#21-Caïds story. Les héros du grand banditisme

15 janvier 2013
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Avec Caïds story, le journaliste et spécialiste du crime Jérôme Pierrat, a choisi de mettre à l’honneur les grands truands. Il nous propose ainsi une plongée dans l’univers du grand banditisme mais aussi un voyage à travers le XXe siècle.

Quoi ma gueule ?

Grâce à Jérôme Pierrat on découvre tout d’abord des gueules car Caïds story fait la part belle aux photographies, souvent superbes. Certaines sont attendues comme celles de ces gros durs, sérieux devant l’objectif tandis qu’ils tiennent entre leurs mains une petite pancarte indiquant leur nom. D’autres nous emportent dans le quotidien de ces truands qu’on découvre à la terrasse d’un café ou à la communion du petit dernier. On les croise également, plus souvent, au tribunal quand ils ne posent pas, bien habillés, une cigarette aux lèvres. En tournant les pages, on réalise aussi que les codes vestimentaires ont bien changé au fil des années. Les grands tatoués du début du XXe siècle ont laissé la place aux messieurs bien habillés qui imitent leurs confrères américains. Et les beaux costumes se sont effacés, par la suite, au profit de tenues plus sobres permettant au truand de se fondre dans la masse.

Un détail unit pourtant ces truands. Tous ou presque ont gagné des surnoms qui peuvent parfois surprendre. Florilège : « Le barman », « Les lunettes », « Charlot les grands pieds », « Fraisette », « Miroir », « Tché-Tché », « La Terreur », « Le tatoué », « Le menteur », « La scoumoune », « Nez de Braise », « Le Chauve », « Le Basque », « Le Mammouth », « Le séminariste », « Fatalitas », « Le gros Roger », « La Carpe »… Certains accumulent même les surnoms comme Pierre Loutrel surnommé « Pierrot la valise », « Pierrot la voiture » et surtout « Pierrot le fou ». Quand une bande passe à la postérité, c’est tout le groupe qui bénéficie d’un surnom : Les « Lyonnais », les « Siciliens », « le gang des postiches »… On sourit devant l’inventivité de ces truands qui se renouvèlent souvent malgré quelques classiques, comme « le gros ». Ce surnom, apposé jusqu’à la mort au nom, pourrait presque faire figure de nouvelle naissance, comme un baptême qui signerait l’entrée dans le milieu. Le procédé ne pourrait-il pas aussi rappeler les épithètes homériques qui viennent, dans l’épopée, caractériser les dieux ou les héros ? Certains surnoms ont en effet pour but de rester dans les mémoires, pour le meilleur ou pour le pire. D’autres, pourtant, font seulement sourire…

« La geste du Milieu »

Si les chemins qui mènent au grand banditisme sont nombreux, ils s’achèvent bien souvent dans une impasse. La mort s’invite à la table des truands, et elle arrive bien souvent en avance. Quand l’échafaud n’accueille pas ceux que la société condamne, c’est une balle tirée par un autre caïd qui vient mettre fin à ces vies éphémères. A quelques exceptions près, l’espérance de vie d’un caïd n’est pas bien longue. Et pourtant… Nombreux sont ceux qui brûlent de tenter leur chance, et qui parviennent, partis de rien, à contrôler parfois toute une ville. Qu’est-ce qui pousse, au juste, à devenir truand ?

Sans apporter de réponse précise (en existe-t-il seulement ?) Jérôme Pierrat nous offre quelques pistes.

Le truand illustre tout d’abord le mythe du self-made-man à l’image des frères Guérini (Oui oui : ça ne s’invente pas…) qui, partis d’un petit village corse, vont réussir à prendre le pouvoir à Marseille pour finir à la tête d’un véritable petit empire. Voilà qui peut faire rêver certains jeunes gens aux dents longues.

