#2 Six Feet Under ou la difficulté à être père

15 décembre 2010
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ATTENTION : si vous venez de commencer à regarder cette série et qu’elle vous plaît (mettons que vous en êtes à la fin de la Saison 1), ce qui suit contient plein de spoilers (des révélations sur la suite qui risquent de vous gâcher le plaisir…). A bon entendeur !

David et Keith, les nouveaux pères

La paternité, au coeur de la série
La question de la paternité est mise en jeu dès le premier épisode de la série, puisque c’est le père, Nathaniel Fisher (Richard Jenkins), qui va être, par sa mort accidentelle en voiture, responsable de la suite des événements. Ce père croque-mort cristallise en effet les autres relations à la paternité dans la série et d’abord celles qu’il entretient avec ses trois enfants : Nate (Peter Krause), le fils prodigue qui a quitté la maison familiale pour fuir son père, David (Michael C. Hall) le fils homosexuel qui est resté travailler avec son père et Claire (Lauren Ambrose), la fille chérie en conflit avec sa mère. Série existentielle, achevée, qui n’en finit pas de hanter le spectateur, Six Feet Under est, dans chacune de ses saisons, travaillée par la difficulté de la paternité. La famille Fisher est un point de départ qui présente une norme qui ne cesse d’être mise à mal, celle de la famille en apparence unie, non divorcée, hétérosexuelle. La mort de Nathaniel et le fantôme de celui-ci qui revient hanter ses deux fils marquent le point de rupture et de non-retour vers la norme. Dans Madame Bovary, Gustave Flaubert écrit : « Il ne faut pas toucher aux idoles, la dorure en reste aux mains. » C’est exactement ce qui se passe dans Six Feet Under : les images idéales de la paternité sont déconstruites, s’effritent quand chacun des personnages essaient de s’y confronter.

Dans l’ombre de Nathaniel : Nate, le père impossible
La paternité pour Nate est problématique et inscrite dans une conduite d’échecs. Son retour dans la maison familiale, lors du premier épisode, coïncide avec la mort de son père, mort qui l’oblige à rester pour seconder son frère dans l’entreprise familiale de pompes funèbres, Fisher&sons. Dès lors, la quête existentielle de Nate commence, et, si elle s’élabore dans sa relation avec Brenda (Rachel Griffiths), elle se fait également dans l’ombre d’un père mort qu’il pensait connaître.
Premier idéal qui s’effondre : la famille unie. Même si Nathaniel n’était pas une idole pour Nate, il était toutefois un anti-modèle et représentait ainsi une illusion, en même temps qu’un symbole. Quand Nate découvre que son père détestait son métier, menait une vie parallèle, qu’il n’était pas celui que ses fils pensaient qu’il était, ses certitudes sont ébranlées, et cette révélation creuse un peu plus ses interrogations sur lui-même.
Deuxième idéal égratigné: le choix de la paternité. Nate devient père pour la première fois sans l’avoir désiré : il fait ses courses, tombe sur une amie, enceinte, qui lui apprend que la soirée qu’il avait passé à la consoler a eu quelques conséquences. Tout s’enchaîne très vite : culpabilité, volonté de réparer sa faute, acceptation de sa paternité, mariage, vie avec Lisa et leur fille. Mais en dépit de l’amour qu’il porte à son enfant, ce compromis entre la vie rêvée par Lisa et ses désirs à lui le frustre.
Un troisième idéal tombe alors : la famille idéale n’existe pas. Le père idéal encore moins. La dernière saison achève la tragédie du père qu’est la vie de Nate : Brenda, vers qui il est retourné, est enceinte de lui, mais là encore ce choix ne convient pas à Nate qui se sépare de Brenda, avant d’incarner le retour à l’origine de la série : la mort du père. Mais si Nathaniel meurt alors que ses enfants sont grands, Nate meurt quand les siens sont encore petits : son parcours existentiel n’a pas encore eu le temps de les affecter. Du moins, nous ne le saurons pas.

David, le nouveau père
La paternité est-elle alors un échec complet ? Du point de vue de Nate, oui, mais uniquement parce qu’il a voulu s’insérer dans des normes sociales idéalisées qu’il a choisies par défaut. La réussite de la paternité, ou d’une paternité, car la série nous montre bien que c’est un concept pluriel, existe : elle est dans ce qui vient renverser l’hétérosexualité, la norme des normes. Le seul exemple de paternité désirée, assumée et réussie est celui de David, le second fils de Nathaniel. En couple avec Keith, c’est lui qui ressent le besoin d’avoir des enfants en premier. Ils ont d’abord recours à une mère porteuse, en vain.
La série déconstruit un peu plus l’image de la paternité traditionnelle : elle n’est pas hétérosexuelle, elle est encore moins biologique, puisque la paternité de David se réalise dans l’adoption, non pas d’un bébé, mais de deux enfants, dont un presque adolescent. Les scènes entre David, Keith et leurs deux enfants cristallisent toute la tension de la paternité, et au-delà, de la parentalité : refus de l’autorité, refus également de l’amour sans bornes de David, mais construction, au fur et à mesure, d’une relation profonde qui redonne un sens à la famille. David est un père maternel, dans le sens où il se comporte selon le rôle traditionnel dévolu à la mère : il est patient, apaise les conflits entre Keith et les enfants, console et cajole. Mais son sexe, culturellement, le fait père. Cette double posture donne tout son sens à la quête de la paternité dans la série : le renouveau des modèles est nécessaire pour libérer de la difficulté à être père. Il faut accepter d’avoir de la dorure aux mains, pour tracer de nouvelles idoles.

Six Feet Under est une série américaine achevée de 63 épisodes (5 saisons), créée par Alan Ball et diffusée sur HBO entre le 3 juillet 2001 et le 21 août 2005.

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