#23 Comment devient-on parent ?

15 mars 2013
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Le débat sur le mariage pour tous a eu l’avantage de poser de vraies questions sur le fait d’être parents. Qu’on soit homo ou hétéro, qu’on soit pour ou contre le projet de loi, chacun a été amené à se poser la question : Qu’est-ce qu’être parent ? Des mères célibataires aux pères biologiques en passant par les familles recomposées, tout y passe. Comment être parent, non pas dans le meilleur des mondes, mais aujourd’hui, en vrai ?De l’avis de tous, être parent, c’est donner le meilleur. Et, paf ! dans la tête de beaucoup, cela implique, déjà, qu’il n’y ait qu’une façon de donner le meilleur. Corollaire : qu’une façon d’être le meilleur parent. D’où ce concours à qui sera le meilleur.
On a tout entendu. Avec un mépris incommensurable pour tout ce qui n’est pas la norme. Et pas uniquement envers les homosexuels, loin de là.
De la marâtre à la seconde maman

Le slogan « 1 papa + 1 maman » va à l’encontre de toutes les sociétés qui vivent autrement. Les enfants y naissent pourtant. On brandit la menace de la polygamie. Telle un gros mot. Si la polygamie est interdite en France, est-elle un crime ? Doit-on illico rompre toute relation diplomatique avec les pays où elle est en vigueur ? Surtout, faudrait-il dire que tous les enfants nés sous le régime polygame sont gravement traumatisés ?
Il ne faut pas non plus être hypocrite et croire que les Français auraient un comportement sinon irréprochable du moins monogamique. Le droit au divorce ne donne finalement droit qu’à une chose : avoir plusieurs femmes ou maris dans sa vie. On n’est pas si loin de la polygamie. Sans parler des familles recomposées qui en découlent directement. Que dire de ces nouvelles et nombreuses fratries qui ont bien 1 papa + 1 maman + 1 beau-papa + 1 une belle-maman et parfois davantage ? On n’a d’ailleurs pas attendu le divorce pour cumuler les fratries. Le veuvage fut pendant longtemps une situation propice au (re)mariage. Alice Ferney en fait un très beau et poignant roman dans L’Elégance des veuves, inspiré d’une histoire vraie. Dans une France nataliste, qui a souffert deux guerres, il faut peupler.
On a d’ailleurs récemment pu lire sur Twitter :
Tiens, le père de Cendrillon s’est remarié parce qu’il pensait que sa fille avait besoin d’une mère. On voit ce que ça a donné. 
Imposer à une femme ou un homme la charge d’un enfant qu’il n’a pas choisi, encore moins conçu, ce n’est pas simple. Il ne prétendra jamais être le parent de cet enfant et peut-être ne se considérera-t-il jamais comme tel. Blanche-Neige aussi s’en souvient. Au contraire, qui Œdipe considère-t-il comme ses parents ? Certainement pas Jocaste et Laïos. Élevé par Polybe et Mérope à Corynthe, Œdipe apprend qu’il ne serait pas le fils de ses parents. Il part consulter l’Oracle. Celui-ci ne répond pas à sa question, mais lui prédit qu’il tuera son père et épousera sa mère. Effrayé, il décide de ne pas rentrer à Corynthe, afin de préserver ses parents. On connaît la suite. Mais sa décision prouve une chose : quels que soient ses géniteurs, ses parents sont bien Polybe et Mérope. Au final, il aura commis inceste et parricide sans jamais pourtant toucher à ses parents. Lorsqu’un homme ou une femme souhaite élever un enfant comme le sien, toute la donne est changée. L’adoption, par un hétérosexuel ou par un homosexuel, est une filiation comme celle de la procréation par coït.

