#9-Asi se Goza #2. Un Abrazo de Sangre : El Tango argentino

23 octobre 2011
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Le mois dernier, je vous faisais découvrir une danse née d’une moquerie… Et bien ce mois-ci, c’est la même chose. Il faut croire que la danse est aussi théâtrale que burlesque à ses origines et que du mimétisme ironique peut naître la beauté sublime du corps « graphié », élevé au rang d’instrument artistique.

Tout commence en Argentine. Indépendant depuis 1810, le pays a libéré ses esclaves noirs et fait appel à l’immigration européenne pour trouver de la main d’œuvre bon marché. Chacun croit venir faire fortune, mais ce sont les taudis des conventillos, les bidon-villes, qui les attendent. Là se côtoient Espagnols, Français, Italiens, immigrés des pays de l’Est, mais aussi les descendants des populations indigènes d’origine amérindienne ou issues des anciens colonisateurs espagnols, et les populations noires, mulâtres et créoles dont les ancêtres étaient des anciens esclaves importés le siècle précédent d’Afrique noire.

Pour passer le temps, des bals de fortune s’improvisent au son des instruments des uns et des autres, mêlant culture flamenco, contredanse française, folklore yiddish, musiques, danses de tous pays. 75 % de la population reléguée là, dans ses bas fonds puants, est masculine. Les hommes dansent entre eux, ils aiment pasticher les danses picaresques locales et surtout les danses cadencées des noirs héritées du candombé africain et de la habanera cubaine, les esclaves ayant connu, au gré des achats et reventes, des migrations de Cuba à l’Argentine. Mais ce qui est comique finalement dans cette histoire, c’est que ces mêmes danses originaires de Cuba sont elles-mêmes inspirées par moquerie des contre-danses et du flamenco des maîtres espagnols qui avaient réduit en esclavage la population de la Havane. De ce métissage artistique naît la Milonga, qui aboutit vers 1870-1890 à ce que l’on connaît aujourd’hui comme l’une des plus nobles danses de couple, inscrite au patrimoine de l’UNESCO, s’il vous plaît : le tango argentin.

Une danse de sang

Le tango est une danse de sang depuis les origines : les hommes en quête de partenaire féminine, payaient des prostituées afin qu’elles acceptent d’échanger quelques passes… de danse avec eux. Ils se donnaient rendez-vous dans les bars près des abattoirs et l’odeur de sang les taraudait. Danse du sang brûlant des passionnés, danse sanguine de l’amour qui s’exprime à travers les échanges, les figures souvent très connotées, les poses lascives et les abrazos pleins de fougue. Danse du sang versé lors des duels au couteau qui ne manquent pas de conclure les soirées dans ces bouges. Et l’auteur d’Ego Tango ne s’y trompe pas, en mêlant l’histoire d’une bande de jeunes danseurs passionnés à celle d’une disparition et d’un possible meurtre dont la seule preuve est un film amateur où le sang coule à flot. Danse d’énergie donc, jeune et sensuelle, ce qui n’est pas en accord avec l’image poussiéreuse et « thé dansant du 4e âge » qui malheureusement lui colle un peu trop au talon…à paillettes.

L’homme dans toute sa splendeur… et la femme entre en grâce !

Pour nous guider sur la piste de notre milonga virtuelle, j’ai choisi de vous présenter un danseur et une danseuse. Car cette danse n’est pas vécue de la même façon par la femme et par l’homme. C’est une danse d’échange, de dialogue, d’affrontement aussi. Avant même de danser ensemble, quand sur le bord de la piste on échange un regard, on répond au cabeceo du danseur, on tend une main pour attirer sa partenaire. Au tango, contrairement aux autres danses où les coutumes sont maintenant plus démocratiques, c’est encore et toujours l’homme qui invite. Et malheureusement, on peut rester très longtemps faire « banquette » comme le dit si bien Hervé.

Hervé, un abrazo muy fuerte !

