbé dans la BD, parce que ce sont des caricatures.
Véronique : Et aussi pour que ce soit plus drôle. Mais, franchement, on n’est pas si loin de la réalité que ça. En tout cas, pour le harcèlement – j’en ai eu tellement –, ça ne me paraît pas très exagéré. Et les femmes qui ne comprennent pas que tu ne veuilles pas d’enfant sont souvent plus agressives que les hommes qui ne le comprennent pas non plus. Parce que ça les touche profondément.

Marguerite : Parce qu’elles se sentent remises en question ?


Madeleine : Certainement.
Véronique : Exactement. Ça la renvoie à son propre choix et sa propre notion du bonheur. Elle peut penser que je conteste un peu son choix à elle. Alors que je ne conteste pas son choix, c’est juste que j’en ai un différent.

Marguerite : Tu ne contestes pas son bonheur.

Véronique : Non plus. Bon, je peux avoir des jugements personnels sur certaines situations. C’est vrai qu’il y a des femmes qui me paraissent mentir un peu sur leur épanouissement. Parce que c’est bien de dire que c’est merveilleux d’avoir un enfant. Et, parfois, elles ne reflètent pas ce bonheur-là, dont elles parlent. Bon, le bonheur, ça ne se voit pas forcément sur la figure des gens.

Marguerite : Vous sentez-vous plus entourées de femmes qui veulent des enfants que de femmes qui n’en veulent pas ?

Madeleine : Personnellement, oui, c’est un fait. Je suis même entourée de jeunes mamans. Je crois que c’est plus dur à vivre pour les gens qui hésitent, hommes comme femmes.
Véronique : Peut-être que, au fil du temps, connaissant ma position, j’arrive à m’entourer de femmes sans enfant, qui n’ont pas eu d’enfant ou qui n’en veulent pas, qui partagent mes idées. Mais surtout, il y a quelques années encore, j’étais entourée de femmes qui voulaient des enfants ou qui en avaient, et, maintenant, mes amies qui ont des enfants, ce sont des femmes qui ont aussi autre chose que leurs enfants dans leur vie et qui ne me parlent pas forcément de leurs enfants. Je ne fais même pas la différence entre une amie qui a des enfants et une qui n’en a pas, parce qu’avec la plupart de mes amies, on ne se pose pas la question, on ne parle pas des enfants. On peut en parler un peu, mais ce n’est pas le sujet unique.

Marguerite : Pensez-vous qu’il y a de plus en plus de femmes qui ne veulent pas d’enfant ?

Madeleine : En l’occurrence, en France, a priori, c’est l’inverse. Vu les sondages.
Véronique : Qui font des enfants ou qui veulent des enfants ? Ce n’est pas la même chose. Parce qu’il y a beaucoup de femmes qui ne veulent pas forcément d’enfant et qui finissent par céder à la pression.

Marguerite : Vous semblez justement redonner sa place à la femme qui ne veut pas d’enfant, pas seulement en tant que personnage sinon comique au moins un peu farfelu ou extravagant, mais comme quelqu’un à part entière, qui ne serait pas forcément bizarre.

Véronique : Eh bien si ça fait ça, c’est bien.
Madeleine : C’est ce que j’étais en train de me dire.
Véronique : C’était le but. La rendre très accessible. Elle a des passions. Je pense qu’on est obligé d’avoir des passions, peut-être, pour ne pas vouloir d’enfant et résister à cette pression.

Marguerite : Tu sous-entends que les gens qui ont des enfants n’ont pas de passion ?

Véronique : Non, pas du tout ! Par contre, pour ne pas avoir d’enfant et ne pas en avoir besoin et ne pas ressentir de manque d’enfant, je pense qu’il faut quand même avoir une vie un petit peu remplie et d’autres choses qui te nourrissent. Sinon, au bout d’un moment, les gens finissent par…
Madeleine : … se reproduire ! (Rires)
Véronique : … s’ennuyer et se dire « qu’est-ce que je pourrais faire les vingt prochaines années ? »

Marguerite : Oui, mais, est-ce que ce n’est pas valable pour tout le monde, indépendamment du fait d’avoir des enfants ou pas ?

Véronique : Oui, mais ce n’est pas le cas de tout le monde.
Madeleine : C’est sûr.
Véronique : Non, et puis je pense qu’il y a des gens qui… qui…

Marguerite : Qui ont des enfants pour s’occuper ?
Véronique : Absolument. Et puis surtout ils n’ont pas à se demander « il y a un truc qui me manque » ou « qu’est-ce que je pourrais faire de ma vie ». Ils s’accrochent à cette éducation. Ça peut les occuper, quand même.

Marguerite : On rencontre quand même beaucoup de parents qui sont débordés, qui n’ont plus le temps, qui regrettent telle activité qu’ils faisaient avant.

Véronique : Oui, mais si tu n’avais pas d’occupation avant ? Bien sûr, ça, c’est dans le meilleur des cas, pour les gens qui ont déjà su nourrir leur vie, sans enfant. Mais, pour certaines personnes, ça peut devenir toute leur vie. Parce que, justement, ils n’avaient pas eu d’envie particulière, avant. Et je pense que ceux-là ne comprennent pas du tout quand tu n’en veux pas.

« Essayer de contrecarrer la pensée unique. »


Marguerite : Dans votre album, vous démontez un à un tous les clichés qui poussent les femmes à faire des enfants, dans notre société. Est-ce que vous êtes plus dans une optique de convaincre les femmes de ne pas faire d’enfants ou dans celle de soutenir celles qui n’en veulent pas ?