Parent vs. Géniteur 

Comme le dit Martine Gross, sociologue au CNRS, « Si des couples de femmes témoignent ne pas « vouloir d’un père » pour construire leur famille, cela ne veut pas dire qu’elles nient l’existence d’un géniteur. Géniteur et père ne sont pas synonymes. Ces couples de femmes distinguent clairement paternité et procréation et leur conception de la paternité fait honneur aux pères. Elles les considèrent comme des personnes qui s’impliquent au quotidien auprès de leurs enfants et ne font pas que contribuer à donner la vie. » Un père, c’est autre chose qu’un géniteur. On a d’ailleurs coutume d’avancer le nombre de 10 % d’enfants qui ne sont pas les enfants légitimes de leur père. Cette assertion est contestée, faute d’étude elle-même légitime. Cela étant, l’idée d’une pareille étude impose de se demander « Comment déterminer, dans un échantillon anonyme, la part de la légitimation volontaire, par la reconnaissance ou le mariage, d’un enfant que l’on sait ne pas être le sien, la part des inséminations artificielles, celle des adoptions plénières, c’est-à-dire l’ensemble des paternités volontairement assumées, qui n’ont rien à voir avec l’adultère ? » On peut être père sans être géniteur. Et on peut l’avoir choisi, oui. « La présomption de paternité n’est rien d’autre qu’un engagement à l’avance à prendre pour enfants ceux qui naîtront dans le cadre des noces, nul besoin que le père soit réellement le géniteur. La reconnaissance est l’engagement d’un homme à prendre un enfant pour fils ou fille, peu importe qu’il en soit ou non le géniteur. » 

Droit à l’enfant ou droit de l’enfant

Qu’un couple soit hétéro ou homo, est-ce à l’État de lui donner un enfant ? Il peut paraître en effet quelque peu étrange que l’État vienne se mêler de procréation. Que la nature, la science, le bricolage maison – et même pourquoi pas l’amour ! – s’en occupent est une chose. Mais pourquoi l’État ? Les citoyens naissent libres et égaux en droit, certes. Un citoyen qui se retrouverait sans enfant pourrait-il alors porter plainte contre l’État de n’avoir pas pourvu à sa généalogie future ? Est-ce le devoir de l’État de s’assurer que ses citoyens puissent être parents ? En ce cas, si un couple n’a pas les moyens d’habiter un domicile assez grand pour y élever des enfants, l’État serait donc obligé d’offrir à ces citoyens un appartement qui leur permette d’assumer leur fécondité. Ah oui, c’est le cas. Allocations, HLM, le droit à l’enfant existe.

On a eu beau défendre le droit de l’enfant des deux côtés de l’hémicycle, la loi française considère le droit d’être parent et même le droit à l’enfant. Aujourd’hui, il est extrêmement rare qu’un parent se voit déchu de son autorité parentale, malgré des cas de maltraitance grave patente, avérée par un jugement. De nombreux enfants sont régulièrement retirés de leur famille et placés dans un autre foyer ; cela n’implique pas pour autant que les parents en faute soient démis de leurs responsabilités. Pour de nombreux enfants, cela signe l’impossibilité de se reconstruire. Le meilleur pour l’enfant, disait-on ? Ah non, pardon, le droit de l’enfant.

Permis d’être parent ou diplôme du meilleur parent ? 

Tout le monde est d’accord : être un bon parent n’est pas simple. D’ailleurs, on prend des cours avant. Euh… en fait, non. On prend bien des cours d’accouchement, auxquels sont effectivement conviés les parents. Point de cours pour apprendre à être parents. On peut lire des livres, enquêter auprès des proches, n’empêche, quand vient le moment de s’occuper concrètement de l’enfant, c’est un peu comme pour l’accouchement, on est en roue libre. Comme le rappelle Sylvie Lévesque, « pour la très grande majorité des parents, il s’agit d’un apprentissage, de capacités qui se développent au fur et à mesure que croît l’enfant. (…) Je me rappelle très bien mon désarroi dans les jours suivant la sortie de la maternité, face à un nouveau-né en pleurs et inconsolable. Mon conjoint, qui n’avait jamais approché un poupon de sa vie, n’était guère mieux. Nous étions, à l’instar des autres nouveaux parents, en mode découverte et apprentissage, vitesse accélérée. Pourquoi donc exiger d’un groupe la démonstration d’acquis alors que cela n’est pas valable pour d’autres ? »

