Démo des mots #7 – L’affaire DSK : sale comme une image ?

22 mai 2011
Par

L’image de Dominique Strauss-Kahn, l’image de la France, l’image des Français, l’image de la politique…. Les images de DSK menotté. L’image de la femme. Depuis dimanche, les personnalités politiques, les spécialistes en tous genres, les médias n’ont de cesse de nous rabâcher les oreilles avec cette satanée image. Pourtant, ce mot, loin d’être anodin, recouvre diverses significations, et surtout, il renvoie à une réalité du monde occidental contemporain, que les spécialistes, de l’image justement, associent bien souvent à une société de l’écran.

Rappelons tout d’abord que l’image, du latin imaginem (1), est au départ une représentation, un portrait, une apparence, un fantôme. Elle s’oppose en cela à la réalité, et rejoint clairement un autre mot qui lui est proche : l’imagination. Par extension, elle revêt, dès le XVIIe siècle, le sens de « vision intérieure plus ou moins exacte de quelque chose », puis, seulement vers 1960, celui de « représentation collective d’une personne, d’une institution ». L’image est donc une idée. C’est là que nous retrouvons l’image de la politique par exemple, ou pire, celle de la France et des Français. Bernard Debré a été le premier à aller dans ce sens, sans toutefois utiliser ce terme, et ce dès l’arrivée de la terrible nouvelle sur le Président du FMI : « vous avez humilié la France ! Vous l’avez ridiculisée. » Europe 1 posait également la question en ces termes : « Affaire DSK : l’image de la France est-elle abîmée ? » Le Figaro international : « L’affaire Strauss-Kahn ternit-elle l’image de la France ? » Aux Echos : « DSK : l’UMP s’alarme pour l’image de la France, l’Elysée se tait ». Le silence du Président est d’ailleurs là aussi, ne nous y trompons pas, pour l’image qu’il renvoie. Ces déclarations posent deux problèmes : tout d’abord, si les pays étrangers se fondent sur les agissements d’un seul homme pour se représenter un pays tout entier, il est très clair que c’est l’imagination et non la réalité qui l’emporte dans la perception que l’on a d’une nation. Il est en effet évident que les 60 millions de Français ne sont pas DSK. Ensuite, si « l’image » de la France dégringole suite à un fait divers sordide, c’est que le pays n’est pas en odeur de sainteté sur le reste du globe…

Cependant, si l’image est une simple représentation du réel, et donc partiellement le fruit de l’imagination, elle n’en joue pas moins un rôle décisif dans de nombreuses décisions politiques, qui, elles, auront des implications bien réelles : beaucoup avancent par exemple que, suite à l’affaire DSK, Christine Lagarde, pourtant pressentie pour prendre la direction du FMI, pourrait voir ce poste lui échapper à cause de l’ »image » de la France, que Strauss-Kahn aurait altérée. Une personne soi-disant très qualifiée serait ainsi écartée, car, étant française, elle n’inspirerait pas confiance. Comme si tous les Français étaient porteurs du gène de l’agression sexuelle, qui, rappelons-le, n’a même pas encore été prouvée ni jugée.

Bref, ces déclarations intempestives sur l’image du pays, si elles peuvent sembler quelque peu ridicules, sont tout de même le symptôme d’un fait absurde mais non moins réel : nous agissons, pensons, concevons, votons… en fonction de l’image qu’on nous donne à voir, et ce, quel que soit l’écart entre celle-ci et le réel. Et le pire ? Les politiques, pourtant conscients de ce fait ― ils savent très bien le pouvoir de l’image qu’ils renvoient quand ils veulent se faire élire ― se font eux aussi avoir : les gouvernements ne sont-ils pas capables de désigner un nouveau directeur au FMI sans être influencés par la personnalité et les vices (s’ils sont avérés) de DSK ?

Venons-en à présent à l’autre image, celle, au sens propre, que l’on peut regarder. Celle-ci fait débat depuis que nous avons pu voir un peu partout Dominique Strauss-Kahn, menotté, encadré par deux agents de la police de New-York, et sortant du commissariat de Harlem. Celles aussi de l’intérieur du tribunal, le montrant bien évidemment affaibli, hagard, sale. Images dégradantes et humiliantes pour certains, normales pour d’autres. Que penser de la diffusion de telles images ?