Véronique : Notre but n’est pas du tout de convaincre qui que ce soit de ne pas faire d’enfant. Bien sûr. Mais, à la fois, d’essayer peut-être de faire en sorte que les autres les comprennent un tout petit peu plus et, aussi, surtout, que les femmes qui ne veulent pas d’enfant ou qui ne peuvent pas en avoir se sentent moins seules. Qu’il y ait quelque chose qui leur parle un peu et qui les dé-… euh…
Madeleine : …-culpabilise ?
Véronique : Oui. Déculpabilise, dédiabolise…
Madeleine : Moi, je n’ai pas changé d’avis en faisant l’album.
Véronique : D’ailleurs les femmes qui veulent des enfants n’ont pas changé d’avis à la lecture de l’album. Par contre, il y a des gens qui ont des enfants qui disent « là-dessus, tu as raison, c’est vrai », « je me reconnais »…
Madeleine : Ça parle à tout le monde. Tous ces clichés, c’est un peu essayer de contrecarrer la pensée unique.

« Ce harcèlement social qu’on peut ressentir sur plein de choses. »

Marguerite : On voit que c’est un tome 1, « Celle qui ne voulait pas d’enfant ». Est-ce que ça appelle un tome 2 « Celle qui voudrait bien, mais ne peut point » ?

Madeleine : Ça appelle d’autres histoires, pas forcément sur les enfants. Mais toujours sur les femmes.

Marguerite : Ça s’appellera toujours Et toi, quand est-ce que tu t’y mets ? ?

Madeleine : C’est en question. Ce serait le titre de la collection.
Véronique : Ce serait l’idéal, mais on ne sait pas encore si ça s’y prête vraiment. Pour tous les sujets. Mais en tout cas, l’idée, c’est de parler de quelques petites dictatures et de gens hors norme. Enfin qui se sentent hors norme.

Marguerite : Donc vous n’allez pas traiter de celle qui ne peut pas avoir d’enfants ?

Véronique : Non.
Madeleine : Ce serait plus difficile d’être drôle, là.
Véronique : C’est vrai qu’on aurait pu plus en parler. Mais finalement celle qui ne peut pas avoir d’enfants peut se retrouver là-dedans aussi, parce qu’elle subit la même pression. Sauf qu’elle ne l’a pas choisi et qu’elle le vit comme un boulet, alors que les autres le vivent comme une légèreté. Notre but était quand même de parler du non désir parce que c’est ça qui est le plus tabou et le moins compris. Parce qu’une femme qui ne peut pas avoir d’enfant, on la « comprendra », on la plaindra et on compatira. Ça ne donne pas lieu à tout un album où on peut rire de plein de choses autour de ça. Ce serait plus compliqué. Alors qu’il y a plein de sujets où l’on peut rire de ce harcèlement social qu’on peut ressentir sur plein de choses.








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5 Responses to #7 « Et toi, quand est-ce que tu t’y mets ? » Entretien avec les auteurs

  1. Anaïs
    8 janvier 2013 at 16 h 18 min

    Bonjour,

    Je suis une femme de 23 ans et je ne veux pas d’enfants. (Je ne suis pas spécialement traumatisée et je ne suis pas lesbienne non plus…) Je suis jeune, certes, mais pourtant je suis sure de moi. Cela fait de nombreuses années que je pense et que je dis que je ne veux pas en avoir, et toutes les réponses compatissantes : « mais tu as bien le temps d’y penser et de changer d’avis » ou « c’est pourtant une telle expérience! », ou agressives : « quelle horreur! mais ce n’est pas normal » ou encore « mais tu n’es pas une vraie femme », viennent principalement d’autres femmes… (Et il paraît que je suis égoïste…) C’est pourquoi aujourd’hui je dis un grand MERCI à Véronique et Madeleine! Merci pour nous les femmes, pour nos envies et pour nos droits!

    A bientôt!

  2. Sophie
    2 février 2012 at 10 h 47 min

    Bonjour,

    Je fais actuellement mon mémoire d’assistante sociale sur le non désir de maternité chez les femmes de 30 à 40. Pour cela, je cherche des femmes qui accepteraient de faire un entretien anonyme avec moi. Merci de me contacter à lebeaucougui@gmail.com.

    J’espère à bientôt

  3. Victoria
    17 septembre 2011 at 21 h 41 min

    33 ans et toujours pas envie d’enfant…ça ne devrait pas être un problème mais dans notre société ça l’est et c’est la source d’une remise en question permanente… Votre BD a été la meilleure des thérapies que celles que j’aurais pu envisager! La pression sociale est telle que l’on en vient à se demander si l’on est vraiment normale… N’étant toujours pas convaincue par le réel bonheur que me procurerait un enfant, je tenais à vous remercier d’avoir si bien su mettre des mots sur notre vécu et de déculpabiliser un peu les personnes qui n’ont pas les mêmes ambitions que la majeure partie de la population… Bonne continuation…

  4. 17 août 2011 at 13 h 26 min

    Sympa cette BD. Soyons libres de chosiir mais effactivement on ne l’est pas tjs … mais une bédé sur le cancer pouvant être drôle, je pense qu’on peut aussi faire rire ( même si on rit jaune ) de ne pouvoir avoir des enfants…
    Bravo pour l’article !

  5. 15 mai 2011 at 16 h 30 min

    Je tenais à vous remercier toutes les trois pour vos consciences différentes et pour votre ouverture d’esprit.
    Une citation de Cioran pour vous accompagner dans votre quête lucide : « Naître – suprême indiscrétion. »
    Cordialement.

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