Hervé est un danseur si passionné qu’il a décidé de créer avec d’autres danseurs une association, nommée Tempo Tango, qui permet aux danseurs du Mans et des alentours de bénéficier de cours de qualité, d’informations sur les milongas (c’est ainsi que l’on nomme les soirées ou salles de bal où l’on peut se rendre pour danser), et les stages.

Hervé a commencé la danse de couple il y a quinze ans, avec le rock. Mais trois ans plus tard, sa partenaire le convainc d’essayer le tango qu’elle pratique déjà. « Ce qui me plaît dans le tango, c’est le côté infini des passes, il y a toujours à découvrir, l’imagination est reine. Mais en même temps, c’est une école de rigueur, de précision de la part de l’homme, afin de guider sa partenaire parfaitement. C’est aussi à la partenaire d’être à l’écoute de l’homme, mais en s’opposant en permanence, par ses bras et son corps. Elle lui signifie : je t’écoute, je te suis, mais je suis là et je vais aussi te montrer de quoi je suis capable . C’est un jeu entre les deux partenaires. En dansant on ne parle pas, mais les corps doivent s’entendre et se répondre. Plus j’avance en tango et plus j’ai envie de découvrir, grâce aux enseignants, de nouvelles sensations. Le tango est exigeant et dans notre société où tout doit aller vite, il faut du temps pour s’initier et avoir les premières satisfactions. » Il faut en effet une bonne année pour la danseuse et bien trois ans pour le danseur avant de pouvoir réellement prendre plaisir à danser librement en soirée en dehors des cours, contre six mois à un an pour un danseur de rock et trois ou quatre mois pour une salsera ! On pourrait dès lors penser que c’est l’homme qui dirige et mène entièrement l’échange, mais Hervé souhaite remettre en cause cette image de danse un peu « macho » : « Si la femme montre à son partenaire qu’elle a envie de s’exprimer elle aussi, par des passes qu’elle interprètera à sa manière, en prenant du temps, en montrant le plaisir qu’elle prend elle aussi à danser, cela devient un jeu encore plus agréable.» Cependant, que les novices ne s’effraient pas : « le tango est infini, prenant, exigeant, ingrat au début puis il vous donnera autant de plaisir que vous avez investi de temps et d’efforts. Il ne se livre pas facilement. Mais quand il s’ouvre à vous, ce sont de très belles sensations, qui diffèrent selon vos partenaires. Quand deux partenaires s’entendent bien au tango, les sensations sont belles et la musique passe trop vite. Si je prends du plaisir avec une très bonne danseuse, je peux vous dire que danser avec une débutante est aussi intéressant et me remet en question dans mon guidage. » Néanmoins, le tango selon Hervé est une danse paradoxale, une danse marchée, où il est surtout question d’écouter la musique, où le simple rythme du pas peut être très agréable, mais aussi une danse de perfectionnistes : « il faut être très humble, ne pas se croire arrivé si on sait faire une dizaine de passes , car au tango on n’est jamais arrivé . Vous ouvrez une porte du tango et il y en a des dizaines qui se présentent à vous. Mais quel plaisir d’avancer ! »

