#4 De la femme à poil long à la femme à barbe

15 février 2011
Par

Poilade or not poilade ?

Un poil de trop…et tout bascule.

Vous étiez un être humain et vous voilà une créature. C’est ce qui arrive à Paloma, l’héroïne du roman d’Hélène Guétary, La Femme à poil long. La quatrième de couverture annonce un roman à l’humour décapant, chouette !… Flop, je n’ai pas réussi à dépasser le premier degré de l’histoire, empêchée par un style trop lyrique pour que s’enclenche le décalage de l’humour. Je n’ai pas ri ou alors aux dépens de l’histoire et non pas grâce à elle. 

Déjà, le titre sonne un peu comme une marque de clébards toujours malade, genre bichon qu’on pose sur un coussin ! Et malheureusement, le contenu est aussi pathétique que le titre. Le poil n’ est qu’un prétexte pour basculer dans le merveilleux, pour trouver une morale à deux balles, style « acceptons nos différences ». Le lecteur assistante-sociale pour un soir (et oui, il ne faut pas plus de temps que ça, mettez vos sous sur votre compte-épargne !) accompagne un personnage dans le besoin, maltraité à cause de sa différence. Et ce n’est pas drôle, croyez-moi.

Comment en est-on arrivé là ?

A force de métaphores maladroites sur le thème animal. Une nana bien roulée s’envoie en l’air avec des mecs un peu louches qui lui rappellent des animaux. Un soir c’est un varan qu’elle ramène dans sa panière, l’autre soir c’est un poisson-chat qu’elle se fourre dans le bocal. Et puis c’est le drame, l’homme-renard, Norbert de son prénom, lui fait passer une nuit inoubliable, des animaux en transe dansent autour du lit nuptial pendant l’accouplement. Sauf que c’est une grosse naze et que l’homme-renard est un loup (besoin de lunettes ?)

Elle se réveille couverte de poils. Hirsutisme. Rien à faire, tu peux te raser trois fois par jour, tu as des poils partout là où tu ne devrais pas en avoir car t’es une fille… Consultation chez un spécialiste pour un verdict à la noix. 

Là, ça part en vrille, plus de boulot, le mec responsable de la métamorphose a disparu (encore un loup-garou qui n’assume pas ses actes). Le patron, qui avait engagé l’héroïne pour son physique, la vire. Il se retrouve avec une guenon, il n’en veut plus, il ne peut plus mater sa croupe. Et puis elle fait peur à tout le monde. Enfin une raison valable pour s’en débarrasser.

Elle s’en va, de toute façon ça lui pèse un peu sur le moral d’aller bosser quand elle doit faire des tresses avec ses sourcils. Direction le cirque, mais même là ça ne marche pas, elle fait peur aux « nenfants »… Un clown pétomane déprimé et déprimant veut bien coucher avec elle. Au début, ils n’y arrivent pas car avec tous ces poils, il ne sait plus ce qu’il tripote, le pauvre (ça m’a fait penser à une réplique du film des Inconnus, Les Trois frères, quand Didier Bourdon caresse le bichon de sa belle- famille en disant : « Il est où le cucul, elle est où la têtête ? » Sauf que là c’était drôle). Tout problème a sa solution : le clown lui fait des tresses un peu partout sur le corps pour se guider un peu comme Tarzan dans la jungle. Qui dit poil dit langue, il la lèche suavement comme une maman chatte lècherait ses petits. A force de coucher avec elle, lui aussi voit les fameux animaux danser autour du lit, et il a beau se raser intégralement tous les matins, ça repousse dare-dare… On l’avait déjà compris, Hélène Guétary fait de l’hirsutisme une MST. Le clown aurait dû se protéger. 
Ils se font virer du cirque tous les deux après une banale histoire de dénonciation, ils ont vu la fille du directeur taper dans la caisse, et, Paloma a beau être une créature merveilleuse, l’injustice ça lui tape sur le système, surtout qu’elle est blindée d’hormones de louve en chaleur ! Le problème c’est que chez les gens du voyage, on se dénonce pas alors c’est eux qui partent. Ils vont dans les bois mais le clown se met à déprimer encore plus fort, il ne pète même plus… C’est dire. Il retourne au cirque parce que vivre avec une nana qui dépèce des mulots toute la journée ça l’écoeure un peu, le bonhomme.

Je vous raconte jusqu’à la fin, ne m’en veuillez pas, à l’occasion vous pourrez même me dire merci. 
Elle accepte finalement la proposition d’une femme requin d’une boîte de télé-réalité « Réalismol » qui veut enfermer des « pas beaux » avec des « super beaux » dans un château repeint en couleur turquoise (ça vous dit quelque chose?) Les « super beaux » devront conquérir le coeur des « super moches ». La télé-réalité, c’est cruel. Enfin, il y a du fric à la clé et une maison en bois dans les Landes. On l’aura compris, c’est une critique de la télé- réalité et de ses sociétés de productions. Elles exacerbent tout ce que la morale et l’éducation avaient fait taire en nous pour réveiller nos instincts primaires. Malheureusement, le grotesque de cette situation amplifiée de télé-réalité est racontée dans un style trop sérieux. Au final, c’est encore le côté dramatique qui l’emporte sur la fable drolatique. 
Notre héroïne est le seul vrai monstre, les autres sont tous des figurants maquillés et « prothésés ». Le jour du prime, devinez qui est là dans le clan des beaux ? Et oui ! Norbert, rasé de près. Ils couchent ensemble sous l’oeil expert des caméras qui vrombissent de plaisir. Ces idiots de la production décident, un soir de pleine- lune, d’enfermer Norbert dans « la cage à punitions » pour passionner les foules en séparant les amants. Il se transforme aussi sec en grosse bête poilue et bouffe Dragomar, le présentateur. Paloma en déguste une tranche au passage et ils s’enfuient tous les deux vivre dans le Grand Nord. 

