#2 Libérez les papas !

15 décembre 2010
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La place du père aujourd’hui ? Ah, c’est pas comme il y a quarante ans, ma bonne dame !

Ben oui, il y a quarante ans, c’était le papa qui travaille et la maman à la maison. Le père absent, distant, lointain, souvent.

Les pères, des mères comme les autres ?

Et aujourd’hui, rien à voir ! Le féminisme est passé par là, les femmes travaillent, et de leur côté les hommes s’intéressent bien plus à leur progéniture, pouponnent, changent les couches et donnent les biberons… Il y a le congé paternité, le congé parental qui peut être pris par le père… Grâce à la loi de 2002 sur la résidence alternée, les pères continuent à s’occuper de leurs enfants même après une séparation.

Alors, tout va bien ? Les pères seraient des mères comme les autres ?

Les hommes, grands absents de l’univers des enfants

Hélas, la réalité est loin d’être aussi souriante.

Certes, le congé paternité est un succès (voir encadré), mais en ce qui concerne le congé parental, il est majoritairement  pris par la mère. Il en est de même pour le temps partiel : d’après cette brochure du ministère du Travail, les salariés à temps partiel le sont pour des raisons familiales à 43% chez les femmes, mais à seulement 7% chez les hommes… Dans de nombreuses entreprises, il est encore plutôt mal vu, ou mal compris, pour un homme, de se mettre à 80% ou d’interrompre sa carrière pour élever ses enfants. Encore plus lorsque le père en question occupe un poste « à responsabilité ». Il semble que pour la majorité des gens, c’est toujours à la mère que revient la tâche d’éduquer les enfants.

Les pères ne sont pas valorisés en tant que tels, dans la société française actuelle.

Les hommes sont les grands absents de l’univers des enfants. Dans le secteur de la petite enfance (auxiliaires de puériculture, sages-femmes, personnel des écoles maternelles…), un nombre infime d’emplois est occupé par des hommes, toujours d’après la même brochure. D’ailleurs, quoi de plus éloquent que ces noms de métiers : « assistante maternelle » (99,1% de femmes, et pas d’équivalent masculin du terme, semble-t-il), « puéricultrice » (très rarement décliné au masculin), « sage-femme »… La possession d’un pénis est-elle incompatible avec l’exercice de telles fonctions ?

Les médias « du côté des mamans »

Ces chiffres reflètent une réalité que l’on retrouve dans les représentations culturelles et médiatiques : la Mère semble toute-puissante dès qu’il s’agit de parler d’enfants, tandis que le père écope d’une place secondaire tout au plus. L’émission de France 5 consacrée à l’enfance s’appelle « Les maternelles ». L’école réservée aux enfants de moins de six ans est « maternelle » également (d’ailleurs, on y trouve très peu d’enseignants hommes). Dans les publicités concernant les enfants (publicités pour des couches, des petits pots, des vêtements), on ne voit que des mères… ou des « mamans », pour faire plus moderne. Une célèbre marque de petits pots a d’ailleurs pour slogan « Du côté des mamans »… Et les papas, alors ? Ne donnent-ils jamais à manger à leurs bambins ? Sans doute que non… à moins qu’on n’ait pas envie de le montrer.

Dans la presse magazine consacrée aux enfants, même rengaine. C’en est d’ailleurs assez troublant. Les numéros de décembre 2010 de Famili et Enfant magazine – deux mensuels consacrés à la famille – ne font aucune allusion, en couverture, à des pères ; en revanche, Famili affiche en gros titre « Pour devenir une maman sereine », tandis qu’Enfant magazine fait apparaître en bas de sa couverture une citation de Boris Cyrulnik nous apprenant que « La mère parfaite est imparfaite ». Ces magazines s’adressent-ils à des parents en général ou seulement à des femmes ?

