#9-De Dracula à Rita Hayworth, du vampire à la vamp

15 octobre 2011
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Comment est-on passé d’une créature odieuse de mort-vivant cadavérique doté de griffes et de crocs acérés à une créature charmeuse de femme fatale, excitante et séductrice, pourvues de formes rondes et généreuses ?

De l’homme à la femme

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, pas d’évolution progressive du côté du genre. Dès les débuts – prometteurs – du mythe du vampire, au XVIIIe siècle, le vampire peut être une femme. C’est même souvent ce prototype qui fascine et inspire les écrivains (qu’on pense à Goethe et à sa « Fiancée de Corinthe »). La très réelle Comtesse Bathory contribuera d’ailleurs à alimenter le mythe de la femme vampire.
Au XIXe siècle, Bram Stoker lui-même fut fortement influencé par la Carmilla de son compatriote Joseph Sheridan Le Fanu (pas de chauvinisme, nombre d’Irlandais portent un nom d’origine française suite aux guerres de religion qui ont chassé les Protestants hors de France). Cette nouvelle, dont l’héroïne est un vampire femme (et lesbienne – une jeune noble recueillie par une autre famille noble se lie d’affection pour la jeune fille de la maison, dont elle suce le sang à la nuit tombée sans que personne, sauf le lecteur qui se marre, s’en aperçoive avant un bon nombre de pages ; qu’on se rassure, elle finit exécutée avec un pieu dans le cœur, comme tout vampire qui se respecte) cette nouvelle, donc, met en quelque sorte le pied à l’étrier au futur auteur de Dracula. Comment Bram Stoker fait-il la connaissance de Carmilla ? Chez un troisième écrivain irlandais – décidément – dans le salon de Mrs Wilde, qui fit elle-même la lecture à ses invités de la nouvelle de Le Fanu. Stoker sera tellement marqué par le personnage de Carmilla qu’il fait apparaître sa tombe dans le premier chapitre de sa première version de Dracula. L’éditeur n’appréciant pas du tout cette référence jugée beaucoup trop osée (une vampire lesbienne*, on a dit), Stoker est prié de jeter ça illico presto. N’empêche, il se rattrapera plus tard en réinsérant ce passage dans sa nouvelle « L’Invité de Dracula ».
La femme vampire existe donc depuis le début, elle précède même de vingt-six ans le vampire le plus célèbre de l’histoire de la littérature et du cinéma.

Sucer le sang : du sens propre au sens figuré

Pas tellement de lente évolution non plus d’un sens propre vers un sens figuré. Le Dictionnaire de l’Académie française de 1762 définit ainsi le mot vampire :

« Nom qu’on donne en Allemagne à des êtres chimériques, à des cadavres qui, suivant la superstition populaire, sucent le sang des personnes qu’on voit tomber en phtisie. »

Et dès 1787, la nouvelle version du Dictionnaire de l’Académie ajoute que la superstition est « répandue en Allemagne et en Hongrie » (Quelle bande d’ignorants…) et précise déjà que le mot peut s’employer au sens figuré. En 1832, ce sens figuré est indiqué ainsi :

« Ceux que l’on accuse de s’enrichir par des gains illicites, et aux dépens du peuple, qu’ils dévorent. »

Sens auquel s’ajoute celui de « très grosse chauve-souris ».
Dès le début, donc, le vampire se coupe les ongles et lime ses canines tout en exploitant, sous une apparence proprette de monsieur Tout-le-monde, de pauvres gens naïfs.

Et le cinéma créa la vamp

Il faut attendre le cinéma, à ses tout débuts, pour qu’apparaisse enfin la vamp, subtil mélange entre la femme vampire, d’un côté, et le sens figuré, de l’autre.
L’histoire commence cependant avec la peinture, en 1897, lorsque Philip Burne-Jones (un Britannique, cette fois) expose son fameux « Vampire » à la New Gallery de Londres. Le tableau représente une femme maléfique nimbée de lumière verte et penchée sur un homme exsangue et comme privé de ses forces.

