Contrairement à ce qu’on a pu lire ici et là, Une semaine sans les femmes fut un programme de qualité.
Le principe.
Dans un petit village, joliment nommé Montrésor, les hommes vont faire l’expérience de passer une semaine sans les femmes. Pendant que la production emmène celles-ci en vacances au soleil au Maroc, leurs conjoints vont devoir se débrouiller tout seuls avec les tâches ménagères et autres corvées trop majoritairement laissées au soin des femmes, car les enfants, eux, restent !
Il s’agit donc de faire prendre conscience à ces hommes, d’abord, aux téléspectateurs, ensuite, de l’ampleur de la tâche d’une part, de l’inégalité qui siège à la répartition habituelle en France d’autre part.
Étrangement, ce qui scandalise le plus n’est pas dans cette injustice presque institutionnalisée, mais dans le fait que le service public, soit France 2, se soit mis à la télé-réalité. Encore une façon d’évincer le – véritable – problème ?
Un contre-pied à la télé-réalité.
Il faut reconnaître qu’aux premières images, on s’inquiète un peu : on aurait pu se croire au 13 heures de Pernaut. Et puis, on découvre une France rurale loin du cliché. Oui, il y a Jean-Jacques qui aime aller chasser. Oui, Jérôme et Marie-Cécile sont des exploitants agricoles. Oui, Nathalie accueille des touristes dans son gîte. Pour le reste, ça s’arrête là question ambiance rustique. Et un cliché de moins, un !
Il s’agit ici, pour le service public, de se réapproprier la télé-réalité en en faisant une « télévision du réel » selon France 2. Pas la peine de jouer sur les mots. On a bien de vrais gens, comme dans un documentaire, mis dans une fausse situation, comme dans la télé-réalité. Mais, pour le reste, encore une fois, ça s’arrête là. Et la bande-annonce elle-même joue avec les codes de la télé-réalité :
« Une aventure sans tentatrices, sans confessionnal, sans loft, sans piscine, sans effets spéciaux, sans voix off pour meubler, sans candidats, sans éliminations, sans jury, sans coach, sans relooking, sans chirurgie esthétique, sans stars sur le retour et… sans sms surtaxés !!! » Le ton est donné.
Le réalisateur parle de « gros pied de nez à la télé-réalité », peut-être, mais pas de parodie, ici. C’est avant tout une autre façon d’envisager la télé-réalité, un contre-pied plutôt, finalement, comme il y a champ et contre-champ.
La réalité, en vrai.
Les familles choisies sont toutes différentes les unes des autres, par la composition du couple ou le nombre des enfants, par l’âge, les professions, les situations socioculturelles. Boulangers, ostéopathe, chauffeur magasinier, professeur de sport, boucher, designer, institutrice… avec seulement deux femmes au foyer sur les neuf familles, les professions sont hétéroclites. Et la plupart des femmes travaille ! Contrairement à ce qui a pu être affirmé, l’émission n’est pas « insupportable par son conservatisme, ce style « douce France » éternelle, surtout ne changeons rien, ça fonctionne tellement bien ! » Face à un couple mixte (1) et ses enfants métisses, un couple anglo-français ou un trio de femmes à la tête d’un café-restaurant, cette affirmation fait doucement rigoler. D’autant que voir ce mélange, dans un petit village français, ça fait plaisir. Il est donc impossible d’y observer « une vision passéiste [sous prétexte que] : Nulle part, on ne parle de couples éventuellement séparés, ou simplement de célibataires. » Évidemment, puisque le sujet de l’émission est le partage des tâches au sein des couples… En revanche, l’une des familles est bel et bien recomposée.