Procréation contrôlée ou assistée 

Parce que des couples, homo ou hétéro, ont des démarches à faire pour avoir un enfant, ils seraient moins bons parents que ceux qui font des enfants sans réfléchir ?
La procréation contrôlée est le symbole de l’humanité. C’est même sans doute ce qui différencie l’homme des autres animaux. Les Grecs – encore eux – l’avaient déjà compris lorsqu’ils écrivirent le mythe de la naissance d’Aphrodite. Aphrodite n’est pas que la déesse de la beauté. Elle est aussi celle de l’amour et de la procréation contrôlée. Si, si. D’autres déesses ont à charge le couple, la maternité ou le foyer. Aphrodite, Vénus chez les Latins, vient au monde pour en finir avec la fornication qui n’a pas conscience de la fécondation qui peut s’en suivre. Démonstration.
Il y a très très longtemps, Ouranos, le Ciel, était marié à Gaia, la Terre. Il ne faisait qu’un avec elle, la couvrant sans cesse, sans cesse la pénétrant, la possédant, l’ensemençant. Sauf qu’il ne se retirait jamais. Les enfants nés de ces unions ininterrompues devaient rester dans la matrice originelle, la Terre, et n’en pouvaient sortir. Leur existence était niée. Ouranos forniquait sans se soucier de savoir qu’il engendrait. Vint le jour où Gaia n’en put plus. Elle fomenta un attentat avec l’aide de son fils Chronos, un titan. Celui-ci, alors que son père s’accouplait une nouvelle fois avec sa mère, lui trancha le sexe et le jeta dans la mer. Toutes les créatures purent sortir du ventre de la Terre et enfin voir le jour. Du sang d’Ouranos naquirent de petites îles. La semence du Ciel, tombée dans la mer, donna naissance à Aphrodite, en grec « née de l’écume » – et quelle écume. Sa naissance symbolise la procréation contrôlée, la prise de conscience, par les humains, que l’acte sexuel peut induire une fécondation. Déesse de la contraception, pourrait-on dire. Et l’on commença à dissocier plaisir et naissance. La sexualité est née. Et elle se différencie de la procréation.
La vie sexuelle étant indépendante de la vie procréatrice, on en vient aussi à se demander pourquoi rester dépendant d’une horloge biologique féminine. Puisque la science permet désormais aux femmes d’avoir des enfants plus tard, qu’y a-t-il de choquant à congeler quelques ovules pour réellement choisirquand avoir ses enfants ? Comme le rappelle Peggy Sastre, « depuis des milliers d’années des hommes « mûrs » font des enfants à des femmes beaucoup plus jeunes qu’eux, depuis des milliers d’années des enfants ont des pères vieillissants dont ils doivent « gérer » la déchéance… » Pourquoi les femmes devraient-elles encore subir le poids du soi-disant « droit des enfants d’avoir des mamans « jeunes et jolies » » ?

Devenir parent, c’est peut-être commencer par accepter qu’il n’y a pas qu’une façon d’être parent, comme il n’y a pas qu’une façon d’être enfant.
Être un papa ou une maman, c’est beaucoup. Et c’est loin de se résumer à spermatozoïde ou un ovule. Très loin.

Les articles recommandés, complets, passionnants et plus pointus à lire sur le sujet :
http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/02/05/fonder-la-filiation-sur-l-engagement-parental-plutot-que-sur-la-nature_1827329_3232.html
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/771465-mariage-pour-tous-les-parents-homos-sont-parfois-en-avance-sur-les-heteros.html
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/731491-egalite-des-sexes-et-maternite-tardive-alice-au-pays-des-meres-vieilles.html

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