Démo des mots #4 – Dictateur

15 février 2011
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Voilà bien un mot qui a résonné à nos oreilles ces derniers temps, et avec lui tout son cortège de figures historiques et effrayantes : Hitler, Mussolini, Franco… Il se trouve que depuis quelques semaines, des peuples africains se mettent à se débarrasser de leurs dictateurs en veux-tu en voilà, sous le regard médusé et souvent admiratif  des occidentaux, ou celui non moins médusé mais quelque peu crispé de nos dirigeants. C’est que la chute d’un dictateur, prenons le raïs égyptien Hosni Moubarak, inquiète : d’abord parce que l’Egypte est un fournisseur officiel de pétrole, ensuite parce qu’il faut prendre position en faveur du peuple, se résoudre à abandonner un ancien allié sous peine d’être immédiatement déconsidéré par les électeurs, enfin parce qu’une dictature en poussant généralement une autre, l’ombre des islamistes plane déjà sur le Maghreb. Et ce n’est visiblement pas près de s’arrêter : après la Tunisie et l’Egypte, c’est au tour de la Jordanie et du Yemen et de l’Algérie d’envisager la révolution. L’esprit révolutionnaire, porté par le rêve d’une vie plus juste, le sentiment qu’on n’a plus rien à perdre et l’absence soudaine de peur de la répression se sont propagés comme une traînée de poudre, poussant donc les populations à littéralement vouloir se libérer du joug de leurs dictateurs. C’est donc ce mot bien connu que nous nous proposons d’examiner un instant.

Le terme dictateur, du latin dictator, apparaît en France au 13ème siècle. Il s’agit d’un  terme d’origine romaine, qui désigne, sous la République, « un magistrat unique investi de tous les pouvoirs dans certaines circonstances graves [1] ». Remarquons donc que le dictateur de l’Antiquité, comme le nôtre, possède tous les pouvoirs, et son pouvoir est au sens propre exceptionnel, anormal. En revanche, contrairement aux tyrans qui conservent le pouvoir indéfiniment, le dictator n’est là que pour une durée limitée à six mois maximum. Mais surtout, le dictator est une invention de la République. Quand celle-ci est menacée, il est celui qui prend les rênes du pouvoir pour la sauver. Ce dictateur-là n’est pas celui que nous connaissons.

Dictator vient du verbe dictare, qui signifie « dicter ». Le dictateur est donc littéralement celui qui parle. Dictare lui-même est un terme nuancé, puisqu’il veut à la fois dire « dire en répétant », « faire écrire », on reconnaît là la dictée d’orthographe du professeur, mais aussi « ordonner », ou « prescrire [2]». Il existe donc un lien sémantique entre le fait de parler et celui de donner un ordre. Au 17ème siècle, Richelet définit ainsi la dictée comme « un terme d’écolier, de philosophe et d’autres qui écrivent les écrits d’un maître [3] » : il s’agit donc bien ici de reprendre fidèlement les dires d’un autre, jugé expert, ou admis comme tel. Au sens propre, l’expression « sous la dictée de »,  signifie bien écrire le texte dit, mais au sens figuré, qu’elle prend dès le 18ème siècle, il s’agit d’exécuter les ordres de quelqu’un. La dictée est donc le discours émis par un maître, le fameux dictator, et dont, en temps de crise ―souvenez-vous de son rôle pendant la République romaine― on exécute les décisions. Les pleins pouvoirs lui ont d’ailleurs été remis pour cela.

La plupart des termes de la famille du verbe latin dicere, dire, ont à l’origine, et parfois encore aujourd’hui, une signification qui ne laisse que peu de place à la subjectivité, à l’esprit critique, à la réflexion personnelle : la dictée, nous l’avons vu, n’est qu’un exercice de répétition. Le dicton, synonyme d’expression, de devise, depuis le 15ème siècle, est à l’origine un terme juridique signifiant « sentence ». Le dictionnaire est l’ouvrage en principe le plus objectif qui soit, la référence dont on ne remet jamais le discours en question. Le dictateur est celui auquel on obéit, quand on le subit, et le maître que l’on suit, que l’on mime même, quand on le croit.