Poin, poin, poin, qui passe par là ? Rudyard Kipling (encore un Anglais). Saisi par le tableau, il compose un poème (le cinéma ? on y arrive, un peu de patience…), intitulé sobrement « The Vampire ».
Le premier vers de ce poème, « A fool there was » (oserait-t-on traduire par « Il était une fois un imbécile » ?…) devient le titre d’une pièce et, en 1915, d’un film – en VF, Embrasse-moi, idiot. L’histoire ? Un diplomate marié tombe désespérément sous l’emprise et le charme d’une femme prédatrice (comme Dracula, la prédatrice voyage en bateau pour se rendre en Angleterre). Sur le scénario, le personnage masculin s’appelle John Schuyler, le personnage féminin s’appelle « Le Vampire ». La jeune femme vit en ruinant les hommes qu’elle séduit.

Theda Bara : la première vamp du cinéma

La femme, l’actrice, c’est Theda Bara. La révélation du film. Jeune intellectuelle inconnue avant, elle se lance en 1905 dans une carrière d’actrice qui se révèle laborieuse. Son rôle de « vampire » dans A Fool there was la propulse sous les projecteurs. Elle n’enchaînera pas moins de trente-huit films après celui-ci, créant chaque fois l’événement, jouant toujours les femmes fatales, les vamps, de Cléopâtre à Salomé (tiens, Wilde, encore ?). Les studios lui forgent une légende, la disant née en Égypte, d’un père italien et d’une mère française, alors que Theodosia Goodman, de son vrai nom, est née dans la banlieue de Cincinatti, dans l’Ohio. Il faut dire que la séductrice orientale est à la mode et que son pseudonyme, anagramme d’Arab Death, sonne cruellement mieux…
On a vu en elle le premier sex-symbol, à l’origine d’une longue lignée. Sa carrière coïncide effectivement avec une certaine liberté du cinéma de l’époque (le Code Hays n’est pas encore apparu) : costumes transparents, tenues dénudées, superpositions de voiles, tout cela sera absolument interdit à Hollywood à partir de 1930.
C’en est fait. La vamp est née. En 1921, le mot entre dans le dictionnaire désignant « une femme usant de ses pouvoirs de séduction pour exploiter les hommes », d’où son emploi pour désigner un « rôle cinématographique représentant ce type de personnage féminin ». Par extension, la vamp désigne bientôt « une actrice propre à l’interpréter ».

Rita Hayworth : l’héritière ?

Theda Bara a ouvert une voie jusqu’ici jamais refermée. Rita Hayworth reprit le flambeau à partir des années 40. Elle incarne à merveille la femme fatale dans Gilda, que l’affiche même représente comme une sulfureuse et irrésistible vamp aux pieds de laquelle les hommes se jettent, prêts à se perdre. La scène de son strip-tease est devenue mythique bien qu’elle n’enlève qu’une paire de gants et un collier ! C’est vrai qu’elle ôte son collier avec un geste… qui semble être l’abandon d’une petite culotte. Le Code Hays pouvait bien aller se rhabiller, lui.

Vamp du XXIe siècle ?

Le mot semble aujourd’hui quelque peu démodé, un brin désuet. Les vamps se sont pourtant succédé les unes après les autres. Mais quelle est la vamp du jour ? On parle souvent de Kate Moss, Angelina Jolie et même Carla Bruni comme de beautés du diable, un brin morbides par leur aspect décharné. Seraient-elles les vamps des années 2000 ? Que dire alors des femmes fatales que jouent aussi Scarlett Johansson et Monica Bellucci ?
Cela dit, depuis la fin du XXe siècle, les « vamps« , c’est aussi un duo de comiques femmes baptisées ainsi à contre-emploi. La vieille ménagère acariâtre serait-elle l’avenir de la vamp ?

Alors, le XXIe siècle est-il définitivement dépourvu de vamps ? Quelle actrice pourrait représenter la vamp 2011 ? Difficile de faire son choix. Les commentaires de cet article sont ouverts à toute proposition. Aux lectrices et aux lecteurs de faire leurs suggestions. Et que la meilleure gagne !

* Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que, dans l’Angleterre victorienne, la répression contre l’homosexualité est vive. L’homosexualité masculine est interdite, Oscar Wilde le paiera de deux années de prison suivies d’un exil en France. Les textes ne légifèrent tout bonnement pas quant à l’homosexualité féminine. Pourquoi ? Mais parce qu’elle n’existe pas, enfin ! On se demande si ce traitement n’est pas pire…

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