Faites le test : tapez « expulsions Roms France » sur Google. Tous les résultats en première page datent d’août ou de septembre 2010.
Alors quoi ? Depuis le mois de septembre, il n’y a eu aucune nouvelle expulsion ? Le gouvernement a miraculeusement décidé de devenir tolérant et accueillant envers ces Tsiganes, Gitans ou Roms (voir la mise au point d’Angelene Mauduit sur ces appellations) ? À l’heure où l’Assemblée Nationale vient de se prononcer contre l’abrogation de la discriminatoire loi de 1969 sur le régime des gens du voyage, retour sur une polémique.
Histoire d’une tempête médiatique
Petit rappel des faits : le 16 juillet dernier, à Saint-Aignan dans le Cher, un jeune homme rom de 22 ans, Luigi Duquenet, est tué par un gendarme lors d’un contrôle routier. Cet événement est le déclencheur d’une série d’émeutes et de « violences urbaines », à Saint-Aignan mais aussi à Villeneuve, quartier de Grenoble d’où était originaire Luigi Duquenet. La réaction du président de la République ne se fait pas attendre : il fait remplacer le préfet de l’Isère Albert Dupuy, et organise une réunion sur les « problèmes que posent les comportements de certains parmi les gens du voyage et les Roms », le 28 juillet. Une réunion au cours de laquelle Brice Hortefeux annonce des démantèlements de « camps illégaux » et l’expulsion de Roms ayant « commis des atteintes à l’ordre public ou des fraudes ».
Puis, le 30 juillet, c’est le « discours de Grenoble » de Nicolas Sarkozy. Sautant sur cette occasion rêvée de réactiver les thèmes sécuritaires qui ont permis son élection en 2007, il annonce une batterie de mesures : extension des peines planchers aux auteurs de violences aggravées, réévaluation des droits des sans-papiers, et retrait de la nationalité française pour « toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police, d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique ». Les réactions indignées fusent face à ces relents xénophobes, mais ce n’est pas fini.
Le 5 août, une circulaire du ministère de l’Intérieur donne aux préfets des objectifs chiffrés en termes d’évacuations de « campements illicites », et vise en particulier les Roms : discrimination. La polémique enfle peu à peu durant le mois d’août, et les demandes d’explications se multiplient, de la Roumanie au Parlement européen, en passant par la Bulgarie, et même le pape Benoît XVI. Le 29 septembre, la Commission européenne annonce une procédure d’infraction contre la France, si celle-ci ne présente pas des garanties dans les 15 jours en matière de libre circulation.
Peu à peu, la polémique s’essouffle, l’indignation retombe. Les expulsions continuent, mais on n’en parle plus vraiment. La Commission européenne renonce, le 19 octobre, à la procédure d’infraction, la France ayant semble-t-il présenté des garanties suffisantes.
Les dispositions contenues dans le discours de Grenoble débouchent sur la loi Besson, contre laquelle de nombreuses associations se mobilisent, mais sans réussir à empêcher qu’elle soit votée à l’Assemblée, le 12 octobre. Sont ainsi entérinées la déchéance de nationalité pour les Français naturalisés depuis moins de dix ans et condamnés pour meurtre d’un dépositaire de l’ordre public, l’expulsion pour « menaces à l’ordre public », l’intervention du juge repoussée à 5 jours au lieu de 48h dans le cas d’une procédure d’expulsion, la limitation de l’accès aux soins des étrangers malades… Tout cela, sans polémique majeure, au moment où la France est occupée à protester contre la réforme des retraites.
La loi Loppsi 2 (sur la sécurité intérieure), qui évoque les campements illégaux et les squats, semble raviver les protestations car elle vise indirectement les Roms. Mais la France, cette fois, est occupée à regarder tomber la neige. Jusqu’à quelques manifestations, les 15 et 22 janvier dernier, (autour de l’examen de la loi au Sénat) on n’en entend plus guère parler ; mais ces manifestations sont quelque peu éclipsées par les événements historiques qui se sont déroulés en Tunisie.
« Dans l’esprit des autorités, la polémique ne devait pas durer »
Aujourd’hui, où en est-on ?
D’après Saimir Mile, de l’association La Voix des Rroms, la polémique de cet été « a entraîné une prise de conscience de la situation faite aux Rroms, qu’il s’agisse des Rroms français ou immigrés en situation régulière (98%), ou bien des Rroms roumains et bulgares en situation précaire.[1] Partant de là, des liens ont été créés ou renforcés avec d’autres mouvements sociaux, dont on a vu une bonne illustration lors des manifestations du 4 septembre dernier. » Cette manifestation a réuni, à l’appel d’une trentaine d’associations, des milliers de personnes dans toute la France. « Les échanges et les mobilisations se poursuivent et le printemps 2011 marquera très vraisemblablement un renouveau du mouvement », prévoit Saimir Mile.