C’est plutôt la deuxième réponse qui s’impose. A l’intérieur de Famili, on s’adresse explicitement à une femme, à travers des rubriques « Shopping maman » et « Beauté », qui parlent de maquillage (« Vite belle pour les fêtes ! »), et bien sûr à travers le fameux dossier pour être une « maman sereine », comportant des titres comme « J’ai peur… que son père ne sache pas s’en occuper », ou « Il quitte mes jupes, et je m’angoisse pour lui ! » (la mention des « jupes » étant sans doute là pour nous rappeler qu’on ne parle pas de parents, hein, mais bien de mamans, au cas où on ne l’aurait pas bien saisi, et ces mamans portent des jupes, évidemment). Comme dans les magazines féminins, on trouve une rubrique « Couple », ici consacrée à la manière dont les pères vivent l’allaitement. Chouette, se dit-on, peut-être un article dans lequel un père pourra se reconnaître. Mais non : on présente le vécu des pères comme on présenterait les grandes étapes du développement cognitif de l’enfant, et on donne à la « maman sereine » des conseils pour se comporter avec son compagnon : « Votre chéri fait la moue ? Coachez-le ! », nous enjoint un encadré. D’ailleurs, dans tout le magazine, les pères semblent mis sur le même plan que les enfants : des créatures à « coacher », à éduquer, à materner. La rubrique « Paroles de pères », une sorte de micro-trottoir, suit immédiatement la rubrique « Paroles d’enfants »… Et de manière générale, la figure paternelle est peu présente, en-dehors des rubriques « Couple » (déjà évoquée) et « Les parents 2010 » (qui présente un témoignage de couple avant et après la naissance de leur enfant). Un rapide recensement des illustrations en témoigne : 20 photographies seulement représentent des hommes (contre 62 représentant des femmes). Parmi elles, 4 sont des publicités ou de petites vignettes illustrant une brève, 5 sont des photos d’« experts » (gynécologue, pédiatre, anesthésiste…), et seulement 12 sont des photos de pères intervenant en tant que tels, dont 4 représentent un seul et même père, Frédéric, interrogé pour la rubrique « Les parents 2010 ».

Dans Enfant magazine, même présupposé : seule une femme peut décidément lire un magazine comportant dans son titre le mot « enfant ». Les intitulés des rubriques sont éloquents : « Shopping femme » (mais point de « shopping homme » à l’horizon), « Astucier des mamans », « Beauté » (pas le moindre produit pour homme dans cette rubrique). Les témoignages et questions de lecteurs sont bien sûr signés par des lectrices, avec éventuellement un petit encadré « Témoignage du papa » au sein d’un récit de plusieurs pages fait par une « maman ». Un intéressant entretien avec Boris Cyrulnik nous apprend que l’instinct maternel n’existe pas ; mais attention, Edwige Antier veille et intervient dans un encadré pour s’inscrire en faux contre cet avis, et déclarer non seulement que l’instinct maternel existe, mais que l’instinct paternel, lui, n’existe pas : « On ne parle pas d’instinct paternel, mais plutôt de naissance de l’attachement. » Quoi de plus efficace pour évacuer sournoisement les pères et leur signifier en douce qu’avec la meilleure volonté du monde ils ne vaudront jamais autant qu’une « maman » ?

Car c’est bien ce qui semble à l’œuvre dans nos représentations collectives : on veut bien que le papa s’implique, mais c’est toujours la mère qui est au centre de la vie de l’enfant, qui est valorisée, célébrée, et dont le rôle est encouragé. On ne semble finalement pas prêt à accorder aux hommes le droit d’avoir cette importance pour les enfants.

Être père n’est pas toujours un choix

En revanche, on leur attribue une responsabilité énorme. En effet, en France, comme le rappelle la journaliste Gaëlle-Marie Zimmermann, un homme ne peut pas refuser d’être père. Une femme – du moins en droit, car les obstacles concrets sont nombreux et persistants – peut refuser d’être mère, en choisissant d’avorter ou en accouchant sous X. Et heureusement : son corps lui appartient, et sa vie également.

