#17 – La philosophie des dessins animés : Jafar dans Aladdin, de la mesure avant toute chose !

11 octobre 2012
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En collaboration avec l’émission Philorama sur la R.A.M. (Radio Alpine Meilleure), voici le texte d’un de leurs « impromptus ». Ou comment philosopher devant un dessin animé !

Le personnage de Jafar n’est pas seulement une représentation de l’intriguant en politique. En tant que « méchant », il cumule, pour ainsi dire, les rôles et révèle un certain nombre de lacunes aussi bien morales que théoriques qui l’inscrivent dans la double tradition des figures de l’excès. Jafar est, en effet, un personnage doublement fautif et s’il se retrouve par sa propre faute piégé pour l’éternité dans la lampe à huile qui sert de prison à tous les génies, c’est tout simplement qu’il est incapable, aveuglé qu’il est par le pouvoir, de mesurer l’inconséquence mortifère de ses désirs sans limite.

Examinons le premier aspect de cette inconséquence. Jafar ne cesse, tout au long des aventures d’Aladdin que relate le dessin animé de Disney, de comploter afin de devenir « calife à la place du calife ». Sa « concupiscence », comme dirait saint Augustin, du pouvoir, ne le fait reculer devant aucun moyen. Il réussirait, n’était la bêtise et l’impuissance de son principal lieutenant, le perroquet Iago : figure doublement mimétique si l’on se souvient que dans Othello de Shakespeare, Iago est le fourbe et jaloux lieutenant d’Othello, le traître qui ne sera démasqué qu’ in extremis, alors que dans le film de Disney le perroquet Iago s’égosille à mimer les ordres de son maître et le ridiculise presque malgré lui. Cette fièvre du pouvoir, cet excès irrationnel et immoral (parce que contraire aux prescriptions de la Justice), c’est ce que les Grecs, dans l’Antiquité ont déjà identifié sous le nom d’Hubris. L’Hubris, c’est l’excès, le fait du « Trop » : trop boire, trop manger, trop de puissance humaine qui poussent les dieux à punir les hommes de leur orgueil démeusuré. L’avidité sans limite, le délire de la sur-puissance qui conduit Icare au fond de la mer pour avoir voulu côtoyer de trop près le ciel. Jafar a voulu « trop » de pouvoir (devenir « le plus grand génie que la Terre ait portée »), l’«Hubris » se retourne contre lui : le voilà prisonnier de la lampe !

Mais il commet aussi une faute logique. En 1641, Dans Les Méditations Métaphysiques, Descartes met en scène un Malin Génie dont l’œuvre principal est de me faire douter : douter que j’aie un corps, que le monde des objets et des êtres autour de moi existe bel et bien. Et force est de reconnaître que cette entreprise réussit parfaitement. Comment par exemple, ne pas avoir un doute sur le fait de savoir si je rêve ou si je suis bien éveillé ? Le film Matrix est tout entier fondé sur cette inquiétante hésitation. Seulement voilà, comme Jafar, le Malin Génie cartésien en veut trop : et après m’avoir fait douter que le monde et que mon corps sont des choses réelles et « réellement existantes », voilà qu’il entreprend de me faire douter aussi que je pense. Or, il commet là une faute logique absolue qui va ruiner toute son entreprise déstabilisatrice. En effet, le MG ne s’aperçoit même pas qu’en me faisant douter que j’ai une pensée, il ne fait que prouver de façon irréfutable que cette pensée existe : car comment pourrais-je douter si je ne pensais pas ? « Qu’il me fasse douter tant qu’il voudra, il ne pourra jamais faire que je ne sois quelque chose tant que je penserais être quelque chose ». CQFD. Chez Disney, Jafar, à la stupéfaction du gentil Génie bleu, ne s’aperçoit même pas qu’en faisant le vœu de devenir le plus grand génie de tous les génies, il se condamne lui-même à être désormais enfermé dans la lampe, car telle est la condition de tous les génies, fussent-ils surpuissants. De la mesure avant toute chose, disions-nous en commençant…

Et pour écouter l’émission d’où extrait cette chronique, c’est ICI.

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