Rappelons tout d’abord qu’en France, la présomption d’innocence interdit de montrer un accusé menotté. Pourquoi ? Parce qu’il est immédiatement perçu comme coupable par l’opinion publique, alors qu’il est toujours innocent aux yeux de la loi. L’image d’un homme menotté le rend presque coupable aux yeux de celui qui le regarde, et tant que la réalité des faits n’est pas avérée, la loi ne permet pas cela. La télévision française aurait dû refuser de diffuser ces images. Certes, et c’est l’argument avancé, elles sont facilement visibles sur internet. Et alors ? Si les gens veulent les voir, ils peuvent y aller. L’auteur de ces lignes n’a pas la télévision, n’a vu ces images que trois jours après, et en sait autant sur l’affaire que n’importe quel Français. C’est possible ! D’autant qu’elles ne participent en rien de l’information concernant l’affaire. Que nous apprennent-elles ? Que DSK est épuisé, mal rasé. Chouette ! Non, nous pouvions aisément nous en passer, de ces images qui ne sont là que pour illustrer et rendre plus vivant le JT.

Cela dit, les réactions suite à cette diffusion peuvent paraître quelque peu démesurées, et entraînent parfois leurs auteurs sur des terrains dangereux. Ainsi BHL, invité sur France Inter, n’a pas hésité à dire en substance que ces images auraient des conséquences bien plus graves sur DSK que sur une personne commune : « Le Président du FMI […] n’est pas le quidam absolu ». Soit. Mais que sait-il des conséquences sur la vie du quidam de la diffusion d’images similaires ? De nombreux accusés à tort sont broyés par cette expérience qui les poursuit des années, pour ne pas dire à vie. L’avantage de DSK sur le quidam absolu, si son innocence est prouvée, c’est qu’au moins sa valeur professionnelle est connue de tous. Son «  image » était assez bonne avant les faits, et, si c’est lui la victime, il peut ressortir de tout cela en quasi héros. Le pouvoir des images pourrait très bien changer de camp, et faire de DSK une victime injustement bafouée. C’est déjà presque le cas, et la presse étrangère ne s’est pas privée de le faire remarquer. Le quidam absolu, au mieux, retourne dans l’oubli. Cette façon d’opposer les puissants au petit peuple a de quoi en énerver plus d’un, d’autant qu’elle semble se répandre chez certains défenseurs de DSK : Jean-François Kahn et son «troussage de domestique» crée lui aussi cette honteuse hiérarchie, qui ne devrait pas scandaliser que les féministes. Et puis ce qui altère l’image de DSK pour le moment, c’est plutôt le soupçon qui pèse sur lui, nul besoin d’image pour cela. Qu’importe, BHL prend la défense de son ami, ce qui peut en soi paraître légitime, sur son site : « Ce que je sais c’est que rien, aucun soupçon, car je rappelle que l’on ne parle, à l’heure où j’écris ces lignes, que de soupçons, ne permet que le monde entier soit invité à se repaître, ce matin, du spectacle de sa silhouette menottée, brouillée par 30 heures de garde à vue, encore fière. »

©Evert F. Baumgardner

Alors pourquoi ? Mais tout simplement en vertu d’un goût immodéré du public pour le «spectacle» de la réalité. Si les chaînes ont diffusé ces images, ce n’est pas pour l’information qu’elles délivraient. Ce n’est pas non plus parce que les menottes ne sont pas visibles, ce qui les aurait rendues légalement montrables. Non. Ces images intéressent, attirent, fascinent, parce qu’elles offrent effectivement, aussi navrant que cela puisse paraître, le spectacle de la chute d’un grand. D’abord, elles sont si hallucinantes qu’on a peine à y croire : comment l’homme, dont certains disent qu’il est la seconde personne la plus puissante au monde, peut-il en arriver là ? L’image vient attester cette réalité, telle une preuve irréfutable de cette déchéance. Mais paradoxalement, cette affaire est tellement sidérante qu’elle en relève l’aspect incroyable. Devant l’écran de télé, l’image fonctionne à la fois comme un témoignage du réel, mais aussi comme une fiction télévisée. Et c’est bien le spectacle dont bon nombre aiment à « se repaître » depuis les débuts de la télé-réalité. Tant que les gens montrés, exhibés, sont sans intérêts, voire manifestement stupides, on ne s’émeut guère du spectacle affligeant de leur humiliation quotidienne, d’autant qu’ils sont volontaires. On les regarde se ridiculiser en direct et on aime ça. Cette propension au voyeurisme est d’ailleurs ce qui a guidé les producteurs à imaginer de tels programmes. Il en va de même pour Dominique Strauss-Khann, que le public réclame à voir, pour y croire.

