Si Forrest Gump a affirmé que la vie, c’est comme une boîte de chocolats, alors The We and the I démontre que l’adolescence, c’est comme un bus à la sortie des cours. Le nouveau film de Michel Gondry (Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Soyez sympas, rembobinez, L’Épine dans le cœur) passe en effet le plus clair de son temps à l’intérieur d’un bus qui ramène chez eux les lycéens d’un établissement situé dans le Bronx. Les quelques scènes hors-bus qui parcourent l’histoire font appel à divers registres et divers éléments de l’univers adolescent, que l’on parle de fêtes ou de pizzas (la nourriture par excellence des ados, ou en tout cas de mon adolescence), sur un ton ultra-réaliste ou joliment onirique. Parfois même les deux. Comme ce bus, en somme : réaliste car il s’agit d’un vrai bus des transports new-yorkais, conduit par une vraie conductrice de bus, mais qui s’inscrit dans une autre dimension spatiale et temporelle, traversant un Bronx aux contours fictifs.
Ce qui est intéressant aussi avec ce bus, c’est que c’est un bus de ville, et non un car scolaire, comme on peut en voir dans les films américains. Il y a donc à bord des personnes extérieures au lycée, des citoyens lambda, des mères de famille, des travailleurs, des personnes âgées… Si le film reste centré sur les personnages adolescents, il se nourrit également des interactions entre les lycéens d’un côté et les adultes « extérieurs » de l’autre. On assiste alors à un échange (souvent musclé) entre générations, qui offre notamment un clash assez folklo entre une grand-mère et un des ados appartenant à la bande « des petits cons du fond ».
Parce que le monde de l’adolescence s’apparente souvent à une bulle, on en oublie parfois que les ados évoluent aussi dans une société, au-delà du cercle amical et familial. Comment s’affirmer à cet âge autrement qu’en se frottant à ces trois univers ? Et sans délaisser au passage son propre monde intérieur ? Ce n’est pas pour rien qu’adolescence rime, dans la réalité et dans l’imaginaire collectif, avec la quête de soi, la quête de sa propre voix.
La voix, c’est le thème central de cette fiction divisée en trois actes : « The Bullies » (aucun terme équivalent en français, littéralement ce serait les « bourreaux » des boucs émissaires), « Chaos » et « The We and the I » (« le Nous et le Je »). La cacophonie laisse place peu à peu à l’émergence de voix individuelles, les comportements changent au fil des arrêts, les personnalités évoluent… Certains ados se révèlent sous un autre jour une fois confrontés à d’autres personnes, montrant à quel point la notion d’identité est fluctuante à cette période de la vie.
Des personnages tels que Michael mettent en lumière la difficulté de s’affirmer quand on n’est pas sûr de la voix/voie que l’on veut suivre, surtout lorsque l’on doit se débattre avec des habitudes bien ancrées, des amitiés de longue date, et des changements en soi qui ne trouvent pas forcément d’écho chez les gens avec qui on traîne. D’autres, comme la meilleure amie de Laidychen, décident de prendre des risques, de faire le premier pas pour sortir d’une situation qui ne les satisfait plus, qui ne leur correspond plus.
Et puis il y a Alex, impressionnant de charisme, dont la présence traverse le film en silence jusqu’au troisième acte, où il se décide à prendre la parole, à faire entendre sa voix. Et quelle voix. Pleine de maturité, posée, assurée. Alex sait qui il est, il sait ce qu’il peut accepter ou pas, et il ne se laisse pas démonter. Par quoi que ce soit, par qui que ce soit. Ce qui explique probablement pourquoi il s’isole du vacarme ambiant en écoutant de la musique durant les trois quarts du film : il n’a pas besoin de la cacophonie pour faire émerger sa propre musique. Il a passé cette étape-là, contrairement aux autres.
Gondry est au final le réalisateur parfait pour mettre en scène l’adolescence, ses différents univers, ses différentes étapes, sa violence et sa créativité… ce monde entre deux, à la fois crû et poétique. On retrouve sa touche créative et originale, et son attention aux détails, que ce soit dans son traitement des personnages ou des décors. Tout sonne juste, ce qui permet aux « I » qui parcourent l’histoire de se faire entendre, et de former un « We » parlant et universel.
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