#25-La Révolution Demy : rétrospective à la Cinémathèque française

15 mai 2013
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Si révolution signifie « mouvement en courbe fermée autour d’un axe ou d’un point, réel ou fictif, dont le point de retour coïncide avec le point de départ », alors, sans aucun doute, le cinéma de Jacques Demy est une révolution. Le mouvement, la courbe, le réel et le fictif, le retour au point de départ, tant de ces touches qui font la grâce de ses films. Chez Demy, les amoureux reviennent toujours sur leurs pas. Guy à Cherbourg, Simon Dame à Rochefort, Michel à Nantes… Pas étonnant, dans ces villes portuaires, que les personnages suivent les mouvements des marées. Le cinéma de Demy est comme une vague. Et lui-même, qui est monté à Paris pour faire du cinéma, revient à Nantes pour y tourner.
Si révolution signifie « temps nécessaire pour effectuer ce mouvement et qui est estimé par le retour à une étoile fixe, ou relativement au soleil et à la lune », le cinéma de Demy est une révolution qui transporte jusqu’à des robes couleur de lune, couleur de soleil, couleur du temps. Comme le dit Guy dans Les Parapluies de Cherbourg« C’est étrange, le soleil et la mort voyagent ensemble. » Il y a de ça aussi, sûrement, dans la révolution Demy, mêler le soleil et la mort, les couleurs et la tristesse, le lyrisme et la noirceur, la musique et l’engagement, la danse et la solitude, le conte et l’abandon. Le monde de Demy n’est pas enchanté. Il est bien, comme l’intitule l’exposition, enchanté. Demy n’a pas besoin d’assombrir ni ses couleurs ni ses dialogues pour décrire la noirceur du monde. Le côté acidulé n’est souvent que l’enrobage sucré qui fait passer l’amertume de la pilule. « Un film léger parlant de choses graves vaut mieux, selon lui, qu’un film grave parlant de choses légères. »

Si, enfin, révolution signifie « évolution des opinions, des courants de pensée ; découvertes, inventions entraînant un bouleversement, une transformation profonde de l’ordre social, moral, économique, dans un temps relativement court », alors, définitivement, le cinéma de Demy est une révolution.
La guerre déploie son ombre sur Les Demoiselles de Rochefort. L’engagement politique et la révolte des ouvriers sont le sujet du film Une Chambre en ville. Mais, bien avant, en 1963, Les Parapluies de Cherbourg est le premier film français à parler explicitement de l’Algérie et des vies brisées par la guerre.
Et pas seulement. La condition féminine est au cœur du film : on ne fait pas d’enfant sans mari. La femme seule avec son enfant revient comme un leit-motiv dans l’œuvre de Demy. C’est Anouk Aimée dans Lola, mais aussi Madame Desnoyers, la mère de la jeune Cécile. Danielle Darrieux a « eu par hasard deux jumelles » dans Les Demoiselles. Elle vit encore seule avec sa fille dans Une Chambre en ville. Ce sera au tour de Françoise Fabian dans Trois places pour le 26. Ces femmes seules qui choisissent pour leurs filles des maris qu’elles semblent bien désirer elles-mêmes, c’est aussi une façon d’aborder l’inceste, qui est le sujet de Peau d’âne.
La femme qu’on achète ou qu’on vend, la femme qu’on modèle, la femme qu’on bride, et puis la femme qui s’émancipe, qui exprime et vit son désir, voilà les héroïnes des films de Jacques Demy, bien plus nombreuses, d’ailleurs, que les héros, dans son cinéma.

Demy démystifié ? 

La Cinémathèque française revient sur l’oeuvre du cinéaste et lui rend hommage avec une très belle exposition et une rétrospective intégrale. L’occasion de se plonger dans son univers si particulier, de revoir ses classiques et même de découvrir certains de ses films inédits en France.
L’exposition ne démystifie pas Demy. Elle n’ôte rien au rêve. Elle a beau raconter les premiers pas, révéler l’envers du décor, dévoiler les pages de notes, la magie reste intacte. Car le merveilleux n’est pas réservé à son adaptation du conte Peau d’âne. Demy s’inspirera d’une autre légende avec Le Joueur de flûte, d’un manga avec Lady Oscar, jusqu’à la mythologie grecque dans Parking. Que dire de L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune, qui met en scène Marcello Mastroianni enceint(e), si ce n’est qu’il relève de la fable ?

