#1 L’oreille du sexe

15 novembre 2010
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Dans mon esprit, Brigitte Lahaie a toujours été associée à du porno respectable. Est-ce parce qu’elle a une tête à jouer indéfiniment les bourgeoises s’appelant Solange, prise à quatre pattes par l’ami de golf de M. son mari sur le tapis d’un salon imitation Napoléon III ? Ou est-ce que mon esprit de gamine née dans les années 80 l’a assimilée à Jean-Luc Lahaye, créant ainsi une étrange proximité entre le chanteur de variété et l’actrice X ? Je ne sais pas. Quoiqu’il en soit, Brigitte, le porno, elle en est revenue. Elle fait maintenant officiellement partie du monde respectable. J’en veux pour preuve l’émission qu’elle anime sur RMC : Lahaie, l’amour et vous. Du sexe entre 14h et 16h, sur une radio populaire, par une ancienne actrice porno ! Que demande le peuple ?

Ah, les auditeurs… Brigitte a dû leur dire avant moi, mais l’émission sans eux n’est rien.

Alors bien sûr, j’ai des souvenirs personnels attachés à cette émission qui me font la considérer avec tendresse et bienveillance – des trajets en voiture avec plus de 8h d’émissions pour passer le temps gaiement avec mon mari. Pourtant, regardons-y de plus près, penchons-nous sur cet espace entier dédié au sexe et à la sexualité à une heure de relative grande écoute. L’émission est longue : deux heures. Il y a en général un invité, un chroniqueur – une fille un peu niaise qui rit comme une collégienne dès qu’elle prononce un mot sexuel, comme orgasme, sex-toy ou pénétrer – et bien sûr des auditeurs. Ah, les auditeurs… Brigitte a dû leur dire avant moi, mais l’émission sans eux n’est rien. Ils peuvent intervenir sur n’importe quel sujet, peu importe qu’il y ait un thème annoncé en début d’émission, l’auditeur s’en contrefout, il n’a qu’une idée : parler de ce qui le travaille, le fait rêver, le fait jouir. Par exemple, une émission sur les phobies sexuelles : vous vous attendez à des trucs précis, de vraies phobies, du genre « J’ai la phobie du sperme, je ne supporte pas l’idée que mon amant éjacule » ou bien « Je suis terrifié à l’idée de pénétrer ma partenaire, que faire ? ». Non. Ça donne plutôt une nana qui disserte sur les pratiques SM, disant qu’elle n’aime pas ça, mais qu’elle n’a jamais essayé, mais qu’attention elle respecte ça chez les autres… Ou alors, toujours dans l’émission des phobies, l’appel qui n’a juste rien à voir. Le type qui appelle uniquement pour savoir comment convaincre sa copine d’aller en boîte échangiste. Au bout d’un mois de relation.

Elle recadre les choses, débarrasse tout son discours d’a priori moraux et moralisateurs et proposent des réflexions nuancées et pertinentes.

C’est une émission où l’on rit beaucoup. Mais en même temps, ce rire contre les témoignages (oui il faut bien le dire) montre que le sexe a peu d’espace dans notre société. Un vrai espace. Pour que les gens puissent en parler, librement, sans être jugés. Car même avec l’anonymat de la radio, les mots sont difficiles. Deux heures de sexe mais l’émission reste très soft. Et ce n’est pas seulement à cause de l’heure, car Brigitte les encourage à expliciter et à employer des mots clairs : fellation, jouir, sodomiser, masturber, clitoris, verge. Pourtant, ces mots semblent tabous. Alors, oui, je me marre à écouter les auditeurs et souvent je m’emmerde un peu, mais finalement, cette émission n’est pas si bête que ça. Et Brigitte, contrairement à toute attente, est assez remarquable. Déjà, elle a une patience incroyable et un flegme à tout épreuve. Elle recadre les choses, débarrasse tout son discours d’a priori moraux et moralisateurs et proposent des réflexions nuancées et pertinentes. Elle donne à la sexualité, aux sexualités, une place possible sans obscénité, sans racolage, sans misérabilisme.

C’est ce genre d’émissions, avec ses auditeurs apeurés, intrigués, inquiets, qui montrent à quel point, pour certains, le sexe est une vraie détresse ou une vraie interrogation. Parfois je me demande ce qu’ils deviendraient sans Brigitte, qui ne fait que les rassurer sur des choses simples, à la manière du Doc sur Fun Radio, « Non, ce n’est pas sale ». Mais le message que voulait faire passer le Doc aux adolescents, c’est ici à des adultes qu’il s’adresse. Comme quoi, y a du boulot.

Lahaie, l’amour et vous : 14h-16h du lundi au vendredi sur RMC.

2 Responses to #1 L’oreille du sexe

  1. athalj
    6 novembre 2011 at 16 h 04 min

    Connaissez vous l’émission Cas-libres sur radio Kaleidoscope ?

    http://cas-libres.poivron.org/

    ça pourrait vous intéresser…

  2. jean-marie
    2 décembre 2010 at 10 h 09 min

    J’ai beaucoup aimé ton article qui, sous couvert de remarques légères soulève à nouveau la question – politique et sociologique à la fois, de cette parole finalement étrange qui se déploie à partir de cet objet opaque qu’est la sexualité. Foucault, dans le premier volume de son Histoire de la sexualité définit bien celle-ci : c’est l’ensemble de toutes les pratiques organisées autour du sexe. Et parmi ces pratiques, l’aveu de sa sexualité. De toutes parts a surgi l’injonction de dire ce qui se passait jadis dans le secret des alcoves. Aujourd’hui, cet aveu est spontané : il est donc bien une ‘discipline’ : élément intériorisé de la loi théoriquement extérieure à l’individu. Mais quelle est la vérité du sexe ainsi proclamé ? Existe-t-elle, cette vérité ? Tu te demandes ce que les auditeurs deviendraient sans Brigitte : et en effet, c’est bien là la question. Peut-être des êtres sans sexualité réelle, voire sans sexualité du tout , au sens où celle-ci ne serait plus ni visible, ni ‘audible’ justement. Foucault fait comme toi le même constat : « Caché le sexe ? Dérobé par de nouvelles pudeurs ,maintenu sous le boisseau par les exigences mornes de la société bourgeoise ? Incadescent au contraire. Il a été placé, voici plusieurs centaines d’années, au centre d’une formidable pétition de savoir. Pétition double, car nous sommes astreints à savoir ce qu’il en est de lui, tandis qu’il est soupçonné, lui, de savoir ce qu’il en est de nous ». Dis-moi, Brigitte, qui-suis-je ? …

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