Claire Auzias, historienne et sociologue spécialiste des tsiganes, souligne également quelques conséquences positives : « Cette tempête médiatique a réveillé quelques consciences, et les travailleurs sociaux en charge des tsiganes français s’activent pour essayer au moins de tirer le bénéfice du retrait de la loi de 1969 contre les tsiganes de France, (qui les maintient dans un statut de non-citoyenneté française), ce qui serait déjà un pas en avant. [à l'heure où Saimir Mile nous a répondu, les députés ne s'étaient pas encore prononcés sur ce retrait] Il y a eu une prise de conscience de nouveaux groupements concernant l’existence précaire des Roms. Le cas le plus spectaculaire est celui du journal l’Humanité, ancien journal du PCF, qui a produit de nombreux articles de qualité très honorable au sujet des Roms. Les militants communistes se sont mis à réfléchir sur cette population, ce qui est un phénomène tout à fait nouveau. Plus il y a de soutiens pour les Roms, mieux c’est pour eux.»
Cette agitation médiatique, lancée pour appuyer la politique sécuritaire du gouvernement et en récolter les fruits électoraux, aura donc permis, au grand dam sans doute de ses initiateurs, une prise de conscience salutaire. « Dans l’esprit des autorités, la polémique ne devait pas durer, poursuit Saimir Mile. Elle devait servir uniquement d’appui médiatique aux mesures qu’elles prévoyaient, dont la LOPPSI 2. Étant donné les liens entre la plupart des médias et le pouvoir, la polémique a duré plus longtemps que prévu par ceux qui l’avaient lancée. » Avec les inconvénients du grossissement médiatique ; Claire Auzias note ainsi « une forme de futilité dans l’approche médiatique et chez certains parleurs de cette population », qu’elle trouve « désastreuse, et typiquement française. Quelques uns s’achètent un certificat de bonne conduite post-événementielle pour pas cher. »
Une situation dégradée
Si la polémique de l’été a donc pu avoir quelques effets positifs, qu’en est-il des conséquences objectives de la circulaire du 5 août et des lois qui ont suivi le discours de Grenoble ? Selon Saimir Mile, la situation s’est aggravée : « L’anti-tsiganisme officiel et public a eu des effets. Cela s’est traduit dans la multiplication des expulsions, mais aussi dans des comportements inadmissibles de certains policiers, et même dans des attaques par des personnes non-identifiées. Ainsi, des attaques au cocktail Molotoff ont eu lieu à Bobigny au mois d’août, et plus récemment, à Triel-sur-Seine, des Rroms ont été attaqués en pleine nuit par un groupe de personnes masquées et armées, se présentant comme des policiers. ». « Ils vivent une réactivation de leurs persécutions passées qu’ils ont vécues et sont enfouies en eux. Ils ont peur, ils tremblent et beaucoup se demandent quel est le mieux pour eux, de se cacher au fond des bois ou de s’expatrier », ajoute Claire Auzias au sujet des Roms français.
La situation des Roms migrants, les premiers concernés par le durcissement de la politique d’expulsions, n’est guère plus reluisante, et pourtant ils semblent persévérer dans leur désir de venir à l’Ouest de l’Europe ; chose étrange pour Claire Auzias, qui rappelle que « les instruments de l’émancipation des Roms sont dans certains de leurs pays, comme en Roumanie, avec des militants de première qualité, des associations, des groupes, des partis, des décrets, des droits qu’ils n’ont pas en France. ». C’est principalement l’aggravation de la pauvreté qui les pousse à revenir, malgré la chasse policière, dans des pays comme la France où « ils sont traités comme des chiens. Certes, la situation est européenne, partout les extrêmes-droites avancent grandement, mais il y a quand même des pays où les Roms sont moins maltraités qu’en France actuellement. »
Les sujets jugés « porteurs » sur le plan médiatique et électoral vont et viennent. L’indignation – une attitude dans l’air du temps – permet parfois, comme ce fut le cas ici, d’éveiller les consciences sur un sujet qui, sans cela, serait peu traité. Mais reste l’impression désagréable que l’agitation médiatique suit le bon vouloir du pouvoir : on en parle, et l’on s’indigne, au moment où le président décide d’utiliser le thème pour faire parler de lui ; mais lorsque des mesures effectives sont prises et des lois votées, le bruit est bien moindre. En effet, le gouvernement est, depuis, passé à autre chose : les médias suivent. « La construction médiatique de certains événements n’est nullement indépendante de sa construction politique. Ces événements et les informations qui prétendent les refléter sont les produits et les enjeux d’une lutte qui met généralement aux prises des associés rivaux : rivaux parfois, associés trop souvent. », résume cet article de Frédéric Lemaire et Henri Maler en ligne sur le site d’ACRIMED, à propos de l’interview télévisée de Nicolas Sarkozy le 16 novembre dernier.
[1] « Rroms » est l’orthographe préférée par Saimir Mile (les deux orthographes coexistent).
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