Mais un homme n’a pas ce droit. Si une recherche de paternité est engagée à son encontre, et s’il est prouvé (par un test génétique, le plus souvent) qu’il est le géniteur d’un enfant, il devra assumer la responsabilité et la filiation de cet enfant. Et cela, même s’il n’a absolument pas désiré ni choisi d’être père… Il n’avait qu’à mettre une capote, me direz-vous. Mais les choses ne sont pas toujours si simples, notamment au sein de relations suivies, dans le cas de couples qui ont cessé d’utiliser les préservatifs depuis quelques temps : si la femme décide d’arrêter la pilule sans en parler à son partenaire, celui-ci ne peut pas deviner qu’il devrait mettre un préservatif… Les relations humaines ne sont hélas pas toujours franches et honnêtes, et les pères malgré eux sont plus nombreux qu’on ne le pense.

« Quels sont les recours dont dispose le père prétendu ? Eh bien il peut contester la filiation, conformément à l’article 332 du Code Civil, l’objectif étant de prouver qu’il n’est pas le père. Les dispositions légales en vigueur nous ramènent donc à une disparité de droits entre les deux sexes : l’homme ne peut refuser d’être le père d’un enfant qu’il a conçu », explique Gaëlle-Marie Zimmermann. Le père est ici soumis à la biologie, et à la volonté de la mère, qui, elle, peut refuser le lien biologique. Il peut subir une recherche en paternité, mais ne peut en obtenir une s’il la sollicite… En matière de filiation, c’est la mère qui semble toute-puissante, là encore…

Des pères mis à l’écart

En cas de divorce, ce pouvoir maternel se confirme : la plupart des droits de garde (80 à 85%) sont accordés aux mères. Les pères se retrouvent souvent à voir leurs enfants un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires, et à verser une pension alimentaire. On semble considérer que la mère est plus apte à élever des enfants. Mais cela ne vient pas seulement des juges : les pères eux-mêmes demandent plus rarement la garde des enfants (moins de 30% des pères réclament la garde des enfants au moment du divorce), comme s’ils intériorisaient cette idée que la mère saura mieux s’en occuper. En la matière, le développement de la résidence alternée, depuis la loi de 2002, représente un progrès ; 10% des procédures de divorce aboutissent à cette solution. Mais certains ne semblent pas prêts à accepter ce changement qui permettrait pourtant d’accorder plus de place au père dans la vie de l’enfant ; des associations réactionnaires comme « L’enfant d’abord » luttent contre la résidence alternée, en partant du postulat que seule la présence de la mère permet de faire grandir l’enfant de manière équilibrée…

Autre inégalité de traitement pesant sur les pères : lorsqu’un couple fait une demande pour une fécondation in vitro, il est prioritaire si la femme n’a jamais eu d’enfants, mais pas si elle en a déjà eu. En revanche, le fait que l’homme n’en ait jamais eu, lui, n’entre pas en ligne de compte ! Si un homme qui n’a jamais été biologiquement père souhaite le devenir avec une femme qui est déjà mère, il passe après les autres… ce qui, dans le cas du parcours parfois long et semé d’embûches des aspirants à la F.I.V., peut être un véritable obstacle.

Les pères sont l’avenir des mères !

© Gregor

Les pères ont donc encore du mal à trouver leur place… et cela est loin de profiter aux mères elles-mêmes ! Leur position dominante en matière de maternité signifie surtout qu’elles sont encore cantonnées, dans bien des cas, dans ce rôle… Le résultat ? Un partage des tâches encore très inégal au sein des couples (au détriment des femmes : 80% des tâches domestiques, soins aux enfants compris, sont assurées par les femmes). Une majorité de femmes parmi les salariés à temps partiel. Une majorité de femmes à interrompre leur carrière pour leurs enfants, et à se retrouver ensuite mises au placard pour cette raison. Une majorité de femmes à subir les conséquences, donc, de la maternité sur leur carrière.

Demande-t-on aux hommes, dans les interviews, comment ils font pour « concilier » leur « vie d’homme », leur « vie de père » et leur vie professionnelle ?