On a pu lire que le programme présentait « un monde de clichés », où « ce sont les femmes qui se coltinent tout ». Où est le cliché, là ? C’est la réalité ! 80% des tâches ménagères sont assumées par les femmes en France. Alors, oui, c’est important qu’un programme populaire s’occupe de le dire haut et fort. Et non, on ne peut pas dire que « en réalité, Madame a le pouvoir sur la bourse, sur les enfants et l’organisation de la vie quotidienne. » C’est peut-être elle qui gère, ce n’est pas elle qui a le pouvoir… La nuance est de taille. Quant à l’organisation de la vie quotidienne, loin de là, voire pas du tout, selon les couples. Quand Jean-Jacques veut chasser, il va chasser, hein, il n’attend pas que sa femme l’organise pour lui…
Ça devient quasi insultant, pour les femmes comme pour les hommes, qu’un article affirme que « ça ne va pas rééquilibrer les salaires entre les deux sexes, ni diminuer le nombre de femmes battues ou violées, mais ces femmes se sentent puissantes et sont les premières à transmettre à leurs filles le moyen d’être maîtresse au foyer : leur champ de bataille. » Il ne faudrait pas confondre des femmes qui n’ont effectivement pas confiance en leurs époux pour faire la cuisine (Une d’entre elles, en effet, est persuadée que ses enfants ne mangeront que des pâtes et du riz pendant la semaine), avec des femmes qui y verraient là un pouvoir à revendiquer et à défendre ! Le simple fait qu’elles aient accepté de se prêter à l’expérience montre qu’elles savent bien que les hommes et les enfants peuvent survivre sans elles. Beaucoup d’hommes ne font pas confiance aux femmes pour changer une roue. Y installent-ils pour autant leur « champ de bataille » ? Il faut rappeler que les femmes ne sont pas le sujet du programme, encore moins leurs filles. Et on les voit à peine. Ce n’est pas pour rien que l’émission s’appelle « Une semaine sans les femmes« . Quant à la transmission, on remarque que c’est souvent le fils qui explique au père démuni devant une tâche comment fait maman. Fiston, lui, sait faire. La future génération de femmes aurait-elle de beaux jours devant elle ?
Le programme présenterait « un modèle tellement traditionnel qu’aucune femme n’a jamais, par exemple, besoin de se déplacer pour son travail. » Ah bon ? Avec seulement deux femmes au foyer, ce serait bien compliqué. Une seule femme travaille à domicile. Les autres ne vivent pourtant ni au supermarché, ni à l’école, encore moins au café ou à la boulangerie. C’est bien simple, deux des participants ont un travail loin du village, ce qui les oblige à passer plusieurs jours et nuits hors du foyer : un homme et une femme. On n’aurait pu rêver meilleure parité.
Bien sûr, l’idée est aussi de faire ça avec humour. Les participants, d’abord, que l’idée a fait sourire. Les spectateurs ensuite, devant toutes ces situations si familières. Parfois, on peut bien le dire, on rit sans doute aux dépens de la gaucherie de certains hommes. Lorsqu’il échappe à l’un d’entre eux : « Ça m’est arrivé une fois de passer la serpillière », ou à un autre : « Je pense que les journées vont être longues… Je vais rester à la maison, attendre qu’elle rentre, et puis voilà. Y a qu’ça à faire. », on hésite pourtant entre en rire ou en pleurer. Et en entendant un « Je ferais pas ça tous les jours, mais j’trouve ça sympa », on se demande si le père en question veut parler de passer une semaine sans sa femme ou du temps à s’occuper de son enfant !
Un vrai sujet, une réflexion réelle.
Bien sûr, ça reste du divertissement, mais une distraction qui a un fond. Le propos est bien de faire prendre conscience de certaines choses à des hommes (téléspectateurs compris), éventuellement à des femmes aussi, bien sûr, même si elles n’apparaissent que de temps en temps et ne savent pas ce qu’il se passe, pendant leur absence.
On sent qu’il y a réflexion sur le sujet. Déjà, avant le départ, certaines femmes apprennent à leur mari comment faire tourner une machine à laver ou comment repasser… Drôle ? Pathétique ? Révélateur ? Sans doute. Mais le constat est là. Ensuite, les participants ne cessent de parler de la situation, celle qu’ils vivent, celle qu’ils connaissaient avant et d’en tirer leurs conclusions personnelles. Enfin, le générique de fin est composé de sketches. Les maris et les enfants jouent de fausses scènes : ce que les femmes ont sans doute imaginé qu’il se passerait. Exemple : le père fait les croque-monsieur avec un fer à repasser. On sent que chaque famille a voulu faire sa petite blague à la mère. Si toutes ne sont pas drôles pour le téléspectateur, on sent derrière chacune la complicité qui unit la famille à la mère. Un petit clin d’œil avec l’air de dire : « tu pensais que ça se passerait comme ça, hein ? et ben t’as vu, pas du tout ». Comme le dit la rédactrice en chef : « ils veulent prouver à leurs femmes qu’ils y arrivent, ils savent qu’ils vont être regardés par leurs femmes. » Parce qu’il ne faut pas oublier que les femmes, elles, ont découvert, en partie, mardi, ce qu’il s’est réellement passé, grâce à cette émission.
Et puis il y a des cas de figure très différents. Par exemple, dans l’une des familles, le père, la mère et les filles travaillent ensemble. Lorsque les trois femmes partent, c’est surtout au boulot que ça change. Ils tiennent un café-restaurant. Le père dit au début que tant pis, il ne servira pas de café pendant une semaine, parce qu’il ne sait pas se servir de la machine. Ici, il ne s’agit pas de tâche ménagère, bien sûr.
