#Etés 2011 – Festival de Femmes en Avignon

1 juillet 2011
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Proposition d’un parcours féminin au Festival d’Avignon

Sang et roses © Koen Broos

De la programmation de cette 65e édition émergent deux thèmes récurrents, selon les directeurs Hortense Archambault et Vincent Baudriller : celui de l’enfance, et celui de l’homme face au pouvoir. Oui. Mais à y regarder de plus près, c’est souvent celui de la femme face au pouvoir. Antigone, Electre, Déjanire, Jeanne d’Arc, Julie et Christine, et même Cosima Wagner : héroïnes de tous les temps, levez-vous ! Et racontez-nous vos luttes, saisissez-nous de terreur et d’effroi, déclenchez notre pitié, afin que le théâtre, aujourd’hui encore et toujours, joue son rôle au cœur de la cité : rôle citoyen, rôle politique, rôle cathartique.

Le théâtre est d’abord représentation. De ce qui se joue dans notre monde, ici et maintenant. Et convoquer des textes de plus de 2500 ans, des figures du Moyen-âge ou du XIXe siècle pour nous dire et nous représenter aujourd’hui, c’est la gageure de Wajdi Mouwad, Guy Cassiers, Frédéric Fisbach, Christophe Fiat, Katie Mitchell et Léo Warner, à travers de grandes figures féminines. Initialement, il était aussi prévu une adaptation de La Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne par Roméo Castellucci, l’histoire d’une jeune femme mise au banc de la société pour adultère. Le spectacle n’aura pas lieu, regrets. Dans un festival aussi prestigieux et élitiste, que sept spectacles tournent autour du même thème ne peut pas être un simple hasard. Il y va d’un enjeu de société. Qu’est-ce que ces femmes ont à nous dire ?

Des femmes en lutte contre le pouvoir

Sang et roses © Koen Broos

Des femmes, de Wajdi Mouawad, est la première partie d’un projet fou (« une dinguerie », dit-il) : monter les sept pièces de Sophocle en trois volets : « des Femmes », « des Héros », « des Mourants ». Sont créées cette année Les Trachiniennes (dont Déjanire est l’héroïne), Electre et Antigone : trois femmes liées au pouvoir dans un monde d’hommes, qui se battent l’une pour l’amour, l’autre la vengeance, la troisième la justice.

Sang et Roses, le chant de Jeanne et de Gilles, écrit par Tom Lanoye et mis en scène par Guy Cassiers, est un diptyque théâtral autour de Jeanne d’Arc (Roses) et Gilles de Rais (Sang), deux personnages historiques qui se sont retrouvés sur le bûcher, condamnés par l’Eglise quand elle n’a plus eu besoin de leurs services.

Mademoiselle Julie, de Strindberg, est mis en scène par Frédéric Fisbach. Il a choisi cette pièce du répertoire pour Julie « qui fait partie des grandes figures féminines du théâtre, juste à côté de celle de Médée ou d’Antigone. Ces femmes qui accusent, qui gênent, qui font trembler la société des hommes, la société tout court. » Julie est en effet une aristocrate élevée par une mère aux idées larges, et qui veut séduire son domestique Jean. Entre lutte des classes et lutte des sexes, le combat de Julie s’avère aussi révolutionnaire que vain.

Christine, d’après Mademoiselle Julie, de Katie Mitchell et Léo Warner, fait l’involontaire pendant du spectacle précédent en choisissant un nouveau point de vue, celui de Christine, cuisinière et fiancée de Jean. Sa lutte dans l’ombre doit ainsi être révélée.

L’indestructible Madame Wagner, de Christophe Fiat, se veut une « épopée féminine » : Cosima Wagner, à force de volonté pugnace, dans un monde d’hommes, a réussi à faire entrer l’œuvre de feu son mari dans le patrimoine culturel national de l’Allemagne et à prendre en 1883 la direction du Festival de Bayreuth, qui appartient toujours à sa famille selon ses vœux.

Le tragique féminin

« Et n’oublie pas non plus que nous sommes nées femmes, et que nous sommes ainsi dans l’incapacité de combattre des hommes. Et puis nous sommes soumises à des maîtres plus puissants que nous, il nous faut obéir, obéir à cet ordre – ainsi qu’à d’autres plus durs encore. » Ismène, in Antigone, « Prologue », traduction Robert Davreu (1)

Mademoiselle Julie © Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

Un héros tragique, c’est un homme impuissant face à des instances supérieures qui le manipulent. L’héroïne tragique, qui la manipule ? Quelles sont ses instances supérieures ? Des idées, des dieux, ou des hommes ? Un peu de tout. En matières d’idées, il y en a de grandes et nobles : l’amour, la justice, la vengeance, la foi, la patrie, l’art. Remarquez quand même que le combat est toujours mené pour une figure masculine : un mari (Déjanire, Cosima), un frère (Antigone), un père (Electre), un amant (Julie, Christine), un roi (Jeanne)… Figure masculine adorée, déifiée, toujours. A qui nos héroïnes offrent presque toutes leur vie en sacrifice, dans un renoncement qui force l’admiration, certes, mais qui pose question. Ce sacrifice est souvent au sens propre, et violent : Déjanire se poignarde, Antigone se pend alors qu’elle est emmurée vivante, Jeanne d’Arc est brûlée vive, Julie se suicide. Combien de héros sacrifiés pour une femme ? Je cherche en vain. Serait-ce à dire que l’héroïne participe à son insu à la construction de l’image de la femme dévouée corps et âme à l’homme ?

