#5 Derrière l’uniforme

15 mars 2011
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Dans le cadre de ce numéro sur la jupe les Fauteuses se sont également interrogées sur le port de la jupe lorsque celle-ci est obligatoire. Pour répondre à nos interrogations, nous avons mené un entretien très riche avec deux étudiantes dans une école d’hôtellerie-restauration : Violette et Aline.


Hélina Guesthub : Je suis contente de pouvoir parler avec vous car vous avez été soumises à l’uniforme et à la jupe. Tout d’abord, j’aimerais savoir quels sont les critères et quels types de jupe vous avez le droit de porter ?

Aline : A la rentrée, nous avons toutes eu les mêmes panoplies avec les mêmes jupes droites qui descendent en dessous des genoux. Normalement, on doit porter des collants de couleur chair mais ça, on ne le fait pas. Moi, par exemple, je n’ai jamais mis un collant chair car je trouve que cela fait vraiment trop grand-mère (rires). En effet, à notre âge (NDLR : 21 ans), c’est plus joli de mettre du noir.

Violette : Mais dans le règlement c’est marqué : collant couleur chair et jupe en dessous des genoux. On porte une coupe plutôt serrée et très droite.

HG : Et comment vivez-vous de porter une jupe que vous n’avez pas choisie ?

Aline : On a de la chance car nos jupes sont assez confortables et elles sont aussi très pratiques quand on travaille. Cela m’est arrivé plusieurs fois de renverser du vin rouge dessus et cela ne se voyait pas. Elles ont ça pour elles, on les met à la machine à laver, elles ressortent et on n’a pas besoin de les repasser. Donc, finalement, c’est peut-être l’aspect pratique qui compense l’aspect esthétique.

Violette : Je trouve qu’elles sont très fonctionnelles et elles sont bien coupées. Elles sont toutes simples et je pense qu’elles vont à peu près à tout le monde.

HG : Lorsque vous êtes rentrées dans l’école, vous aviez dix-huit ans, normalement, surtout à cet âge, l’expression de soi passe aussi par l’habit, comment est-ce que vous avez vécu que l’on vous impose un uniforme avec une jupe ?

Aline : J’étais déjà habituée car j’étais dans un lycée dans lequel on portait l’uniforme au moins tous les vendredis. J’avais aussi un code vestimentaire car on devait, par exemple, toujours avoir un col. Donc, finalement, c’était dans la logique des choses. J’ai eu un peu du mal à le porter cet uniforme mais seulement au début. En effet, je me sentais vraiment étriquée mais, au bout du premier mois, je me suis habituée.

Violette : Je n’avais jamais eu un uniforme, je trouvais que c’était bizarre d’être habillée comme tout le monde. De plus, je trouve que par rapport aux morphologies cela porte beaucoup plus préjudice car comme nous sommes toutes habillées à l’identique, on peut plus comparer les corps. Quand on s’habille comme on veut on peut mettre des choses larges ou alors des choses un peu moulantes. Au début, j’ai trouvé cela gênant car mon corps pouvait facilement être comparé à celui des autres. Du coup, on a aussi très vite adapté notre uniforme avec un foulard par exemple.

Aline : Oui, on l’a très vite adapté.

Violette : On a mis des chemises mieux coupées, des collants noirs, des chaussures comme on voulait, des sacs…

HG : Vous avez donc essayé de vous affranchir, par d’autres biais, de l’uniforme ?

Aline : Oui, c’est important selon notre personnalité. On ne veut pas ressembler à tous les autres car c’est un peu frustrant.

HG : Et dans la vie de tous les jours, est-ce que vous portez des jupes ?

Violettes : Des robes ! Je mets beaucoup plus de robes car je ne suis plus du tout habituée aux pantalons. Des pantalons je n’en mets presque plus, alors qu’avant, au lycée, j’en mettais presque tout le temps.

Aline : Je n’ai pas trop de jupes dans ma garde-robe à part pour l’école. Dans la vie de tous les jours, je porte des pantalons ou des robes mais en général, c’est un jean.

HG : Et hors de l’école est-ce que vous avez justement besoin de vous affranchir de ces codes très rigides ou est-ce que, finalement, cette habitude que vous avez prise, ça se transpose dans votre vie de tous les jours ?