Nos mentalités ne sont pas encore tout à fait débarrassées des représentations traditionnelles qui placent le père-patriarche en chef de famille distant et omnipotent, travaillant à l’extérieur pour assurer la subsistance du foyer, mais n’accordant à ses enfants qu’une attention distraite pour tout ce qui concerne leur corps, leurs soins quotidiens. Des représentations tout à fait incompatibles avec l’égalité des sexes, puisqu’elles impliquent que la mère se consacre bien plus que le père à la vie de famille. Si les pères sont trop souvent évacués de la vie de l’enfant, c’est parce que malgré les progrès accomplis depuis un demi-siècle, les rôles traditionnels restent encore bien présents. Le féminisme a peut-être permis une plus grande liberté des femmes, mais tant qu’on ne permettra pas aux pères de conquérir pleinement la vie de famille, elles resteront condamnées à jongler, dans un périlleux exercice d’équilibre, entre « vie de femme », « vie professionnelle » et « vie de mère ».

Qui entend souvent ces termes appliqués aux hommes ? Demande-t-on aux hommes, dans les interviews, comment ils font pour « concilier » leur « vie d’homme » (drôle de concept, semble-t-il beaucoup moins porteur que celui de « vie de femme »), leur « vie de père » et leur vie professionnelle ? Pour cela, il faudrait qu’on considère un peu mieux la paternité, qu’on la prenne en compte comme une donnée fondamentale de la vie d’un homme qui a des enfants.

Œuvrer en faveur d’une revalorisation du rôle des pères, les encourager à s’investir auprès de leurs enfants, c’est œuvrer pour l’égalité homme-femme, tout simplement. On ne pourra pas libérer les femmes sans libérer les papas !

Plus d’informations sur les chiffres concernant les pères qui ont pris un congé parental dans ces articles de la Sofres et du site Sciences humaines.

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3 Responses to #2 Libérez les papas !

  1. LeNouf
    20 décembre 2010 at 12 h 22 min

    J’ai beaucoup aimé cet article.
    Ce que je me demande, c’est quelle est la part de « responsabilité » de la mère dans tout ça, car c’est parfois elle qui n’arrive pas à se séparer de son enfant, qui n’arrive/ne veut pas laisser au père prendre sa place. Je participe à un forum de parents de jumeaux, et, bien qu’il s’agisse de jumeaux, triplés etc. (avec toute la charge de travail associée) j’ai lu de nombreux témoignages où la mère trouve que le père n’y arrive pas, où elle-même n’arrive pas à laisser ses enfants (que ce soit au père ou à un mode de garde quelconque, je ne parle même pas de l’entrée à l’école).
    Après, est-ce lié au fait qu’on considère que ce sont les mères qui doivent s’occuper des enfants à la naissance, et de ce fait la mère devient encore plus attachée à son enfant et le connaît, ainsi que ses besoins, mieux que le père, inévitablement?
    C’est le serpent qui se mord la queue?

  2. Couscous
    16 décembre 2010 at 11 h 35 min

    Merci pour cet article très intéressant et complet, qui aborde plusieurs aspects de la question, notamment du point de vue des représentations sociales.
    Un point d’attention cependant, au sujet du dernier paragraphe : il me semble un peu raccourci d’écrire que la répartition inégalitaire des tâches ménagères est le « résultat » de la position prédominante des femmes dans la parentalité…
    Il n’y a pas forcément de rapport de causalité, mais ces deux aspects (prédominance des mères et répartition des tâches inégale) sont plutôt plusieurs facettes de la même médaille, à savoir le rôle social attribué aux femmes. C’est-à-dire l’intérieur, l’intime, la maison et les enfants, les hommes ayant pour fonction l’extérieur, le travail, le collectif, etc. Ce sont les conséquences que l’on voit à l’oeuvre : les tâches domestiques, la négligence du rôle des pères, les écarts de salaire, la sous-représentation des femmes à des postes de direction ou en politique, etc.

    • Elenore Song
      16 décembre 2010 at 14 h 44 min

      Merci pour cette précision !
      Le terme « résultat » était une formule, un peu raccourcie, mais nous sommes bien d’accord : l’un n’est pas la conséquence de l’autre, ces deux aspects relèvent d’une seule et même réalité, la répartition rétrograde des rôles homme – femme.

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