« Révolution…» Plongée dans mes pensées le regard vogue sur le courant abstraction, d’une tentative de représentation à une autre. Même si j’affectionne ce terme tout particulièrement (côté picaresque), comme beaucoup d’autres mots, il m’est difficile de lui donner une définition satisfaisante. Et celles que je trouve sur l’Internet n’ont pas hissé la grand-voile. Révolution ressemble à un mot valise à capacité maximale verrouillée par une combinaison à huit chiffres. Chacune de ces malles aurait un point commun : un petit caisson rempli de fripes violemment déchirées. Anarchiques. Sanglantes. Imputables en partie à ce lien très particulier qui lie notre mémoire individuelle au collectif, réduisant notamment la révolution à la « révolution française » de 1789. Pourtant la violence est ailleurs de nos jours. La violence trace son sillon de proche en proche, investit chaque être comme le ver parasitaire, s’insinue rampe et n’en finit pas de grossir. Il est bien nourri le bougre ! Pire, les coups mortels sont assénés dans la passivité la plus complète (voire même la complicité) de ses hôtes. Une passivité qui réside dans la volonté d’accomplir un destin qu’on croit extraordinaire alors qu’il ne l’est pas. En pensant que la louve sommeille encore, par intermittence, que le poids des traditions s’étiole à coups de self-made man qui fait ce qui lui plaît plaît plaît. Une vraie plaie oui. Ouverte, cuisante. Leurre d’être libéré des chaînes institutionnelles. De racine latine revolvere qui signifie retourner, la révolution tourne en boucle alors qu’elle devrait tout tourner dans tous les sens. Dans un contexte individualiste, l’individu ne pense qu’à lui et il retombe toujours sur ses griffes, éclatant d’un rire de hyène gras. Retourner c’est aussi causer une violente émotion, mettre tous ses sens en « et moi » ? Et si la révolution passait alors par la compassion ou, à défaut, un peu d’empathie ? Ressentir de la compassion pour les hommes et les femmes au visage émacié, aux rides prononcées, à la vieillesse visible avant l’heure. Vecteurs d’un métier difficile et éreintant, le poids de la vie s’est abattu sur leurs épaules, rendant leur démarche proche de celle du chimpanzé, la nuque ronde coiffée d’une tête lourde. Leurs regards me touchent profondément. Je crois que c’est ce qui me saute au visage comme si ils me crachaient dessus. Ils auraient bien raison d’ailleurs car je ne fais rien, je les vois, et c’est tout. Je les vois peut-être parce que j’ai peur. J’ai peur car je sais que je ne suis pas différente, que rien ne nous sépare. J’ai comme conscience d’une souffrance qu’ils ne ressentent peut-être même pas. Et surtout parce que pour ceux-ci je me dis que je ne peux rien faire si ce n’est les voir. Je chasse l’émotion vive en me raccrochant à ma chance comme la cendre rouge d’une cigarette qui se consume. Fragile. La situation est telle qu’un peu fatiguée je pourrais en pleurer. Etre touché serait-ce un début ? La révolution serait de voir ces personnes. Et les autres, dans la rue, le métro, les boutiques, au bord du lac, partout. Tous ne sont pas si tristes et certains ont juste besoin d’un petit coup d’pouce lambda à un instant t. Comme cette personne en peine à la gare, avec ses deux énormes valises chargées d’un âne mort. Cette dernière qui rate une marche dans l’escalator, une autre qui glisse dans le bus. Aider une dame à choisir sa paire de bas à monop’ n’est pas épuisant non plus, pas même que les quelques mots qu’elle vous échangera sur sa condition de vieille dame. L’empathie s’est envolée. Peut-on lui redonner le cap ? Heureusement certaines personnes s’y adonnent pleinement, de par leur métier leur engagement. Je les admire. D’autres diront que la révolution c’est d’abord sauver la Terre qui s’épuise. Et la bonne direction c’est bien de lui donner la main avant qu’elle ne se tétanise.
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