#16 Enjeux de la démocratie scolaire : les AVS

2 juin 2012
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Existant depuis Janvier 2003, le statut d’AVS (Assistant de vie Scolaire) a pour vocation de permettre aux enfants présentant un handicap de poursuivre leur scolarité à l’école, au collège ou au lycée avec l’aide d’un assistant les accompagnant. Nécessaires du point de vue de l’égalité des chances, les AVS, payés au SMIC horaire, sont pourtant menacés du fait de leur coût pour l’Education Nationale, et ce d’autant plus que leur statut de contractuel ne les met à l’abri d’aucun non-renouvellement de leur missions. Témoignage de Marie L. , AVS dans le sud de la France.

(c)Manon Leroy

Comment devient-on AVS ?

Les AVS sont recrutés par l’Inspection Académique et les entretiens d’embauche se font à la chaîne dans les locaux du siège de celle-ci à Marseille. Aucun pré-requis n’est exigé sinon administratif : il faut être éligible à un contrat aidé. Pour ma part, la date de ma prise de poste correspondait à mes cinquante ans (pour une fois qu’ils servent à quelque chose !) et à mon temps de chômage avant cela. Je dois dire que mes interlocuteurs sont contents d’apprendre que je suis par ailleurs formatrice et que j’ai déjà travaillé pour des associations. Ils restent très évasifs quant au travail à fournir. La formation, faite par le chef d’établissement, n’arrivant qu’après le recrutement, bon nombre d’entre nous improvisent ! Il est rare que les contrats commencent avec la rentrée scolaire, en septembre ; le mien a débuté en avril et le renouvellement relève du parcours du combattant. L’IA doit d’abord nous contacter environ deux mois avant la fin du contrat pour signer une convention de contrat d’insertion. Mais ce n’est pas fini : les dossiers sont ensuite envoyés à Pôle Emploi qui doit les entériner et les envoyer à un établissement payeur avec leur accord, ce qui peut prendre un certain temps. Ce ne serait pas grave si ce n’était la condition sine qua non pour continuer à travailler! Cette année, j’ai attendu 15 jours que mon dossier soit entériné et pendant ce laps de temps, je ne suis plus couverte et suis donc sommée de rester chez moi en attendant, et l’enfant reste seul !

Comment s’effectue le premier contact avec un élève et qui sont les élèves pour lesquels votre aide se révèle indispensable?

Après qu’on a pris notre poste, on reçoit un courrier nous informant de notre affectation – tel élève dans telle école – et de la date de notre premier jour de travail. On se présente au chef d’établissement avant de commencer et c’est à ce moment-là que nous obtenons le plus de renseignements sur l’élève dont on va s’occuper. Si celui-ci est présent dans l’établissement à ce moment-là, on peut le rencontrer brièvement, ainsi que l’enseignant, si le chef d’ établissement est d’accord. Mais la vraie prise de contact se fait le jour où on commence : on se sent un peu parachuté… Les handicaps sont divers et variés et la découverte se fait à ce moment-là. C’est l’enseignant(e) qui me présente à l’élève et je m’attache en général à rassurer celui-ci ; je lui explique que je suis là pour l’aider, pour l’accompagner en classe, que nous allons travailler ensemble. Des renseignements complémentaires me sont donnés par l’enseignant qui m’aide à cerner les principales difficultés de l’élève. Cela peut aller de problèmes moteurs liés à son handicap (mal-voyance, motricité réduite) à des comportements difficiles (anxiété, violence, concentration réduite, fatigabilité, compréhension partielle) ; la palette est malheureusement très large ! Mais pour ma part et avant tout, je m’attache à créer entre l’enfant et moi une relation de confiance sans laquelle rien n’est possible ; et le temps que cela peut prendre n’est pas quantifiable à l’avance ! Mon aide est indispensable dans les gestes quotidiens : s’habiller et se déshabiller, aller aux toilettes (certains ne sont pas propres), s’assurer de leur confort, les aider dans certains cas à se déplacer et à manger à la cantine. Puis vient l’aide liée aux activités : ré-expliquer des consignes, adapter le matériel scolaire au handicap (les photocopies par exemple), adapter les séances de sport et y participer, aider à la mémorisation, à l’écriture, le mêler aux jeux, veiller aux contacts avec les autres.

Comment êtes-vous perçu par la communauté éducative: aussi bien par l’administration des établissements, que par vos collègues enseignants,et bien sûr aussi par les autres élèves ?

