#6 Plein la bouche : sexe et gourmandise

15 avril 2011
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Du sexe à la gourmandise, il n’y a qu’une bouche… Ces deux appétits, que les penseurs de l’Antiquité comme les Pères de l’Eglise n’ont cessé de maintenir dans la mesure voire dans l’ascèse, sont très souvent rapprochés et se contaminent l’un l’autre : métaphores gustatives pour évoquer les choses de l’amour, jusqu’à la dévoration, comme l’analyse le récent ouvrage de Julien Picquart, Notre désir cannibale, allusions érotiques pour définir certaines friandises, les liens entre le sexe et la nourriture sont très vifs. Plus que la nourriture, même, insistons sur la gourmandise, puisque le sexe, hors procréation, est comme l’alimentation hors nutrition : c’est un plaisir qui ne sert à rien ! Et c’est justement cette inutilité et la jouissance pure qui fait que le sexe et la gourmandise sont si proches. Et je ne vous parle même pas de l’aspect transgressif attaché à la gourmandise et au sexe : Eve, Fauteuse originelle, n’a-t-elle pas réussi, d’une seule pomme, à incarner gourmandise, luxure et accès à la connaissance en bravant l’interdit divin ?

©Cédric Chort

Culturellement, la proximité entre sexe et gourmandise est très présente. Nos mots par exemple en témoignent, notamment pour évoquer les parties génitales : abricot, bonbon, berlingot pour la vulve et le clito de madame, sucre d’orge, jésus (c’est le nom d’un saucisson !), banane pour la verge de monsieur. Pour Alfred Delvau, auteur d’un dictionnaire érotique en langue française au XIXème siècle, il ne fait nul doute que plaisir de la langue (encore des histoires de bouche !) rejoint plaisir gustatif et plaisir voluptueux. Il ouvre ainsi sa préface : « Aucun écrivain, jusqu’à ce jour, ne s’est senti assez franc du collier ni assez ferme des rognons pour entreprendre la publication d’un Dictionnaire érotique complet ; publication jugée nécessaire cependant par tout le monde, par les gourmets aussi bien que par les goinfres, par les lettrés aussi bien que par les simples curieux. »
Les liens sont parfois si forts qu’un même verbe est utilisé pour le sexe comme la gourmandise : sucer, lécher, par exemple, donnent ainsi de facétieuses productions, qu’il s’agisse de la chanson faussement ingénue que Gainsbourg mit dans la bouche de France Gall, Les Sucettes, ou de ces deux  publicités Chupa Chups.


ChupaChups_PlaisirSucer_Fille par Pub_man


Chupa Chups le suceur par pubzagogo



En dépit de la voix féminine plutôt neutre à la fin, l’ensemble du spot est ambigu et converge vers le slogan final « Chupa Chups, le plaisir de sucer », puisqu’il s’agit bien de représenter l’excitation de ceux qui regardent l’ado engloutir sa sucette. Les spectateurs doivent se contenter de substituts (une manche, leurs lèvres) pour pallier ce désir qui touche tout le monde : hommes, femmes, jeunes, vieux, enfants. Cette universalité du désir de la sucette permet de couper court à toute érotisation excessive (la représentation d’un enfant salivant semblerait alors déplacée), mais il n’en demeure pas moins que le slogan reste ambigu et que l’allusion sexuelle est bien évidente. Double-lecture, double-cible : les enfants, dont la gourmandise fera qu’ils réclameront ces friandises, les adultes qui, percevant le double-sens, feront de la sucette un objet érotique. Alors, sucer, c’est tromper ?

Pour certaines gourmandises, le lien avec le sexe est encore plus étroit encore. Les bonbons ou les pâtes en forme de verges en sont des exemples évidents, mais la fameuse navette provençale est bien intéressante…


Vous la trouverez sur tout bon marché de Provence, dans toute bonne épicerie où chantent les cigales, dans des tailles, des saveurs et des fabrications diverses. Une seule constante : sa forme. Que voyez-vous ? Son nom vous souffle : « Une barque ! », votre imaginaire déjà perverti par cet article vous murmure : « Une vulve ! ». La barque, c’est en effet l’origine la plus évidente, celle que vous trouverez partout. Il s’agit de la barque des saintes Maries persécutées – Marie-Madeleine, Marie-Salomé et Marie-Jacobé – qui, selon la tradition provençale, partit de Jaffa et arriva en Camargue, dans la ville qui porte leurs noms depuis 1838, mais où le Roi René inventa la présence de leurs reliques dès 1448. Marie-Madeleine, oui la Fauteuse, serait ensuite allée évangéliser la Provence et se serait retirée dans une grotte du massif de la Sainte-Baume. Et c’est là que se dessine la vulve… En effet, au temps où les Romains et leurs cultes occupaient la région, la Sainte-Baume était un haut lieu de cultes rendus à la fécondité et ce serait sur l’ancien emplacement d’un temple dressé à la fécondité (et donc aux choses du sexe) que l’actuelle basilique Sainte-Marie-Madeleine aurait été dressée. La navette de Marie-Madeleine est ainsi tout aussi ambiguë que la Chupa Chups, puisqu’en mêlant tradition païenne et tradition chrétienne, elle unit vulve et barque, volupté et gourmandise.

On pourrait continuer encore longtemps ainsi, entre les recettes aphrodisiaques présentes dès l’Antiquité, la lecture délectable des dictionnaires érotiques (à celui de Delvau, il faut rajouter celui de Pierre Guiraud, plus récent) ou encore le recensement des nombreux mets aux formes évocatoires et les nombreuses chansons qui les accompagnent (le Banana Split de Lio par exemple). Mais, je préfère me contenter de vous quitter sur cette mise en bouche trouvée dans Les Dames galantes de Brantôme, qui rapporte les propos d’une dame qui a attendu son amant au soleil : « D’autant, disait un jour une grande, que le c.. est bien confit, à cause du doux chaud et feu de la nuit, qui l’a ainsi cuit et confit, et qu’il en est beaucoup meilleur et savoureux. »

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