Aline : Pas du tout, je mets tous les vêtements les plus pourris et les plus confortables. En dehors, je ne suis vraiment pas très bien habillée.

Violette : Je trouve que les habits qu’on avait l’habitude de mettre au lycée, on ne les met plus du tout. Par exemple, les choses trop colorées on ne les met plus parce qu’on est tout le temps habillée en noir, en blanc ou en gris, toutes les couleurs très sombres et professionnelles. J’ai beaucoup de vêtements, que je trouve encore beaux, mais je me demande comment j’ai pu les mettre, je trouverai ça même gênant de les mettre maintenant.

HG : Du coup, le port de l’uniforme vous formate ?

Violette : Oui, complètement ! On met des couleurs beaucoup plus sombres.

HG : Et que diriez-vous sur le fait que votre uniforme soit un tailleur jupe et non un tailleur pantalon ?

Aline : Cela me semble un peu discriminant. On a quand même un pantalon dans notre panoplie mais, à chaque fois qu’on doit servir à des dîners officiels, on doit mettre la jupe. Je trouve que cela ne fait vraiment pas moderne. En effet, c’est trop classique, trop vieille école.

HG : Est-ce que vous savez pourquoi on vous impose la jupe ?

Violette : Un jour je m’étais faite reprendre car je ne mettais que le pantalon de ma panoplie et on m’avait expliqué que je devais porter ma jupe au moins la moitié de la semaine car, porter la jupe, c’était plus professionnel et plus féminin.

HG : Et pour vous, la jupe c’est plus féminin ?

Violette : Oui parce qu’on fait apparaître plus de parties de notre corps.

Aline : Et c’est un vêtement qui nous est réservé à nous.

HG : Est-ce que la jupe n’entrave pas vos mouvements lorsque vous êtes en service ?

Aline : Ca dépend quels types de jupe mais, en général, oui. Avec la jupe on n’est pas très souple et on est souvent un peu étriquée. Des fois le pantalon serait plus agréable, surtout quand on doit se baisser, ou quand on doit soulever des choses et puis les collants se filent très facilement. C’est un véritable budget, il faut compter 50€ par mois de collants! De plus, quand on s’installe il faut toujours faire attention, avoir les jambes croisées, on ne peut jamais se relâcher.

Violette : Mais je trouve que c’est plus agréable quand il fait chaud et puis nous sommes tellement habituées. Je pense que c’est plus élégant qu’une femme porte une jupe quand elle sert. Dans les brasseries, quand il y a des hommes et des femmes, je trouve que c’est mieux quand les femmes portent une jupe.

Aline : C’est tellement stigmatisé dans l’esprit des gens que finalement la tenue idéale pour servir c’est la jupe.

HG : Et pourquoi dans une brasserie quand il y a des hommes et des femmes, vous trouvez que c’est mieux quand la femme est en jupe ?

Violette : je vais souvent dans une brasserie où les femmes n’ont pas de jupes et elles sont habillées exactement comme les hommes : pantalons coupés de la même manière, petits vestons… La tenue n’a pas du tout été adaptée et cela me de donne l’impression qu’on veut nous dire que c’est un restaurant d’hommes. On dirait vraiment que les femmes ont été transformées en hommes. Mais, d’une manière générale, je pense qu’il faudrait laisser le choix aux personnes de mettre une jupe ou un pantalon car un pantalon c’est aussi élégant s’il est bien coupé.

HG : Et d’un point de vue très pratique est-ce qu’être tout le temps en jupe cela signifie être tout le temps épilées ?

Aline : (rires) L’astuce c’est les collants noirs et opaques, c’est pour cela aussi que l’on ne porte pas de collants couleur chair. Il faut s’adapter car on n’a pas le droit de mettre le pantalon, surtout pour les grands dîners ou les évènements du même type.

Violette : Enfin pour les grands dîners, un jour j’avais mis des collants noirs et on m’a renvoyée chez moi.

Aline : Oui c’est vrai, on se fait même reprendre sur nos coupes de cheveux, aucun cheveu ne doit jamais dépasser sinon on peut être pénalisée sur nos notes.

HG : Vous avez donc beaucoup de remarques sur votre tenue durant votre scolarité?

Violette : Enormément ! Et cela nous stoppe dans notre créativité, on n’a plus vraiment moyen d’expérimenter des tenues comme nos amies qui sont à la fac et parfois, j’ai l’impression de ne plus avoir du tout de goût tellement je suis formatée. Maintenant, je sais juste juger si un tailleur est beau ou pas.