Tout le monde hurle à la mort, eux, car ils peuvent enfin vivre comme des bêtes, et moi car le bouquin est fini !

La femme à barbe

Suite à cette mésaventure littéraire, je me suis intéressée à la femme à barbe. Comme quoi rien n’est jamais vraiment négatif. Pourquoi le poil comme vecteur du fabuleux ? Le surplus de poils est une anomalie qui longtemps s’est expliquée avec les mythes, le loup-garou en est d’ailleurs le porte-parole le plus célèbre. 
Hélène Guétary a fait de son héroïne plus qu’une femme à barbe, c’est une femme à poil long qui perd tous ses charmes et qui est rejetée pour cette différence. 
Alors pourquoi être allée plus loin que la femme à barbe pour construire une fable moraliste ? Parce que la femme à barbe attire. C’est un phénomène de foire depuis le Moyen Age. Elle a toutes les raisons de fasciner un public médiéval : Dieu a donné des poils à une femme pour la rendre créature. Les foires d’abord et ensuite les cirques ont eu leur femme à barbe au menu de leurs attractions. Certaines femmes, au vingtième siècle, ont même été de véritables stars comme Clémentine Delait qui a fait la gloire de Thaon- les-Vosges. Les poilus ont été nombreux à se faire tatouer son portrait sur le corps pendant la première guerre mondiale. Et encore aujourd’hui sur le site de la municipalité il est possible d’accéder à une des cartes postales qui représente la femme à barbe ! 
De nos jours, Jennifer Miller, femme à barbe est, non seulement professeur à l’université de Californie mais aussi jongleuse et cracheuse de feu ! Une élégance de hérisson* ! La vie n’est pas monocorde. La concierge est philosophe, la femme à barbe, universitaire.

Représentant une femme qui allaite à côté de son mari, ce tableau est troublant car la féminité et la masculinité ne tiennent qu'à un sein. La femme à barbe, José de Ribera, 1631, Musée Fondación Duque de Lerma-Tolède

La femme à barbe se marie, a des enfants, elle est donc loin du destin de bête traquée que subit Paloma. Dans Freaks, on voit la femme à barbe après son accouchement. Clementine Delait a un mari, un commerce. Elle adopte une jeune orpheline avec son mari. La femme à barbe fascine et séduit. Postée à côté de l’homme sans corps ou de la femme sans tête dans les foires, elle n’en reste pas moins l’attraction indétrônable. C’est pour cela que Paloma ne veut pas qu’on l’appelle la femme à barbe mais la femme à poil long. Elle est différente, en plus encore de sa différence. Le poids historique de la femme à barbe aurait pu détruire l’originalité de sa situation. 
Le surplus de poils n’empêche pas l’amour et c’est cette morale que La Femme à poil long veut faire passer. Hélène Guétary fait d’ailleurs de nombreuses références à La Belle et la Bête dans son roman. On se souvient de Jean Marais, bellâtre tout poilu avec sa mâchoire prognathe de minou enrobé dans sa fraise qui dégoûte et effraie la belle et virginale blondinette qui rêvait du prince charmant. Mais à force de feuler des mots d’amour à « la Belle » qui, avec son accent parigot, lui nasille en réponse des  » la Beyte », le charme s’opère et le physique n’est plus qu’un détail moral que l’on règle avec une formule magique. Parce qu’en fait, eux, ils s’en foutaient mais le spectateur et le lecteur ne veulent pas laisser la Belle avec une « Beyte ». Il faut que la parité physique s’opère. Blanche-Neige n’épouse pas son nain préféré…

De la même manière, Paloma et Norbert doivent s’exclure de la société des hommes pour trouver le bonheur et pour ne plus être rejetés à cause de leur trouble de la pilosité : « Nous sommes différents, nous sommes des bêtes, mais des bêtes heureuses et fidèles, et nos pelages nous suffisent l’un à l’autre. Il ne faut jurer de rien, on ne sait jamais d’où va surgir le bonheur.  » 
Il y en a au moins deux qui ont trouvé le bonheur dans cette histoire ! LOL

* Dans son roman, L’Elégance du hérisson, Muriel Barbery démontre que la fonction qui détermine parfois l’apparence ne présuppose pas du niveau culturel d’une personne. l’Héroïne, qui est une concierge en charentaises, lit de la philosophie et écoute de la musique classique.

Tags: , , ,

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Suivez-moi sur Hellocoton
Retrouvez Fauteuses sur Hellocoton