Les liens entre la parole et la dictature ne sont pas si lâches qu’on pourrait le croire. Charlie Chaplin, dans Le Dictateur, l’avait déjà nettement montré dans les discours de Hinkel: plutôt que de mettre dans la bouche du tyran un véritable discours politique, il préfère lui faire parler une langue incompréhensible, dont seules les intonations comptent. C’est que le pouvoir de la parole permet aux dictateurs d’haranguer les foules et de l’électriser. Peu importe le contenu, l’intention et le résultat sont toujours les mêmes. C’est d’ailleurs lors du discours final du barbier, que les mots réapparaissent, et prennent la place de la dictature : « Je ne veux plus être empereur ». Ce qui sert au dictateur, ce n’est pas tant ce qu’il exprime que le fait même de prendre la parole, et la manière dont cette parole est professée. Le spectateur n’a ainsi pas besoin d’explication de texte pour comprendre le personnage.

C’est à la Révolution que le mot dictateur prend son sens actuel : « personne qui, s’étant emparée du pouvoir, l’exerce sans contrôle [4] ». La fonction avait été créée sous la République romaine, et c’est encore la République qui la précise des siècles plus tard, comme si le dictateur n’existait que par rapport à elle. Depuis, la définition du dictateur s’est développée, pour se rapprocher de celle du tyran, et elle regroupe surtout trois points importants : la concentration des pouvoirs, le culte de la personnalité, et la conservation anormale du pouvoir, généralement par la force. Si les événements récents du Maghreb nous rappellent ce qu’est un véritable dictateur, il est vrai que le terme est assez souvent utilisé à tort et à travers, dès qu’un homme politique prend une place un peu trop grande à nos yeux. Pour preuve, l’habitude qu’ont beaucoup à comparer Nicolas Sarkozy à un tyran. Cela dit, il n’est pas inintéressant de se demander ce qui nous pousse ainsi à faire une telle analogie. Car s’il est évident que notre président n’a rien à voir avec un Ben Ali ou un Mussolini, cette manie n’est tout de même pas née comme par enchantement. Il a bien fallu qu’il fasse deux ou trois choses pas très recommandées pour un représentant de la démocratie, qui plus est au  pays des droits de l’homme !

Alors pourquoi tant de haine ? Reprenons l’histoire du mot : le sens de dictateur est intimement lié à la République, c’est donc en comparaison à celle-ci que l’on juge si oui ou non un dirigeant glisse sur la pente de la tyrannie : plus il s’éloigne des fondements de la démocratie et des valeurs de la République, plus il se rapproche de la dictature. C’est là que nous retrouvons notre Nicolas national ! Car, force est de constater qu’effectivement, celui-ci aurait tendance, de temps en temps, mais la tentative est tellement énorme qu’elle  n’échappe à personne, à vouloir imposer ses décisions personnelles à tous, qu’elles bafouent les règles et fondements susdits ou non. Deux exemples dont le lecteur se souviendra aisément : le projet de déchéance de nationalité pour les Français d’origine étrangère, et, plus récemment, la mise en accusation des magistrats au sujet de l’affaire Laetitia. Dans le premier cas, une atteinte pure et simple à la constitution, dans le second, l’oubli de la séparation des pouvoirs. Si on ajoute à cela le culte de la personnalité, qu’il passe par la fameuse politique bling-bling dont il a tant été question dans les médias, ou la manie de vouloir imposer ses idées sur tous les sujets (rappelez-vous : le Président nomme celui de France télévision, impose aux enseignants la lecture de Guy Moquet à la rentrée…), on comprend mieux l’origine de cette comparaison récurrente avec Napoléon III !

A observer les déclarations des hommes politiques, il semble évident que ce qui compte en premier lieu est la communication. Combien d’effets d’annonce, de mensonges, de rumeurs savamment propagées, de discours repris, répétés tels quels ? Aujourd’hui, l’homme politique est aussi beaucoup une personnalité qui parle, et renoue ainsi avec le tout premier sens, avec le dictator, celui qui dit.


[1] Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey, Le Robert, p.1077.

[2] ibid.

[3] ibid.

[4] ibid.

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