Sophie, la classe des milongas

A l’adolescence, Sophie fait sa crise de Rap. Elle découvre cet univers avec la danse Hip Hop qui va avec en Village Vacances Familles. Deux copines plus averties lui apprennent leurs chorégraphies et sa famille devient son grand public. Un jour, elle voit une démonstration de rock acrobatique à la télévision, et demande à son frère de s’entraîner avec elle. S’ensuivent des lancés et des pirouettes, sans dent cassée fort heureusement. Puis, quelques années plus tard, Sophie qui est aujourd’hui prof d’anglais, part pour les Etats Unis. Elle y rencontre un ami Bolivien qui l’initie à la salsa: « je me croyais dans Dirty dancing ! » Et c’est au cinéma qu’elle découvre le tango, sur grand écran, pour grands effets. Elle danse alors la salsa dans des bals à Washington ou Pittsburgh et de retour en France, elle cherche à suivre des cours de salsa mais aussi de tango. Sophie commence les deux et danse tous les jours, une passion qui devient une drogue et lui fait rencontrer son mari, salsero converti aux milongas par ses soins. N’ayant jamais arrêté la salsa et pratiquant assidûment le tango, Sophie s’amuse à comparer : « les préparatifs de la soirée ne sont pas les mêmes. Quand tu vas à une soirée salsa, tu te fais midinette, pour le tango, tu te fais femme. Je suis toujours excitée au moment de m’habiller, me maquiller, avec soin. Il faut être choisie par les danseurs, le jeu de la séduction sur la piste est bien présent, même si cela ne va pas plus loin. C’est tout de même un moment de complicité, de partage à deux. Pour bien sentir la musique, il faut l’intérioriser, cela te permet de mieux écouter l’autre mais aussi, surtout, de mieux t’écouter toi-même. Le tango nécessite une très forte concentration, sur soi, sur l’autre et sur la musique, mais aussi un lâcher-prise. Il faut se laisser porter. Il suffit que le partenaire fasse une toute petite pression sur la main pour guider un lancer de jambe (comme le boleo), des positions très belles. Le tango nécessite une belle prestance, une façon de se tenir, il faut « avoir les jambes » et garder ses jambes dans l’axe. Le corps doit être gainé vers le haut, et cela nous fait aussi nous sentir femme, femme forte. C’est une danse de la théâtralité, du jeu de la séduction, comme deux aimants, on s’attire et l’on éloigne sans cesse. C’est je t’aime, je te veux et je te jette ». Mais pour Sophie, le tango a aussi ses défauts : « la musique est souvent triste, mélancolique. On y chante ses peines de cœur, la mélancolie de son pays d’origine, ses échecs, les décès. L’ambiance des milongas est aussi sobre, sérieuse. Et tout se passe surtout à Paris, c’est un milieu très fermé, assez élitiste. On fait souvent danser les mêmes femmes, belles, bien mises, jeunes. Il ne faut pas se leurrer, l’apparence compte énormément. La moyenne d’âge paradoxalement est élevée. Pourtant, c’est une danse érotique, une danse de l’instinct et du calcul en même temps. Une sorte de préliminaire dansé. Et pourtant, on va se quitter au bord de la piste après quelques danses comme si de rien n’était. Le temps de la danse est un temps hors-temps, hors de sa vie. C’est un moment magique, intense, poignant, mais éphémère. Et c’est cette condition éphémère qui le rend si fort ».

A écouter

Le nouveau tango de Gotan Project . Des incontournables comme  » Oblivion » et « Vuelvo al sur ».

Dans les anciens : tout le monde connaît  » La Cumparsita  » et » El Choclo », mais j’aime beaucoup des moins connus comme « Que te importa que llore » et « Milonga del corazon » . D’autres grands reviennent souvent dans les playlists de milonga comme Sandra Rumolino, Juan Carlos Caceres et Astor Piazzola .

A lire

Pour préparer cet article, j’ai lu deux romans. Ego tango sus-cité, de l’écrivain Caroline de Mulder et qui m’a fait une impression étrange, mais où j’ai beaucoup appris sur ce milieu, assez sombre, presque glauque. Et surtout, un roman slovène écrit en français de Brina Svit, Coco Dias ou la Porte Dorée. L’écrivain, ou son double, une certaine Valérie, se voit proposer un drôle de marché « si tu écris ma vie, je t’apprendrai à danser ». Le tango s’entend. Coco Dias est argentin, et l’un des meilleurs danseurs de tango. Valérie a une passion pour cette danse avec laquelle elle entretient un relation intense. Ce roman n’est pas l’histoire romancée du personnage, ou du tango, mais l’histoire romancée d’une écrivain qui abandonne son « chef d’œuvre » en cours pour suivre Coco Dias, qu’elle connaît à peine. Elle nous donne à lire les événements comme ils sont arrivés, car Brina reconnaît que tout est vrai, que Valérie c’est elle. Un magnifique roman sur le tango, les hommes, la sensualité, et ce Coco Dias argentin, touchant, macho mais si authentique.

A regarder

Une démonstration de tango chorégraphié, pour les plaisirs et les joies des concours:

Milena Plebs y Ezequiel Farfaro – De floreo

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