Dans toutes les écoles où je suis passée (il y a maintenant trois ans et demi que j’exerce), je dois dire que j’ai été bien reçue et même attendue avec impatience ! J’ai toujours travaillé en maternelle et les chefs d’établissements ainsi que les enseignants sont en général très contents de recevoir notre aide, la présence d’un élève handicapé dans une classe de trente élèves posant une équation supplémentaire délicate. Mais la présence d’un autre adulte dans une classe n’est pas anodine : l’enseignant peut se sentir jugé, surveillé et mal à l’aise. Je m’attache donc, avant tout, quand j’arrive dans une classe, à assurer l’enseignant qu’il reste la principale référence de l’enfant et que je ne suis là que pour apporter mon aide. Les activités et la façon de les adapter sont discutées ensemble ; je ne parle jamais aux parents sans la présence de l’enseignant, je lui fais part de toutes mes observations inhérentes à l’enfant et de mes suggestions, et j’invite l’enfant à s’adresser en priorité à son maître ou sa maîtresse autant que faire se peut. Cela permet à l’enfant d’avancer en confiance et à nous de travailler en toute sérénité. Les autres enfants savent pourquoi je suis là et je passe de groupe en groupe avec mon protégé selon les activités. Ils apprennent ainsi à assimiler sa différence, l’intègrent dans le travail comme dans leurs jeux et souvent se développe dans la classe une attitude de protection tacite qui rassure et aide à l’acquisition de son autonomie. Quand un bon climat s’installe en classe et que les relations sont harmonieuses, le bénéfice pour l’enfant est augmenté, la hiérarchie fait place à un esprit d’équipe qui aide à résoudre les difficultés. En formation cependant, j’ai appris que d’autres AVS ont connu des difficultés majeures, certaines dans leur relation à l’enfant (le handicap n’est pas toujours facile à appréhender) ou dans celle avec l’équipe éducative. L’exercice devient alors compliqué et quasi impossible à mener à bien. L’Inspectrice Académique, déjà débordée par le manque de personnel et les difficultés administratives, n’est pas d’une grande aide, et, souvent, l’AVS abandonne…

Comment se déroule une journée type ?

En général, j’essaie d’arriver un peu avant l’enfant, de manière à l’accueillir en compagnie de l’enseignant(e). C’est un rite nécessaire pour l’enfant : cela permet de poser les repères de sa journée. Si le parent doit nous parler ou nous signaler quelque chose, c’est aussi un moment de disponibilité appréciable. Au début de l’année, j’accompagne l’enfant dans les espaces jeux de la classe (le coin cuisine, la table de dessins et coloriages, l’espace des jeux de construction par exemple) et je le familiarise avec le matériel de la classe et ses camarades. J’observe son comportement et j’en profite pour lui apprendre les règles en situation : ne pas crier, ne pas courir, pas de violence, apprendre à partager et à communiquer, ranger. Ces règles étant les mêmes pour tout le monde, elles constituent un cadre indispensable à la vie de l’enfant en classe et vont favoriser sa sociabilité. Plus tard dans l’année, je le laisse aller seul vers les jeux et les autres élèves : son comportement à ce moment là nous permet, à l’enseignant et à moi-même, de savoir dans quel sens axer notre action lors des apprentissages. Puis vient le moment du « regroupement », où tous les élèves se retrouvent autour de l’enseignant et où celui-ci explique le programme de la journée. Je me tiens un peu en retrait et note si l’élève est attentif ou non, s’ il comprend ou pas, s’il participe ou s’il se tient en retrait.