Fidèle à l’œuvre de Jacques Demy, l’agencement de l’exposition laisse apparaître les films les uns à travers les autres. On circule en suivant les courbes du parcours et, plongé dans les papiers peints des Parapluies, on aperçoit par la fenêtre la boutique d’art ou le magasin de musique des Demoiselles. L’œuvre de Demy apparaît alors comme une Comédie Humaine enchantée, dans laquelle les personnages se croisent et s’échangent. La petite Cécile de Nantes rappelle Lola quand elle était jeune. Celle-ci ira plus tard faire un tour à Los Angeles, dans Model Shop – après s’être fait voler son mari par la Jackie de La Baie des anges –, avant de se faire découper en morceaux à Rochefort, tandis que Roland Cassard montera jusqu’à Cherbourg. Jacques Perrin incarne l’idéal masculin de Catherine Deneuve, dans Les Demoiselles comme dans Peau d’âne, dans lequel Jean Marais est le roi ainsi que dans Parking. « Mon idée, dit Jacques Demy, est de faire cinquante films qui seront tous liés les uns aux autres. »

L’exposition attrape le visiteur comme un familier. On se sent chez soi. Comme si l’on appartenait déjà à la grande famille des Geneviève, des Maxence et des Lola. Et l’on écoute, presque tel un confident, les anecdotes et les histoires de tournage.
C’est l’occasion de découvrir comment le premier film d’Harrison Ford aurait dû être le premier film américain de Demy, comment ils ont travaillé ensemble sur Model Shop, entre repérages et essais, comment le réalisateur français a tout de suite cru en cet aspirant acteur américain, comment la production s’est opposée au dernier moment à ce casting, ne voyant absolument aucun avenir à ce jeune inconnu… Harrison Ford ne semble pas rancunier, mais on se prend à imaginer ce qu’aurait été une rencontre entre Lola et lui !
Un peu plus loin, c’est Jeanne Moreau qui confie un souvenir symbolique. Pour La Baie des anges, Demy voulait qu’elle porte la guêpière de Lola. « Si ça lui fait plaisir ! » sourit-elle. Il faut dire que la guêpière, avec le marin, est un motif récurrent dans l’imagerie de Demy.

Le chaland se contentera sans doute d’un jean cigarette blanc avec des tennis en toile et l’envie lui prendra de se déplacer en développés enveloppés tout au long du parcours, en faisant des pirouettes et des pas chassés autour d’une bouche incendie acidulée.

Rétrospective à la Cinémathèque, quelques dates :

Le Joueur de flûte : vendredi 24 mai à 19h (inédit en France)
Lady Oscar : samedis 25 mai à 14h30 et 1er juin à 21h (inédit en France)
Parking : dimanche 2 juin à 14h30
L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune : vendredi 17 mai à 15h
La Baie des anges : samedi 25 mai à 19h, version restaurée en 2013
Les Demoiselles de Rochefort : samedi 1er juin à 14h30
Les Parapluies de Cherbourg : lundi 3 juin à 20h, à l’occasion des 50 ans du film, projection de la version restaurée en 2013
Trois places pour le 26 : dimanche 2 juin à 19h
Une chambre en ville : jeudi 30 mai à 19h
L’exposition Le monde enchanté de Jacques Demy est ouverte jusqu’au 4 août 2013.

Bon à savoir : le billet offre un demi-tarif pour l’exposition Musique & Cinéma à la Cité de la musique.
Bon plan : à l’occasion de la Nuit des Musées, samedi 18 mai, la Cinémathèque française propose une Nuit des Musées enchantée avec ouverture de l’exposition et du musée, visites enchantées et séances de courts métrages conçues par les jeunes de l’Autre Ciné-club. Le tout de 19h à 1h du matin. Entrée libre.

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One Response to #25-La Révolution Demy : rétrospective à la Cinémathèque française

  1. 15 mai 2013 at 20 h 41 min

    expo sensas que je ne pourrais jamais voir. Merci pour le décryptage

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