#5 Démo des mots : laïcité

15 mars 2011
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C’est LE débat qui aura lieu le mois prochain, le 5 Avril exactement, et dont vous entendrez très certainement parler non seulement à la télévision, mais aussi à la radio, sur internet, au travail, dans le bus ou encore au supermarché. Les bonnes questions seront-elles posées ? Mystère et boule de gomme comme disait ma mère, mais il y a fort à parier que non. Et pour quelles raisons me direz-vous ? Tout d’abord parce que le débat est centré sur la laïcité ET l’Islam, nombre de personnalités politiques s’en sont d’ailleurs bien vite offusquées, rappelant le récent fiasco du faux débat sur l’identité nationale. Mais aussi parce que finalement, il n’y a pas tant de raisons que cela de débattre sur un des fondements de la République qui est plutôt bien assimilé par la société. Certes, tous les ans, quelques parents se scandalisent de ce que leur rejeton passe le bac dans une salle équipée d’un crucifix, mais enfin rien n’indique que les Français ont régulièrement mal à leur laïcité. Nous passerons donc sur la probable raison d’un tel débat, à savoir la visée électorale du Président, qui nous avait déjà fait le coup de l’insécurité en 2007, de l’identité nationale en 2010 et qui aujourd’hui avance un faux problème destiné à effrayer le bon peuple : l’Islam peut-il mettre en péril la bienveillante laïcité, qui sera automatiquement traduit chez beaucoup par : les Arabes vont-ils nous envahir !

Si le débat ne durera dans la sphère politique qu’une seule journée, sans doute reviendra-t-il dans votre entourage à diverses occasions, occasions durant lesquelles vous ne devrez pas vous montrer avares d’arguments et d’exemples précis (rappelez-vous les sujets de dissertation au lycée). Afin de vous faciliter la chose, voici en avant-première les questions qui sont, seront, inévitablement posées, ainsi que quelques tuyaux pour ne pas avoir l’air de débarquer : telle Marilyn Monroe révisant ses notes avant de rencontrer le Président Kennedy, faites votre choix dans les diverses options qu’offre la question de la laïcité…

La laïcité, c’est quoi déjà ?

Le mot laïc vient du grec d’église laïkos, puis du latin ecclésiastique laïcus, qui veulent tous deux dire « commun, du peuple », ou « non clerc, illettré ». Le terme apparaît en France au 13ème siècle et est donc d’abord la négation de ce qui appartient au domaine religieux : est laïc celui qui n’est pas homme d’Eglise, et partant, qui est dépourvu de culture lettrée, les clercs étant les hommes de lettres du Moyen Âge. En qualifiant la langue, l’adjectif la définit aussi comme « vulgaire, parlée », l’inverse du latin donc, pratiqué alors par les clercs, sens qui a disparu aujourd’hui.

Le mot ne changea pas véritablement de signification au cours de l’Histoire, mais prit une dimension de plus en plus politique. Jusqu’au 19ème siècle, il renvoie toujours à ce qui n’est pas d’ordre religieux. En 1803, Chateaubriand affirme ainsi dans son Génie du Christianisme que « le nom de laïque fut inventé pour distinguer l’homme qui n’était pas engagé dans les ordres du corps général du clergé ».
Cependant le mot laïcité, qui fait encore débat donc, était défini en 1871 dans le Littré comme de « caractère laïque », mais aussi comme  une « conception politique et sociale impliquant la séparation de la religion et de la société civile [1]».

De quand date la laïcité ?

La laïcité, comme concept politique, on le voit, remonte à 1871. Mais avant de l’étendre à toute la société, c’est d’abord à l’école qu’elle fut imposée par Jules Ferry en 1882 : l’école publique est alors gratuite, laïque et obligatoire. En 1905, après de longs et houleux débats, la laïcité est adoptée et imposée en France comme fondement de la République et repose sur la fameuse séparation de l’Eglise et de l’Etat. La religion appartenant au domaine du privé, elle doit s’effacer de la vie publique.