Femmes universelles

Une autre chose frappe dans ce corpus impromptu, c’est l’universalité du propos. De Sophocle à nous, il s’en est déroulé des années et des siècles… Géographiquement parlant, le monde occidental est largement couvert : Grèce, Suède, Allemagne en ce qui concerne les auteurs ; Québec, Hollande, Angleterre, France pour les metteurs en scène… On est en pleine communion gréco-judéo-chrétienne. Les origines libanaises de Wajdi Mouawad élargissent le cercle fort à propos.

Christine, d'après Mademoiselle Julie

Mais à ce faux multiculturalisme se superpose une vraie pluridisciplinarité artistique. Le théâtre en est le cœur, mais les arts plastiques (notamment la vidéo), le cinéma, et la musique auront une place primordiale. La musique surtout, avec plusieurs chœurs sur scène (c’est prévu pour les spectacles Des Femmes, Sang et Roses, Mademoiselle Julie) comme pour renouer avec le premier théâtre antique, dionysiaque. Dans une version remaniée cependant, puisqu’il sera beaucoup question de rock, notamment pour les pièces de Sophocle, et non moins surprenant, pour accompagner L’indestructible Madame Wagner. Wajdi Mouawad a demandé au poète Robert Davreu une nouvelle traduction de Sophocle, et ce dernier dit avoir composé « une sorte de livret d’opéra ». Le lyrisme sera aussi au rendez-vous de Sang et Roses avec trois trios vocaux a capella.

De toute évidence, il ne s’agit pas de restituer les textes et leurs héroïnes dans leur époque, mais bel et bien de montrer leur actualité. Frédéric Fisbach annonce clairement une transposition au XXIè siècle, et entend explorer « les relations actuelles hommes femmes centrées sur le désir et son aboutissement ». Guy Cassiers et Tom Lanoye disent quant à eux : « Ce qui nous intéresse le plus, c’est le mystère de cette adolescente qui veut donner sa vie, avec une certitude aveugle, pour une cause plus grande qu’elle, qui la dépasse complètement. C’est pour nous un questionnement très contemporain puisque ce mystère peut transformer ceux qui s’engagent, soit en figure de héros, soit en figure de meurtriers. » L’aveuglement est aussi ce qui fascine Wajdi Mouawad : « Dans les sept tragédies de Sophocle qui nous sont parvenues, le personnage tragique, ou plutôt celui sur lequel s’abat le tragique, est aveugle jusqu’à la révélation de son aveuglement, instant qui précède de peu sa chute. »

Mademoiselle Julie © Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

De la même manière, certaines révélations de l’actualité se chargent de créer des résonances imprévues. La partition musicale signée Bertrand Cantat dans le spectacle de Wajdi Mouawad a déjà suscité l’émoi cet hiver. C’était avant l’implosion médiatique d’un certain DSK. Il est évident que ces différentes pièces données en Avignon au moment de l’ouverture de son procès alimenteront, d’une manière ou d’une autre, l’opinion publique. Le Festival d’Avignon ne s’y trompe pas et son Théâtre des idées organise des dialogues d’intellectuels, pour « éclairer certaines questions soulevées par la programmation et construire un espace critique ». Le 10 juillet, la sociologue Dominique Méda et l’écrivain Joy Sorman se pencheront sur la question « Quel féminisme aujourd’hui ? ».

Parce que le théâtre est un art vivant, et vivifiant. Hâtons-nous, donc.

A voir pendant le Festival d’Avignon en juillet :
Mademoiselle Julie, Frédéric Fisbach, du 8 au 26 juillet
Des Femmes, Wajdi Mouawad, du 20 au 25 juillet
Sang et Roses, le chant de Jeanne et Gille, Guy Cassiers, du 22 au 26 juillet
Christine, d’après Mademoiselle Julie, Katie Mitchell et Léo Warner, du 22 au 24 juillet
L’indestructible Madame Wagner, Christophe Fiat du 18 au 24 juillet

A voir depuis son canapé :
Mademoiselle Julie, Frédéric Fisbach, un film du spectacle, réalisé par Nicolas Klotz, diffusé le 26 juillet par France 2.

Informations détaillées sur la programmation et les réservations : www.festival-avignon.com

(1) Les traductions de Sophocle par Robert Davreu, et le texte de Sang et Roses de Tom Lanoye sont publiés aux éditions Actes-Sud Papiers.
Mademoiselle Julie, d’August Sprindberg, traduction de Terje Sinding, est publié chez Circé Théâtre
L’indestructible Madame Wagner au théâtre, de Christophe Fiat est publié chez Al Dante (Editions) ; livre avec un CD

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