Etre truand, c’est aussi, parfois vivre un quotidien riche d’aventures. Il y a ainsi, dans beaucoup de ces vies, une part de romanesque. Gaétan Lherbon de Lussayz, « sans doute le seul aristocrate du milieu » précise Jérôme Pierrat, a par exemple connu une jeunesse qui n’a rien à envier à celle de Rimbaud :

« A neuf ans, « le baron » fait sa première fugue. Il est arrêté à la frontière italienne dans un wagon de troisième classe. A treize ans, on le retrouve sur un cargo à Nice, déguisé en mousse. Un an plus tard, à Liverpool, le jeune aventurier prend le large comme aide-chauffeur sur un paquebot qui fait les deux Amériques. Au programme, vie de misère et de souffrance. Après deux ans de labeur, il gagne Londres. »

Si d’autres destins sont moins romanesques en apparence, il y a toujours, chez ces hommes qui choisissent de risquer leur vie, une part d’aventure, qu’il s’agisse de préparer minutieusement un casse, de mettre au point une filière de trafic de poudre blanche ou de lutter, les armes à la main, pour le contrôle d’une ville.

Quelques élus parviennent finalement à vivre comme des rois et chacun espère forger sa légende, à coups de casses retentissants, de règlement de compte ou de prises de pouvoir sanglantes. Jérôme Pierrat décrit ainsi le parcours type des truands entre 1920 et 1939 :

« l’aîné leur confie une mission et le minot se transforme en porte-flingue, inscrivant ainsi son nom dans la Geste du milieu ».

Il y aurait donc, dans le milieu, une « geste », c’est-à-dire un récit des hauts faits de ces truands, comme on pouvait en faire au Moyen Âge en racontant les aventures des héros…

Humains, trop humains

Surnoms, aventures, geste, légende. Le parallèle est tentant et le milieu lui-même semble chercher à transformer ses membres les plus illustres en héros….

Pourtant, si l’on veut bien se rappeler qu’étymologiquement le « héros » est un « demi-dieu », l’ouvrage de Jérôme Pierrat a également le mérite de nous montrer que les truands, loin d’être de véritables héros, sont des hommes comme les autres. Des hommes appâtés par l’argent et le pouvoir. Des hommes qui trahissent et retournent leur veste. Des hommes qui versent le sang, parfois pour rien. Des hommes qui, enfin, sombrent parfois dans le comique malgré leurs destinées tragiques.

L’aventure peut par exemple tourner à la farce, si sanglante soit-elle. La mort de Maurice Yves, dit « Maurice le Poissonnier » n’a rien d’héroïque. Le 21 mai 1949, il a ainsi « été abattu par erreur par son complice Désiré Polledri juste avant un braquage qu’ils devaient réaliser avec Emile Buisson. Assis à l’arrière d’une traction sur une route du Plessis-Robinson, Polledri a tiré par inadvertance à travers le siège conducteur alors qu’il assemblait une petite mitraillette. »

Le truand peut également commettre des gaffes. Alain Coelier, dit « P’tit Alain le Nantais » en a fait les frais.

« Il met les voiles. Direction : l’Espagne. Il va y être mêlé à l’enlèvement de Mélodie Nakachian, la fille de la chanteuse Kimera en novembre 1987. Une affaire montée par un Lyonnais et à laquelle vont participer des Parisiens et des Nantais. L’un deux va commettre une erreur version pieds nickelés qui sera fatale à l’équipe. Ce troisième couteau nantais oublie son portefeuille dans la cabine téléphonique d’où il a appelé les parents pour fixer le montant de la rançon… »

Dans Nous étions le milieu, Gilbert Béna dit « Gibus » revient sur son passé et raconte les aventures de la célèbre et puissante bande du Laetitia. Si son récit comporte de nombreux personnages intéressants, l’un des plus réussis est sans doute celui de Jacky, ce complice qui accumule les boulettes en oubliant le matériel, en trébuchant sur tout ce qui se présente ou en criant quand il faut agir discrètement….

Mais ce qui ramène le truand à sa condition d’être humain, c’est également la mort. Le plus grand des truands peut mourir comme le dernier des sous-fifres, abattu d’une balle dans la tête au coin d’une rue. Les Guérini, malgré leur empire et leur pouvoir n’échapperont pas à la mort : Antoine Guérini est abattu par « deux hommes casqués de blanc » qui « surgissent sur une grosse cylindrée rouge ». Son frère, Barthélemy Guérini dit « Mémé », échappe aux règlements de compte … pour mieux être victime d’un cancer du rectum. Francis Le Belge meurt en 2000 alors qu’il fait son tiercé au PMU. Un autre truand veut simuler un suicide, en prison, pour rejoindre l’infirmerie : il réussira, bien malgré lui, ce vrai-faux suicide.

