#4 Je bande donc je suis, épisode 3 : Foucault et l’utopie du corps

15 février 2011
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« Il m’a craché sur les lèvres, une fois, puis une deuxième, il m’a dit : Lève-toi… »
Hervé Guibert, Les Chiens

Ainsi le philosophe verra sa vie retournée et comme éclairée de l’intérieur par la sombre lumière du désir ; ainsi, lui qui dissocie (c’est le propre du travail critique au sens étymologique) se verra-t-il pour une fois – une fois péremptoire et sans recours – disjoint de soi-même et sa chair se fragmenter, oublieuse de toute origine et de toute finalité.
C’est une telle disjonction que relate Didier Eribon dans la biographie qu’il consacre à Michel Foucault : un adolescent brillant, mais détesté de ses camarades de l’Ecole Normale Supérieure, surtout victime d’un refus initial : celui de son corps et de son homosexualité. Tourment et mutilations : le médecin de l’Ecole évoquera les nombreuses, et peut-être pas toutes feintes, tentatives de suicide de celui qui s’appelle encore Paul Foucault, prénom que le père avait choisi et qui sera abandonné plus tard pour celui de Michel, prénom préféré par la mère.

CC Gay Wash

C’est un tout autre Foucault qui marquera de sa présence et de sa voix d’universitaire mondialement reconnu, les débats politiques et sociaux de l’après Mai 68 : au début des années 80, il est à New York aux côtés des homosexuels américains, dans la rue. Mais l’homosexualité n’est plus pour lui alors une posture essentiellement subjective, ou plutôt, cette homosexualité s’ancre désormais – c’est ce qu’il faut critiquer – dans un ensemble discursif (discours moral et judiciaire produit par la société) qui en opère la réduction et comme l’effacement. Car son essence réelle et paradoxale est d’être une utopie réalisée du corps au sens où elle est le résultat de toutes une série de pratiques subjectivantes : comme toute sexualité, l’homosexualité ressortit en effet principalement d’une expérience dans l’acception d’une pratique de soi sur soi, pratique où joue à plein la fonction topique du corps («Mon corps, ce morceau d’espace avec lequel je fais corps» dira Foucault). Le corps, mon corps, comme lieu aphrodisiaque. Comme lieu, également, à partir duquel et vers lequel s’organise une axiologie (une théorie des valeurs) qui transcende la seule quête du plaisir et implique la relation à l’autre hors de toute jouissance. L’amitié, cette reconnaissance mutuelle des « égaux » comme eût dit Aristote fait donc aussi partie du jeu réglé des corps désirant/devisant, cette amitié ressortissant simultanément du discours et de l’acte. C’est ce dont témoigne récemment Mathieu Lindon, dans le récit qu’il donne de sa relation à Michel Foucault, cet « ami qui [lui] a sauvé la vie » :
Un Michel Foucault capable de refuser que les jeunes Mathieu et Hervé (Guibert) l’accompagnent dans une boîte Gay SM de Paris (« vous êtes encore trop petits, mes lapins …») : souci de soi et souci de l’autre sont bel et bien, dans la vie et l’œuvre de Foucault, entrelacés. « Un entrelacement qui est aussi un enlacement » écrivait Henri Michaux : la véritable obscénité ne consistant pas à être vêtu de cuir et à un tenir un fouet, mais à cesser de percevoir son corps comme un territoire traversé par le désir réciproque et symétrique de l’autre pour soi et de soi pour l’autre : mortelle solitude.
Michel Foucault est mort du SIDA en 1984. Sombre lumière du désir.

Post-scriptum :
Quelques années plus tard, son ami Hervé Guibert racontera à son tour les affres du désir et la peur de la déchéance physique due à la maladie.

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2 Responses to #4 Je bande donc je suis, épisode 3 : Foucault et l’utopie du corps

  1. jim
    2 mars 2011 at 20 h 21 min

    A propos des lapins, voici la citation exacte :

     » « Mais on ne vous laissera jamais entrer,mes lapins », nous dit Michel un jour qu’il s’était habillé pour se rendre dans un bar plus hard que ceux que nous fréquentions et qu’Hervé [Guibert] et moi faisions mine de vouloir l’y accompagner. C’était pour rire parce que nous ne mélangions pas les genres et n’avions nulle intentions d’y aller. Le teme « lapins » avait là sa connotation affectueuse habituelle à laquelle s’ajoutait une distance : nous ne faisions pas parie de ce monde, lapins que nous étions. Notre jeunesse ne nous serait d’aucune aide si nous ne satisfaisions pas au code vestimentaire requis. Qu’elle ne nous donne aucun privilège sur Michel nous avait plu comme la justice même. » ( Ce qu’aimer veut dire, page 244)

  2. jim
    26 février 2011 at 23 h 31 min

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