Le voir pour y croire, mais pas seulement. Ce qui attire aussi malheureusement, c’est la descente aux Enfers d’un homme politique. Il faut dire que depuis un bon moment, la politique Bling-bling, qui symbolise le mépris des puissants pour les petits, agace de plus en plus. Entre la Porsche d’un copain et ses costumes, DSK en a d’ailleurs fait les frais récemment. Et puis cette manie qu’ont les politiques de livrer leur vie privée aux journaux, à la télévision, se retourne ici contre eux. Enfin contre lui.

Nous vivons dans une société où l’image est reine, et particulièrement celle de la vie privée. Il y a onze ans, Ziauddin Sardar écrivait dans Courrier International : « Le voyeurisme nous attire en ce qu’il projette notre enfer personnel sur les autres […] Le désir d’épier sur nos écrans de télévision des gens plus ternes, plus égarés et plus déviants que nous-mêmes nous rassure sur la médiocrité et la solitude de notre existence […] Nous sommes revenus à une nouvelle forme des jeux du cirque ». Regarder Dominique Strauss-Kahnn, c’est nous rassurer sur notre propre sort : nous ne sommes pas cette personne déchue, voire ce pervers. C’est aussi se rassurer sur la célébrité : aussi brillant soit-il, il chute sous nos yeux pour avoir succombé à sa faiblesse (qu’il y ait eu viol ou non d’ailleurs), il n’est qu’un être humain comme les autres, mais au cœur d’une tragédie. Les comparaisons avec Sophocle ou Shakespeare se font déjà entendre : François Bayrou y voit dans Le Point « un mélange de tragédie grecque et de séries américaines ». Effectivement, tout y est : l’ascension du héros (la montée en puissance sur la scène politique), le poids de la fatalité (cette soi-disant obsession pour les femmes), le coup du sort (L’affaire new-yorkaise) et la chute finale. Mais surtout, et c’est ce qui nous intéresse ici, la tragédie n’est complète que si elle inspire terreur et pitié au spectateur (selon que l’on pense DSK coupable ou non, ces sentiments se déplaceront entre la jeune femme qui l’accuse et lui), et si elle permet la fameuse catharsis : en regardant le spectacle de la « punition » de DSK, le spectateur se purgerait-il de ses propres passions inavouables ? En tout cas, les fameuses images étant diffusées en boucle, il faut croire qu’il y a bien un public pour aimer les regarder encore et encore.

Ce débat n’est pas sans rappeler une autre affaire d’image récente : fallait-il ou non montrer la photo du cadavre de Ben Laden ? Certes, sa diffusion permettrait de prouver sa mort. Mais ce désir est aussi teinté d’un voyeurisme certain. Ce qui est indéniable, c’est que la diffusion des images de Dominique Strauss-Kahn répond à la demande du public, qui a pour habitude d’espionner les autres via le petit écran. En ça, elles sont finalement assez banales, et prendront sens une fois la réalité des faits établie. Nous pourrons alors savoir si c’étaient les images d’un coupable ou celles d’une victime.

(1) Pour l’évolution du sens du mot image, voir le Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, Dictionnaires le Robert, 1998, p. 1782.

Tags: , ,

2 Responses to Démo des mots #7 – L’affaire DSK : sale comme une image ?

  1. Angelene Mauduit
    23 mai 2011 at 23 h 26 min

    Je suis d’accord! Il a aussi sous-entendu qu’il ne pouvait être l’ami d’un homme capable d’agresser sexuellement une femme. Il aura l’air fin si DSK est réellement coupable…

  2. 23 mai 2011 at 19 h 00 min

    C’est curieux, moi de l’interview de BHL, je trouve qu’on a pas remarqué le pire. Le pire, selon moi c’est : « J’en veux à tous ceux qui accueillent avec complaisance le témoignage de cette autre jeune femme, française celle-là, qui prétend avoir été victime d’une tentative de viol du même genre ; qui s’est tue pendant huit ans ; mais qui, sentant l’aubaine, ressort son vieux dossier et vient le vendre sur les plateaux télé. ». Accusée Tristane Banon, vous êtes une salope ! Ça, ça… ça c’est vraiment à vomir.

Répondre à adegabrielli Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Suivez-moi sur Hellocoton
Retrouvez Fauteuses sur Hellocoton