Après le regroupement, les ateliers, où généralement je m’occupe d’un petit groupe incluant mon protégé. Malgré les difficultés de l’enfant, j’essaie de l’intégrer dans les groupes le plus possible, ne le prenant à part que s’il a de trop grandes difficultés à se concentrer ou s’il est trop fatigué et a besoin de s’arrêter un peu. J’emmène les enfants qui ne sont pas propres aux toilettes pour éviter les regards ou quolibets des autres qui pourraient les bloquer encore plus. Lorsqu’un progrès a lieu de ce côté là, je l’emmène avec les autres pour lui montrer que tout le monde va aux toilettes et essayer de le rassurer et de l’aider. J’essaie si possible de lui apprendre à s’habiller car tout vise à le rendre le plus autonome possible. La récréation arrive ensuite. Je me tiens également en retrait, et l’observation reprend : se mêle-t-il à ses camarades, reste-t-il en retrait, est-il violent, a-t-il peur, comment est-il appréhendé par les autres enfants ?… Ce moment de liberté surveillée est une mine d’informations pour tous. Enfin, retour en classe où je reprends l’aide aux apprentissages à un rythme que j’apprends à connaître au fil du temps. J’ai eu cette année à m’occuper d’un enfant à la cantine et l’apprentissage continue. Je l’aide, mais le but du jeu consiste à trouver des moyens pour qu’il puisse se débrouiller tout seul. L’après midi ressemble aux matins : accueil, regroupements et ateliers coupés par la récréation. Nous nous efforçons toujours, avec l’enseignant, de faire évoluer l’enfant du mieux possible, et ce travail quotidien nous aide à trouver les outils adaptés à son handicap. Le soir nous faisons un petit bilan qui nous permet de faire le point et de poser de nouveaux objectifs.

En dehors de ces journées en classe auprès de l’élève, je me joins aux équipes éducatives et participe aux réunions où tous les intervenants soignants ou sociaux partagent leurs conclusions et décident de la marche à suivre. Les points positifs ainsi que les difficultés de l’élève sont évoqués et des décisions concrètes sont prises pour son avenir: les soins au CAMS (organisme s’occupant exclusivement des enfants handicapés de moins de 6 ans), les heures d’AVS, la surveillance médicale et psychologique… Lors de ces réunions, on a toujours demandé et écouté mon avis, mais je sais que d’autres AVS se plaignent de ne pas être pas écouté(e)s…

De quoi sont faits les liens que vous pouvez nouer avec les élèves ? Pour préciser ma question, j’imagine qu’à l’instar de toute relation d’assistance, un des enjeux cruciaux, une des difficultés majeures, consiste précisément à conserver une juste distance professionnelle (« posture professionnelle ») tout en étant sollicité du point de vue affectif et humain ( posture que l’on pourrait nommer de « sollicitude ») : est-il facile ou au contraire difficile de concilier les deux postures ?

La première chose dont nous sommes tous sûrs au premier abord, c’est que l’enfant a urgemment besoin de nous ; on sait que les parents et l’école ont fait des pieds et des mains pour qu’on soit là, et que nous sommes la condition sine qua non à la scolarisation d’un élève atteint d’un handicap. La responsabilité est lourde et la préparation inexistante. J’ai connu des AVS qui n’ont pas supporté – et c’est compréhensible – et qui ont abandonné au bout de quelques semaines. La plupart du temps, on reste parce qu’on a croisé le regard de l’enfant, et qu’il est évident que notre aide est indispensable. On va vivre des heures avec lui, l’aider et l’accompagner dans toutes les étapes de sa vie à l’école. Le lien qui se forme va de toute façon être fort… Et c’est là le plus grand danger. La tentation est la protection tout azimut, à un point tel que, sans le savoir, le chemin vers l’autonomie devient de plus en plus anecdotique. Il faut vraiment réaliser dès le départ que l’enfant n’est pas le « nôtre », (il a déjà des parents et une famille, ainsi qu’une équipe de soignants qualifiée) et que le but est qu’il puisse trouver des outils pour pouvoir se débrouiller seul autant que possible. Pour cela, il faut connaître ses limites pour éventuellement les dépasser. Un enfant trop protégé ne dépasse rien du tout, il stagne. La posture de « sollicitude » peut malheureusement favoriser ce cas de figure, si elle n’est pas tempérée par la posture « professionnelle ». On apprend à un enfant à mettre sa veste pour aller en récréation, puis un jour on lui dit : « Tu sais comment on fait, tu la mets tout seul, je t’aide si tu n’y arrives pas ». Et ainsi de suite. Les progrès de l’enfant sont en jeu et doivent rester le principal objectif. Trop le protéger, faire tout à sa place est tentant et tellement plus facile… Sans compter que l’enfant le comprend très vite, et qu’il est aussi plus facile pour lui de se décharger sur son AVS !Donc si on a réellement de la sollicitude pour un enfant (et on en a !), il faut aussi ne jamais perdre l’objectif principal de vue, qui est une autonomie accrue. Et quelle joie lorsqu’il arrive enfin à enfiler cette maudite veste, et qu’il réussit son exercice seul ! Ce n’est pas facile de trouver un équilibre entre les deux postures, mais c’est cependant indispensable pour le bien de l’enfant.

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