Démo des mots #10 : Rigueur

15 novembre 2011
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Durant la matinale sur France Inter du 11 novembre, crise oblige, les invités sont revenus sur le mot rigueur, terme ô combien entendu depuis quelques mois, et ce pour expliquer pourquoi les politiques font tout leur possible afin d’éviter de l’employer. « Je n’avais pas remarqué qu’ils l’évitaient », me dis-je ! Et pourtant si. Et le spécialiste de rappeler le plan de rigueur socialiste de 81, la menace de chômage et de fins de mois difficiles qui vont avec, et d’expliquer que oui, ce mot est tabou dans la sphère politique actuelle, car, en gros, il rappelle de trop mauvais souvenirs. Le mot ne ferait pas peur à cause de son sens, mais
parce qu’il réactiverait d’anciens traumatismes… J’ai beau tourner la question dans tous les sens, une chose m’échappe : en 1981 j’avais 4 ans, et pourtant le mot rigueur ne me fait pas du tout plaisir ! Sans rire, qui à part les politiques et les retraités peuvent prendre peur en pensant à ce qui s’est passé il y a 30 ans ? La récession oui, la rigueur… Non, le mot rigueur fait peur, et pas à cause de Mitterrand. C’est pourtant un mot « positif », s’étonnaient alors les invités. « Mais oui, pensai-je. Etre rigoureux, faire preuve de rigueur dans son travail, c’est ultra bien-vu ». Quoi qu’il en soit, ils lui ont visiblement préféré le mot austérité, guère plus  rassurant pourtant.

Alors pourquoi préférer l’austérité au simple travail bien fait ? C’est que le mot rigueur est loin d’être aussi positif qu’il y paraît. Du latin rigor, il signifie tout d’abord « raideur causée par le froid [1]». C’est l’hiver rigoureux que nous redoutons, ou espérons tous. Au sens figuré, faire preuve de rigueur, même pour les romains, c’est montrer « inflexibilité, sévérité ». Rien de surprenant à cela. Ce sens, nous le connaissons tous, et nous voyons bien que le mot n’est à l’origine pas du tout positif. Du 15ème au 17ème siècle, il était même synonyme de cruauté ou d’insensibilité, c’est dire ! C’est au 16ème qu’il désigne aussi « l’exactitude inflexible d’une chose, d’un principe, d’une règle », et « caractère d’une recherche méthodique et précise, ne laissant pas de place au doute et à l’équivoque ». Et c’est à peu près tout ce que nous pouvons trouver de positif à ce terme. Certes, aujourd’hui, nous l’utilisons volontiers dans ce sens : élèves, employés, nous devons tous faire preuve de rigueur. Pourtant, dans l’expression « plan de rigueur », c’est plutôt au froid, au manque, à ce qui est « dur à supporter », ce qu’il signifiait à la fin du Moyen-Âge, que nous pensons. Bref, le gouvernement a sans doute perçu la réception que les Français feraient du mot, et l’ont écarté. Pourtant…

Pourtant ils auraient pu surfer sur le fameux sens positif du terme justement : avec notre plan de rigueur, nous allons établir des règles strictes, qui permettront de mieux contrôler les marchés par exemple, et d’éviter une nouvelle crise économique. Seulement voilà, employer le mot dans cette acception, c’est aussi risquer de se le reprendre en pleine face. Effet boomerang garanti ! Car comment demander aux Français de faire preuve de rigueur quand on prend une chambre d’hôtel à 37000 euros la nuit ; quand, pour faire comme le petit peuple, on gèle le salaire des ministres (hum… 19 000 euros par mois pour le premier ministre et le Président quand même ! ) au lieu de le baisser (rappelons d’ailleurs qu’ils l’avaient augmenté de 140 % en arrivant sur le trône, super rigoureux !) ; ou quand on laisse encore et toujours les banques spéculer ou les états prêter aux pays en difficulté à des taux exorbitants ? Le gouvernement ne se sentant pas lui-même très rigoureux, entendez par là sérieux, il aura cru bon de laisser ce mot de côté, au profit de la terrible austérité, plus facile à mimer celle-là, puisqu’il suffit de faire une tête d’enterrement pour avoir l’air concerné.

Le plus épatant dans cette affaire est que la rigueur apparaît en fait absolument partout ! Tapez le mot dans Google et vous verrez des dizaines d’articles : « Rigueur et changements politiques : le résumé de la semaine » sur Rue 89, « Après la rigueur, encore de la rigueur », au Monde, « Rigueur : les principales mesures annoncées » à Libération, ou « Plan de rigueur : quel impact sur le marché immobilier ? » se demande le Figaro. Sans qu’ils entrent dans le détail, ces titres ne laissent guère planer le doute quant à ceux sur qui s’abat la dite-rigueur. C’est bien de nous dont il s’agit. Une évidence d’ailleurs relevée par le site Miroir social : « Rigueur, austérité…pour qui?…pour quoi? ».

Il va sans dire que ce mot trop collant partout en Europe et dont personne ne veut nous concerne au premier chef : le plan « de rigueur », c’est peut-être le plan
indispensable, celui qu’il convient d’adopter dans la situation actuelle (l’expression « de rigueur » date du 17ème siècle), mais c’est surtout celui qui nous fera sentir concrètement l’étymologie du mot le mois prochain, quand on baissera le chauffage pour faire baisser la facture : là, la rigueur de l’hiver, au tout premier sens du terme, on va bien la comprendre !

[1] Dictionnaire historique de la langue française, Dictionnaires le Robert, Paris.

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