C’est quoi un lieu public ?

Vaste problème ! Tout ce qui n’est pas privé étant public, la laïcité est censée régner presque partout. Pourtant, en matière d’interdiction du port de signes religieux par exemple, il n’en est rien. Plusieurs postures sont possibles.

La religion doit être totalement absente de la place publique, et de toute la place publique. C’est la version extrême, qui, sous couvert de neutralité, ferait de la laïcité surtout un moyen d’effacement des différences. Vous noterez que cette vision des choses tend à se répandre de plus en plus, à mesure que la droite perd ses complexes les uns après les autres.

La religion doit pouvoir se pratiquer totalement librement, quel que soit le lieu : c’est le cas de nombreux pays non laïcs, comme le Royaume-Uni par exemple, où il est fréquent de croiser une femme voilée dans l’exercice de son métier. Il s’agit là de considérer qu’accepter l’autre signifie accepter ses différences, que le melting-pot est des plus enrichissants, et que concrètement, recevoir son courrier d’une factrice voilée ne change pas grand-chose. Les limites ? Cette option s’accompagne plus facilement de dérapages, comme par exemple la tenue de discours intégristes en place publique.

La religion a sa place dans certains lieux publics, mais attention, pas dans tous : c’est le cas de la France : interdiction de porter un signe religieux ostentatoire à l’école, mais aucun problème dans la rue, sauf récemment pour le voile intégral. C’est la vision officielle que nous connaissons. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

C’est quoi le rapport avec l’Islam ?

Alors là… selon que vous penchez pour ou contre l’utilité du débat, la réponse sera différente.

Pour certains, l’Islam étant la deuxième religion de France, représentée par environ 5 % de la population, et la pratique de certains Musulmans jugée trop visible, elle est la seule religion à mettre en péril la laïcité. Pour les autres, c’est juste un moyen de stigmatiser les Musulmans, de surfer sur une vague à la Le Pen bien connue, et de récupérer des voix en 2012. Faites vos choix !

On peut en tout cas regretter que les autres religions ne soient pas à l’ordre du jour. Que dire par exemple du financement public des établissements scolaires privés? C’est bien l’argent du contribuable qui est engagé pourtant, tout épris de laïcité qu’il est.

CC Jebulon

Non mais de quoi ils vont causer le 5 Avril ?

Là encore, on ne sait pas trop. Ou plutôt si, quelques grands thèmes ont été avancés :

Les repas halal dans les cantines, le manque de lieux de culte pour les Musulmans, la formation des imams, le problème des soins hospitaliers, les horaires des piscines, la prière dans la rue… Sont-ce véritablement des grands thèmes ? Au vu du nombre de personnes concernées, vous pourrez en discuter. Que penser de ces questions ?

La formation des imams : l’idée serait d’interdire le prêche en arabe. En quel honneur, et surtout dans la mesure où ce prêche n’a pas lieu dans l’espace public, quel rapport avec la laïcité ? Les repas halal et l’entrée à la piscine municipale (Martine Aubry avait autorisé la fermeture des piscines de Lille à certains horaires afin de permettre aux femmes musulmanes de s’y rendre) : dans les deux cas, c’est un aménagement en faveur des pratiquants, ce qui, il est vrai, ne devrait pas avoir lieu dans un état laïc. Pourtant, s’il est vrai que la fermeture de la piscine aux non musulmans peut paraître injuste, en quoi le repas d’un enfant pose-t-il un réel problème ? Que dire de la prière dans la rue ? Certes, quand on ne croit pas, elle peut vite agacer, voire agresser, et la religion étant une affaire privée, pourquoi ne pas l’interdire ? En même temps là encore, croisez-vous souvent des Musulmans en train de prier ? Pire, stigmatiser un épiphénomène ne risque-t-il pas de l’amplifier ?

