#Étés 2012 – Révolution de la jeunesse au Québec : le regard d’Alexandre, 19 ans

1 juillet 2012
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Cet entretien a été réalisé le 1er juin 2012, peu après la rupture des négociations par le gouvernement Charest. Il s’est passé d’autres événements depuis, mais le mouvement continue toujours.

Alexandre a 19 ans. Il est Québécois, achève sa dernière au Cégep de l’Outaouais et a beaucoup de choses à dire à propos de ce qui se passe depuis maintenant trois mois dans les universités et les cégeps du Québec. Il fait partie de ceux que les opposants au mouvement étudiant appellent « les bébés gâtés », ces étudiants qui ont choisi de résister aux mesures du gouvernement Charest concernant la hausse des frais d’inscription. Mais pas que. En écoutant Alexandre, c’est contre une forme de société néolibérale qui méprise la jeunesse que les étudiants tentent de lutter.

De l’autre côté de l’Atlantique, dans cette France où les frais d’inscription à l’Université publique s’élèvent à une petite centaine d’euros par année, les bruits de ce qu’on appelle, plutôt ici d’ailleurs que là-bas, la révolution érable, ont commencé à nous parvenir depuis peu, amplifiés par le tintamarre des manifestations de casseroles qui se tiennent depuis le 22 mai.

Alexandre manifestant

Naissance du printemps érable

Si ma question est vaste – « Que se passe-t-il depuis trois mois au Québec ? – Alexandre l’accueille avec beaucoup d’aplomb et me livre une longue réponse détaillée. La première chose qu’il me dit, c’est que ces contestations étudiantes contre la hausse des frais ne datent pas de cet hiver : le gouvernement ayant annoncé la hausse, sans en préciser les chiffres, il y a deux ans, le mouvement contestataire est né à ce moment-là. Ce qu’Alexandre s’empresse immédiatement d’ajouter, c’est que ce n’est pas contre la hausse en elle-même que se fait la révolte, mais contre une double hausse : celle récemment annoncée par Charest s’ajoute à une autre hausse qui vient de s’étaler sur cinq ans, à raison de 100 dollars par an. 2007-2012 : + 500 dollars de hausse des frais. Le nouveau projet de Charest porte une nouvelle hausse sur 5 ans, mais cette fois de 325 dollars/an. Au total sur 10 ans, une hausse de 2125 dollars, soit plus de 127% des frais payés avant 2007…

Alexandre a participé à sa première manifestation en mars 2011, soit lors de l’annonce du chiffre de la hausse par le gouvernement Charest. En septembre, il s’est fait embarquer sans grande conviction dans l’association étudiante qui défend les droits des étudiants dans son cégep. Depuis, il est l’un des étudiants les plus impliqués dans le mouvement dans son Cégep, même si les cours ont repris au mois de mai (le vote de la grève n’ayant pas été reconduit). Mais avant cela, il s’en est passé des choses. Après une première session plutôt calme dans son cégep, les rumeurs de grève et la colère qui commençaient à gronder dans les autres universités du Québec ont poussé les étudiants de l’association à faire des marches de sensibilisation en faveur de la grève auprès des étudiants. « Au début, j’étais assez pessimiste, je pensais qu’on n’allait pas gagner le vote de grève » se souvient Alexandre. Mais le premier vote de grève fut remporté avec 76% des voix pour. Une entente est alors signée avec le cégep : si une ligne de piquetage symbolique était faite au cégep de 7h à 9h, la direction annulait les cours pour la journée. Résultat la première semaine : au total, sur les deux campus, 500 personnes aux lignes de piquetage, et après 9 semaines : une centaine de personnes. Un accord a également été passé avec certains programmes qui avaient des stages ou des examens nationaux pour que leurs cours puissent avoir lieu.

Ensuite, le mouvement se durcit un peu partout au Québec et la violence commence à faire son apparition. Pour disperser les manifestants, les policiers ont recours aux grenades assourdissantes. L’une d’elle a explosé près du visage d’un manifestant qui a perdu son œil. À Montréal, quelques manifestations sont accompagnées de vandalisme ce qui pousse l’éditorialiste Richard Martineau à pointer du doigt les étudiants. Cependant, face aux provocations du gouvernement, notamment celles de Charest qui invite les étudiants à venir travailler dans les mines lors de la présentation de son « Plan Nord » qui consiste à vendre les ressources dans le Nord du Québec à des compagnies étrangères, l’escalade de la violence s’amplifie. L’épisode de Victoriaville marque un tournant dans la dénonciation des violences policières : jusqu’alors critiquées uniquement par les étudiants, les journaux s’en font l’écho en diffusant les vidéos. Il faut dire que les policiers n’y sont pas allés de main morte lors de cette conférence que Charest a voulu délocaliser en dehors de Montréal pour plus de calme, croyait-il : utilisation de certains gaz lacrymogènes illégaux selon les règlements de Montréal, de balles caoutchouc qui sont mortelles à moins de trois et qui sont tirées à moins de cinq mètres, dans les jambes, pour faire reculer les manifestants. Mais certains sont visés à la tête : trois traumatismes crâniens, un œil perdu, plusieurs blessés. Alexandre est gêné mais réaliste : les étudiants se sont aperçus que, malheureusement, le gouvernement tente des négociations et des propositions après chaque épisode de violence. « Le message qu’on nous renvoie, c’est  »on vous entend quand vous êtes violents… » ».