Avec cet exemple, on voit aussi que la simple vie à plusieurs fait qu’on s’habitue aussi à ne plus faire telle ou telle chose. Chacune, chacun se spécialise, insidieusement. C’est comme ça dans des tas de boulots, indépendamment du fait que les travailleurs soient des femmes ou des hommes. C’est aussi comme ça dans des tas de couples, l’un ou l’une le fait mieux ou plus souvent et se retrouve finalement à le faire à chaque fois.
Aussi ne peut-on affirmer que « cette émission ne fait la preuve de rien, si ce n’est qu’il n’est pas simple de tout gérer en même temps, et cela est vrai tant pour les hommes que pour les femmes. Mais ce n’est pas le propos de ce programme. » Non seulement ce n’est pas rien, malheureusement, mais c’est bien là tout le sujet du programme.
On a lu que « France 2 a prétendu avoir diffusé cette émission spécifiquement dans le cadre de « la journée de la femme », comme un hommage. (…) Bel hommage encore que de montrer que depuis une cinquantaine d’années, rien n’a apparemment changé dans la répartition des rôles. » Oui, bel hommage, effectivement : il faut le dire ! Merde ! Et tant mieux si la journée de la femme sert au moins à ça. Oui, c’est un bel hommage aux femmes de les soutenir, de dénoncer les inégalités et, surtout, montrer qu’il est possible d’y mettre fin. C’est quoi un « bel hommage aux femmes » ?! Célébrer leur beauté en poésie ? Leur offrir une rose ?
C’est beau, un homme qui fait des crêpes.
Y a pas, tous ces hommes surmontant, telle le dragon des temps modernes, la montagne de tâches ménagères, c’est beau. Les nouveaux héros ? Parce que, bien sûr, ils s’en sortent très bien, les bougres. La présentatrice le constate de visu : « ils ne font peut-être pas comme nous, mais, quand ils le veulent, ils le font très bien. » Donc, contrairement à ce qu’on a pu lire, non, les hommes ne sont pas « incapables de faire une lessive ou des crêpes » et, non, ils ne sont pas « apparus comme des idiots ». Non seulement François réussit ses crêpes du premier coup (sautées et tout, hein), mais – comme une femme ? – il a envie qu’on lui dise si elles sont bonnes. Eh oui.
La séquence la plus chouette (et l’habile idée de la prod d’avoir sélectionné parmi les participants un boulanger), c’est la soirée entre hommes où le boulanger, donc, apprend aux autres à faire des tartes.
« C’est une histoire d’hommes, sans femmes, pour une fois. » (2)
Non seulement ils passent une bonne soirée, mais on est à mille lieux du cliché selon lequel faire à manger (ou une réunion tupperware ?) serait un truc de gonzesses. Et ça, c’est sûr, ça détend…
De là à dire que « cela vire parfois au pathétique, comme lorsqu’une toute petite fille est levée à 5 heures du matin par son papa, qui tente de la rendormir dans un lit parapluie au milieu des chèvres, dont il s’occupe… » Pathétique ou parlant ? Travailler et avoir des enfants, qu’on soit un homme ou une femme, c’est problématique.
On a vu critiquer « l’émotion facile lorsqu’un papa est très ému de savourer du temps avec ses enfants, sur une musique suffisamment triste pour tirer les larmes, si possible. » Il faudrait peut-être aussi parler du mari qui pleure parce que sa femme lui manque ? Et il le précise, pas pour le boulot qu’ils font d’habitude à deux, non, pour la voir, juste être avec elle, quand le boulot est fini. Il le dit plusieurs fois : bosser plus, parce qu’elle n’est pas là, ça va être dur, mais il va pouvoir le faire ; vivre moins, parce qu’elle n’est pas là, il n’y arrive pas. Et il pleure. Oui, c’est émouvant. Un homme qui aime sa femme ! Et elle, pareil. Elle est au soleil, au bord de la piscine, et elle pleure, parce que son mari lui manque ! Bien sûr que ce couple est atrocement touchant. Ils n’arrêtent pas de dire que cette expérience va les rapprocher encore plus. On se dit : qu’est-ce que ça va être ! Un homme et une femme qui passent pourtant tout leur temps à deux, puisqu’ils travaillent ensemble… Facile ? Impressionnant.
Quant au père qui découvre son enfant et le plaisir qu’il a à passer du temps avec lui, c’est un message qu’il est plus que temps de faire passer (voir la Question Paternités des Fauteuses de trouble), à un moment où l’on se pose la question de rendre obligatoire le congé paternité. Tant mieux si le service public s’en charge. Il serait de bon ton d’arrêter d’y voir quelque chose de ridicule…
Bilan.