C’est quoi la différence entre une église et une mosquée ?

Là encore, vous aurez du mal à vous mettre d’accord ! Deux tendances s’affrontent depuis des lustres. Les deux sont des édifices religieux, la France est un pays laïc, donc aucun fond public ne devrait être débloqué, qu’il s’agisse de la construction d’une mosquée ou de la rénovation d’une église. Oui, mais les Eglises appartenant au patrimoine historique du pays, elles doivent être restaurées en tant que monuments historiques. C’est d’ailleurs le point de vue du Président, qui a ouvert notre débat lors d’une visite de la Cathédrale du Puy-en Velay, point de départ du pèlerinage pour Saint-Jacques de Compostelle, durant laquelle il a rappelé les racines chrétiennes de notre civilisation. Et hop, les catholiques dans la poche ! Ne faisons pas de l’anti-sarkozysme primaire : nier la dimension judéo-chrétienne de notre civilisation serait parfaitement hypocrite, même si plus politiquement correct à l’heure qu’il est. Partant, pourquoi laisser les Eglises s’effriter ? Ne comptons pas sur les catholiques pratiquants, de moins en moins nombreux, pour les garder en état. En revanche, la construction d’un lieu de culte est autre chose : une mosquée neuve n’a rien d’un monument historique. Oui mais alors que faire ? On ne peut pas indéfiniment en vouloir aux Musulmans de prier ça et là et ne pas leur donner les moyens d’avoir de véritables lieux de culte, dont je rappelle qu’ils ne sont pour le moment qu’au nombre de 2000, pour environ 5 millions de pratiquants. Dilemme…

Et les politiques, ils sont laïcs ou bien ?

Alors justement, cette question, que devrait a priori ne pas se poser, revient sur le tapis depuis quelques temps. Tout homme politique, en tant que représentant d’un état laïc ne devrait-il pas s’abstenir de toute considération d’ordre religieux ? Ceux qui se fichent de la laïcité diront qu’on fait ce qu’on veut, même quand on dirige un pays. Les autres (vous ?), y verront encore une façon de grignoter les fondements de la République. Exemple Précis ? En 2007, lors de sa première visite au Vatican, Nicolas Sarkozy y est allé un peu fort : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ». Euh… pardon ? Louer l’héritage culturel laissé par la Chrétienté en Occident relève de la bonne foi et de l’honnêteté historique et intellectuelle, même si nous ne doutons pas de la visée électorale d’un tel discours, mais affirmer que l’homme d’Eglise est mieux à même de transmettre un système de valeurs que tout autre citoyen, c’est affirmer que les valeurs de l’Eglise sont supérieures à celle de la République, et même qu’elles sont les seules valeurs dignes d’être suivies. Quant à la fameuse différence entre le bien et le mal, que le Président semble voir comme une véritable frontière, elle n’existe heureusement pas dans le monde où nous vivons ! Donc oui, il semblerait bien que le chef d’un des seuls états laïcs du Monde puisse s’assoir sur la laïcité.

Le débat sur la laïcité aura-t-il une utilité quelconque ? On voit bien que les questions seront de toute façon orientées de façon à savoir si oui on non, nous devons laisser les Musulmans pratiquer leur religion dans les lieux publics, le problème de l’école ayant été réglé depuis longtemps. Certains vont même jusqu’à penser qu’il faut un référendum ! L’irruption du religieux dans la place publique pose problème, mais les multiples interventions de l’état dans la religion (financement de l’enseignement privé, apparitions officielles aux cérémonies religieuses, discours faisant l’apologie de la foi, de la chrétienté…) ne semblent pas choquer outre mesure. Les frontières de la laïcité sont poreuses, mais surtout elles ne se ferment pas pour tout le monde.

[1] Pour l’histoire du mot laïcité : Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey, Dictionnaire le Robert, 1998, tome 2, p.1961.

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