Une autre Histoire du XXe siècle.

On ne peut donc pas faire du milieu un monde à part. Mieux, en revenant sur ces destinées, Jérôme Pierrat nous rappelle que le truand ne vit pas coupé du monde qui l’entoure. L’histoire du milieu, c’est aussi celle du XXe siècle.

La seconde guerre mondiale est peut-être la rencontre la plus évidente entre la « grande Histoire » et l’histoire du milieu. La terrible équipe du 93, rue Lauriston, cette « gestapo française » qui jouira, durant l’occupation, d’un pouvoir incroyable, est constituée d’anciens truands. Le « patron », Henry Chamberlin dit Lafont, a ainsi recruté son équipe parmi ses pairs, à la Prison de Fresnes… D’autres, comme Les Guérini ont fait le choix de la résistance.

Mais le milieu a vécu aussi au rythme des évolutions technologique. Au début du siècle, la célèbre « Bande à Bonnot » doit ainsi une partie de son succès à ses véhicules qui lui permettent de distancer ceux qui la poursuivent à vélo. Les armes se modernisent également tout au long du XXe siècle. Les braqueurs doivent enfin composer avec la modernisation des coffres, ce qui les poussera à se rabattre vers les transports de fond et, plus tard, vers le trafic de drogue. Dans Nous étions le milieu, Tony dit « Le Grec », complice de Gibus pour casser les coffres, résume bien la situation :

« La profession devient de plus en plus difficile. Au train où vont les choses, va falloir penser à se recycler. Les coffres et les alarmes suivent l’évolution et les ramassages quotidiens deviennent à la mode, et je ne parle pas des chèques et des cartes de crédit. »

Dans les années 80, le grand banditisme connaît lui aussi la crise…

L’histoire du milieu est enfin liée à l’histoire politique, tant les truands entretiennent des liens souvent étroits avec les dirigeants. Matthieu Mattéi, patron du milieu grenoblois est « l’un des fondateurs du service d’ordre du RPF en 1947. Il aurait même été chauffeur de Georges Pompidou, alors Premier Ministre, lors de sa visite à Grenoble en 1967 ». On notera ici l’usage, prudent, du conditionnel, mais l’image est belle, et lourde de sens : un truand qui conduit le premier ministre à bon port… A Marseille, les rapports de force se dessinent également en fonction de la couleur du conseil municipal, chaque camp ayant ses truands attitrés. De même, le nom de Gaston Defferre revient souvent dansCaïds Story…

Loin d’être isolé, le Milieu semble donc au cœur de la société. En 1943 déjà, les obsèques de Carbone, grand caïd marseillais, montrent que le truand n’est pas seul dans sa conquête du pouvoir :

« Le truand a droit à des obsèques grandioses. Plus de trois mille personnes se pressent à Sainte-Marie-des-Batignolles. Toute la pègre, bien sûr, mais aussi des personnalités : le secrétaire d’Etat Paul Marion, membre du PPF, l’ambassadeur Abetz et bien d’autres dont… Tino Rossi, qui chante l’Ave Maria. »

Si le Milieu a ses règles et ses codes, le truand n’est finalement pas coupé du monde : il vit au rythme de ses évolutions.

Alors, héros, le truand ?

Pour les autres truands, sans doute, mais on aurait tort d’en faire un héros au sens traditionnel du terme. Ce serait transformer la réalité en mythe alors que Jérôme Pierrat semble attaché à ne pas idéaliser ces figures qui pourraient fasciner. Ce serait aussi oublier la part d’humain, et donc de grotesque, nichée en chaque caïd. Si le truand est un héros, il appartient sans doute davantage au drame qu’à la tragédie ou à l’épopée, parce qu’il est, comme chaque homme, un « être complexe, hétérogène, multiple », pour reprendre les mots de Victor Hugo dans la préface de CromwellEt Jérôme Pierrat, finalement, aurait pu conclure, comme Hugo à la fin de sa longue préface : « Voilà donc l’homme, voilà l’époque qu’on a tenté d’esquisser dans ce livre»

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