#3-Maria-Josephina en 1937

15 janvier 2011
Par

Abuelita mia,

Il va parfois avec la mort une part de révélation qui laisse désarçonné. La tienne fut de celles-là. Les circonstances en ont été à la fois pathétiques et épatantes, de par ce choix que tu as décidé de faire, cette nuit-là. Mais ce n’est pas de cela que je veux te parler aujourd’hui, c’est de l’avant tout cela, du bien avant, même, quand tu avais vingt ans et un sourire que je ne t’ai jamais connu.

Nous avons ouvert les malles, Papa et moi. Bien sûr que nous les avons ouvertes. Et dans les malles, nous avons retrouvé cette masse de photos de presqu’inconnus, de ceux qu’il faut rechercher au plus profond des mémoires et des généalogies, en disant d’un ton un peu incertain : « Ce doit être le cousin Untel, celui qui s’était marié avec la fille Machin, on doit être en 1935, quelque chose comme ça… » Mille visages qui sont nos liens avec la petite histoire du monde qui tourne et qu’on découvre pourtant ébahis, en y cherchant les traits communs qui diraient la parenté.

Mais dans la malle, surtout, il y avait toi. Et ton mari. Mais pas sous la même forme. Tu étais photographiée sous tous les angles, jeune fille, en robe claire, en robe noire, le sourire aux lèvres immanquablement. Lui étais absent des photos, presque complètement, un ou deux clichés volés aux éternelles absences, quelques poses en habit de lieutenant, mais surtout, surtout, cette demi-tonne de lettres et de cartes postales remplies d’une écriture violette et serrée, où les mots d’amour se bousculaient pour combler l’éloignement quasi permanent de vingt ans de mobilisations diverses et variées.

Papa n’y a pas jeté un œil, sa pudeur de fils a été plus forte, mais j’ai, de mon côté, dévoré ces feuillets sans vergogne, trop contente de plonger dans une histoire d’amour pour de vrai et de m’imaginer que la passion romanesque serait une vertu génétiquement transmissible. Et c’était des pages et des pages de déclarations enflammées, des mots doux par centaines, des lamentos criants de sincérité où ton absence faisait naître des brasiers inattendus.

Comprends-moi, je n’aurais pas imaginé cela sans les photos où tu apparais, jeune fiancée ravie de se promener au soleil avec son amoureux. Je ne t’ai connue que dure et fermée, blessée par deux exils, la perte d’un fils et la disparition d’un mari bien trop jeune. J’ai conscience que tu as du souffrir mille maux et que la vie s’est chargée de te faire payer ces moments lumineux où tu rayonnais littéralement. C’est l’effet de cette double surprise, l’improbable découverte que ma grand-mère a été une jeune fille et qu’une femme aussi rude a été un jour douce et éclatante de joie. Maria-Josefina, abuelita mia, tu as reconstruit mes souvenirs sans le savoir, en y faisant apparaître l’ombre d’une jeune femme en robe claire. C’est une très bonne chose, finalement, que les malles s’ouvrent, même un peu tard, et qu’en quelques images, la petite histoire de la famille vienne souffler à nos oreilles l’air connu du Carpe Diem. Je vais m’y tenir, abuelita, et enfiler des robes claires en relisant des lettres à l’écriture violette.

Con todo mi cariño, tu nieta Lily.

Les grands-mères des Fauteuses : Andrée en 1954

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