Un conflit intergénérationnel

L’incompréhension. C’est ce qui ressort du discours d’Alexandre quand il me parle du caractère exceptionnel de ce mouvement : les grosses manifestations sont rares au Québec. Les dernières sont celles contre la guerre en Irak ou, en 1987, lors des accords du Lac Meech, quand il s’agissait d’inclure le Québec dans la nouvelle constitution canadienne.

Le mouvement mobilise car il dépasse un conflit qui ne concernerait que les frais d’inscriptions. « C’est un conflit intergénérationnel », m’assure Alexandre. Les « bébés gâtés » contre les baby-boomers, ceux-là mêmes qui ont profité, dans les années 60, de la Révolution tranquille et de conditions d’études idéales avec des frais qui paraissent ridicules aux jeunes générations et qui maintenant penchent vers le néolibéralisme. Incompréhension également entre les étudiants et l’opinion publique, qui estime que la police fait son travail et que les étudiants font des caprices. Incompréhension entre les étudiants et un gouvernement qui refuse désormais de négocier.

Cette incompréhension s’est accrue lorsque le gouvernement a décidé de voter la loi 78 perçue comme liberticide car elle touche au droit à manifester : tout rassemblement de plus de 50 personnes est illégal s’il n’est pas déclaré auprès des services de police et toute incitation à enfreindre cette loi est passible d’une amende. Elle touche également les universités en leur imposant l’obligation de la tenue des cours, interdisant toute manifestation à moins de 50m d’une université. Si l’injonction n’est pas respectée, les universités peuvent bloquer les revenus des associations étudiantes. C’est cette loi qui a fait naître le chant des casseroles au Québec : « Dans les premières manifestations, explique Alexandre, je connaissais tout le monde. Depuis l’apparition des casseroles, je ne connais presque plus personne tant les manifestants viennent de tous horizons : des familles avec enfants, des personnes âgées… Ils ne sont pas contre l’augmentation des droits, mais contre la loi 78. » Le mouvement étudiant devient alors un mouvement citoyen contre les atteintes à la liberté et une marche silencieuse de juristes a même lieu à Montréal.

Alexandre désobéissant

Une école de la vie et de la politique

Alexandre parle beaucoup. Même lorsque l’entretien est fini, il reviendra plusieurs fois ajouter des précisions sur la situation et sur son expérience. J’en profite d’ailleurs pour lui demander comment se sont passées ses arrestations – il a été arrêté deux fois, la première dans une arrestation de masse, la seconde alors qu’il allait prévenir les étudiants manifestant à l’intérieur du cégep que la police arrivait et qu’ils allaient les prendre en souricière – et sa journée en prison : « Le plus dur ce sont les deux/trois premières heures : j’ai paniqué en pensant que j’allais avoir un casier, que j’étais en cellule, puis je me suis calmé et je me suis dit que j’allais faire une sieste. Au début, je me suis dit que ça n’avait pas de bon sens, qu’on allait tous gagner. Je n’étais pas intimidé. Quand je suis sorti de prison tard en soirée, j’ai été pris d’un doute : est-ce que j’allais retourner manifester ? Et puis je me suis dit que c’est ce que cherchait le gouvernement : à faire douter les étudiants de leur engagement. J’ai continué de manifester. »

Une chose est sûre pour Alexandre : ce mouvement est une sacré expérience. « Je me dis souvent que la grève m’a demandé tellement d’efforts que j’ai plus travaillé ici qu’à l’école : j’ai appris ce qu’est la désobéissance civile, la brutalité policière, la gestion financière des universités. » A la rentrée prochaine, il sera étudiant en histoire à l’Université du Québec à Montréal et impliqué plus que jamais dans l’association étudiante de cette université.

Trois symboles du mouvement selon Alexandre
⁃ le carré rouge épinglé sur une veste, un sac ou un tee-shirt pour signifier son soutien au mouvement.
⁃ Gabriel Nadeau-Dubois, représentant de l’association étudiante la CLASSE, syndicat étudiant. Il est un peu ce qu’a été Daniel Cohn-Bendit en mai 68 en France.
⁃ l’Anarchopanda : un type déguisé en panda qui défile aux côtés des manifestants, qui a sa propre page Facebook et qui gratifie les policiers de câlins lorsque la tension monte, comme le montre cette vidéo.

Et sur le mode de la série « Bref » une excellente vidéo qui retrace les origines du conflit, les provocations du gouvernement québécois et les dérives de la violence policière :

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