Aline : Nous sommes complètement conditionnées et maintenant nous sommes choquées quand, par exemple, on a des intervenants qui sont habillés avec des couleurs. Une intervenante qui ne vient pas en tailleur, pour nous, c’est choquant. Sa crédibilité est même presque remise en jeu!

Violette : Et puis quand je vais dans des restaurants, je regarde toujours comment les serveurs sont habillés. Dans mon esprit, belle tenue ou mauvaise tenue c’est égal à bon service ou mauvais service.

HG : Cela ne vous fait pas peur d’être formatées comme cela lorsque vous prenez du recul vis-à-vis de tout ceci ?

Aline : Si, c’est beaucoup trop sévère comme jugement.

Violette : Un jour je me suis disputée avec ma mère car elle avait embauché une secrétaire qui avait des piercings et qui portait des vêtements colorés. Ce jour là, j’ai fait une remarque à ma mère en lui disant qu’elle ne pouvait pas embaucher une personne comme ça. Ma mère s’était fâchée et m’avait répondu que je devenais intolérante.

Aline : C’est vrai que ça devient pesant car, quand je vois une personne qui n’est pas habillée en sombre ou en tailleur, j’ai tendance à me dire qu’elle n’a pas de conscience professionnelle. Or, je sais que cela ne se résume pas à ça.

HG : Et une femme pour vous est-elle plus professionnelle si elle est en jupe ?

Aline : Selon la profession mais a priori oui.

Violette : Si je vais dans un restaurant gastronomique, je m’attends à ce qu’une femme porte une jupe bien droite et classe. Si je vais dans une brasserie, je ne m’attends pas à ce qu’elle porte forcément une jupe. Dans les restaurants plus modernes ça ne me choquerait pas que les femmes portent des pantalons. Mais c’est vrai que dans notre métier, porter une jupe, cela nous apporte de la crédibilité même si on ne peut pas vraiment l’expliquer.

Aline : C’est pratique parfois et cela nous excuse un peu. Quand on a une jupe on peut dire aux hommes de porter les choses lourdes à notre place car c’est plus pratique pour eux et puis, ça nous donne un petit côté précieux. Si on était en pantalon on serait considérée comme des garçons manqués du coup, on porterait des choses lourdes, des gros plateaux…

Violette : Exactement !

HG : Par conséquent, vous êtes convaincues par le port de la jupe dans votre métier ?

Aline : Eh bien oui et non, mais en fait je crois que je suis tellement habituée mais je ne l’explique pas forcément.

Violette : J’ai toujours l’impression que dans les choses prestigieuses et luxueuses, la femme doit avoir une jupe et l’homme un pantalon. Je pense que de ce point de vue là, dans nos métiers, on n’est pas passé à la modernité.

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2 Responses to #5 Derrière l’uniforme

  1. Sorraine
    10 avril 2011 at 21 h 31 min

    L’uniforme est un marqueur social bien avant d’être un marqueur sexué.
    Voyez simplement comment çà se passe chez le leader du hamburger. Au plus bas de l’échelle, vêtures imposées; et puis plus haut on grimpe, plus de liberté on acquiert.
    Même si l’uniforme a par contre l’avantage quand il est offert, d’ôter du pied des plus démuni(e)s financièrement, une sacrée épine, il reste « stigmatisant » et infantilisant.

    D’ailleurs, les adeptes vous diront, un peu comme à l’école : si votre mise n’est plus ce qui construit votre image, ne restent que vos compétences, sourire inclus.

  2. Vialet Pauline
    15 mars 2011 at 23 h 31 min

    J’ai eu la passionnante expérience d’être hôtesse d’accueil pendant mes études, ministère, grandes multi-nationales, vous êtes la seule femme, au milieu de tous ses hommes, vous êtes au bas de l’échelle hiérarchique et en plus vous êtes en tailleur rouge, jupe courte et moulante (pour couronner le tout, des gros boutons dorés à la veste, mais pas dans le porte-monnaie!!), bref payée à se faire engueuler, être prise pour une idiote mais heureusement bonne quand même…je suis une porteuse de jupe assidue, mais celle-là, plus jamais, je brûlerais bien cet uniforme!(autojupé…?)

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