On constate aussi qu’en 2011 (allez, 2010, peut-être, ça a l’air d’avoir été tourné à l’automne), ce sont les mères qui incarnent, exercent et ont de l’autorité sur les enfants… Alors pour le sacro-saint rôle autoritaire du père, on repassera !
Le bilan (bon, c’est le choix du montage, aussi) est quand même que, bien sûr (on s’en doutait), les hommes s’en sortent parfaitement pour faire les choses que font habituellement les femmes, mais, surtout, ce qui est dur pour eux, c’est l’absence de leur femme, c’est se sentir seul sans elle. À part, peut-être, l’un d’eux qui a l’air passablement éteint, les autres n’attendent pas le retour de leur femme pour se débarrasser du boulot, mais parce qu’elle leur manque. Trop bête ? Trop simple ? Des couples aimants et unis en télé-réalité, c’est plutôt une rareté.
Et après ?
L’émission ne dit pas si les hommes ont changé leur comportement après le retour de leurs compagnes. Ce n’est pas le sujet. La rédactrice en chef explique : « la télé n’est pas là pour modifier la vie des gens. » L’émission ne se pose pas comme but de faire changer cette dizaine d’hommes en particulier, mais elle indique clairement, dès le début, qu’il s’agit de faire évoluer les mentalités sur le partage des tâches ménagères, en rappelant qu’aujourd’hui, elles sont très majoritairement assumées par les femmes en France. Toutes les mentalités.
La présentatrice en fait l’expérience, presque à ses dépens, pendant le tournage, elle-même éloignée de son foyer : « Mon fils a 39 degrés ce matin. Mon mari est en panique totale. Mais je sais qu’il va très bien le gérer. Depuis que je fais cette émission, je suis vachement plus zen. »
Surtout, au cours de l’émission, on voit bien les hommes prendre conscience de ce que cela représente. Concrètement. « Avant, je lui disais de faire une sieste si elle était fatiguée, maintenant, je me rends compte qu’on ne peut pas ! » Ou encore : « Avant, je rentrais, je la voyais écroulée de fatigue dans le canapé, je me disais que ça ne devait quand même pas être si fatiguant, maintenant je sais que si ! » Alors la télé n’était peut-être pas là pour ça, mais c’est sûr qu’elle a modifié la perception de ces hommes.
Ils en témoignent eux-mêmes dans les vidéos « Un mois après… » visionnables sur le site de France 2. Certains (deux couples, en fait) disent clairement que l’expérience n’a rien changé pour eux et que tout est toujours comme avant. On décèle pourtant, chez l’un d’eux, cet excès de bonnes blagues faites pour éviter d’avoir à en parler. Pudeur ? Mais on entre là dans l’interprétation… Tous les autres (excepté une famille qui n’apparaît pas dans ces vidéos) expliquent les changements, différents, bien sûr, suivant les couples. Mais changements il y a bien eu. Comme quoi…
Certains se sont écriés : « Et dire que la suppression de la publicité devait nous donner un service public de qualité… De qui se moque-t-on ? » De personne, justement, et ça fait du bien. Ces gens-là n’ont rien à prouver. Ils ont accepté de participer à une expérience et, déjà, ça prouve qu’ils réfléchissent à la question ou qu’ils se sentent concernés. Chapeau. C’est tout. Oui, c’était un programme de qualité. Qu’on n’aurait jamais vu sur TF1 ou M6, ça, c’est sûr. Qu’on se rende bien compte, pas un sein siliconé de toute l’émission, pas même un tout petit bout de nichon.
Bien sûr, il ne s’agit pas d’un programme intello, bien sûr les vrais gens peuvent être d’une banalité sans bornes, bien sûr certains disent trop de gros mots, bien sûr on peut sourire d’une scène si on n’est pas fan de Johnny, bien sûr ça ne résout pas le problème de l’inégalité hommes/femmes en une heure quarante. Bien sûr. Mais il faut savoir reconnaître que cette émission de télé-réalité est différente. Pas de pitié malsaine, ici. Pas de voyeurisme racoleur. Pas de cas sociaux. Mais des participants qui se posent les bonnes questions. Ils ne donnent pas de réponses toutes prêtes clef en main, mais ce n’est pas non plus ce qu’on leur a demandé. On n’est bien loin de Confessions intimes.
Une semaine sans les femmes : ça fait du bien !
(1) L’expression « couple mixte » désigne un couple constitué de deux personnes d’origines ethniques différentes (rien à voir avec l’hétéro- ou l’homosexualité).(2) Dit la présentatrice, Véronique Mounier.
Très bon article, merci !