Une fois n’est pas coutume, je vais citer une source précise parmi mes recherches, tant son portrait du paranoïaque va nous donner une base de travail valide et efficace :
« Le paranoïaque est intimidé, mou, négatif, geignard, autodestructeur, déprimé, irrationnel, prompt à juger, limité, hésitant, timide, amer, dogmatique, égotiste, anxieux, masochiste, victime, chicanier, rigide, faible, instable, irréaliste, incrédule, contradictoire, sceptique et méfiant. » [1] Outch, n’en jetez plus !
DESCRIPTION
La malveillance étant une caractéristique relativement répandue dans nos sociétés où il y a toujours quelque chose à envier, faire preuve d’une dose de méfiance salutaire n’est pas un handicap social mais une condition de survie. Il est tout à fait légitime de s’interroger sur les intentions d’untel ou d’unetelle quand ses propositions vous semblent trop belles pour êtes complètement désintéressées. Faudrait voir à pas trop nous prendre pour des jambons, tout de même. Mais, hosanna hosanna !, il arrive souvent que ces propositions soient dues à votre inégalable charme qui attire les bonnes ondes et l’envie de vous connaître. Après vérification, laissons-nous donc glisser dans le bonheur le plus parfait de la bienveillance la plus totale.
La logique de méfiance poussée à l’extrême peut pourtant prendre des formes pathologiques et conduire certains sujets fragiles à des délires quasi-hallucinatoires sur le monde entier qui est méchant et veut me voler tout ce que j’ai / me faire du mal / me détruire (rayez la mention inutile).
A partir de ce moment-là, vous devenez l’ennemi, l’être à abattre, l’incarnation du Grand Mal qu’il faut éradiquer par tous les moyens possibles, y compris les plus bas. La fuite n’est pas une solution pour le paranoïaque, qui va employer toutes ses forces à lutter contre votre influence maléfique et le faire savoir au maximum de personnes autour de lui. Donc oui, bonne déduction, en plus d’être inquiétant, le paranoïaque est saoulant et tourne en boucle fermée.
COMMENT LE REPÉRER ?
Outre un discours geignard façon 45 tours qui saute toujours sur les mêmes paroles – le téléphoooooooooooone pleeeeeure – click – bam – le téléphoooooooooooone pleeeeeure – click – bam - le téléphoooooooooooone pleeeeeure… -, le paranoïaque déploie une flopée de symptômes qui permettent de le repérer de loin :
La peur
Le paranoïaque fouette. Il pue la trouille à cent milles à la ronde. Cette peur vient de loin, de l’enfance, pour changer – allongez-vous et parlez-moi de votre mère – où un complexe d’abandon réel ou fantasmé s’est cristallisé pour faire naître une insécurité permanente. La figure de référence est absente, physiquement ou moralement, et la déduction logique de l’enfant est qu’il ne vaut pas grand-chose à ses yeux. Alors le petit parano en devenir compense pour exister et gratter une miette d’attention. Il va travailler comme un fou, devenir un sportif acharné, passer des heures sur le piano, apprendre seul le russe ou le grec ancien, avant de se vautrer lamentablement en bout de course. Des années d’efforts pour louper le concours d’entrée à HEC, arriver bon quatrième aux Jeux Olympiques ou planter le Premier Prix de Conservatoire. Eric-Emmanuel Schmidtt ne s’y est pas trompé, mettant en scène la vie rêvée d’un certain Adolf H. qui aurait réussi, lui, le concours d’entrée des Beaux-Arts de Vienne [2].
En fait, le paranoïaque est un névrosé qui n’a vraiment pas de bol : il flippe de ne pas y arriver par manque de confiance en lui et la vie se charge de lui confirmer qu’il ne vaut pas un pet de lapin. Une réussite aurait réparé cette faille narcissique profonde. Mais, ici, l’échec – que le quidam lambda va prendre pour ce qu’il est, à savoir un accroc dans le tissu a priori bien tendu de la vie, bref, un peu de fil et on recoud, hop hop, rebond d’après tristesse – va prendre ici des proportions terribles, devenant la confirmation de cette petite sentence qui court au fond de sa tête depuis petit : « Je ne suis qu’une merde ». Estime de soi ras-les-pâquerettes, quand elle ne se confond pas avec les racines.
Alors la peur de l’échec, qui n’a maintenant plus besoin d’être confirmé, va se transformer insidieusement en méfiance face à cet enfer qu’est la vie. Ce qui fait le paranoïaque est la création d’un système de défense – c’est ça ou se mettre une balle dans le crâne. Pour protéger son intégrité physique, il va déplacer sa haine de soi en haine de l’autre. Car l’Enfer, c’est les Autres, paraît-il. Et bien, oui, allons-y, méfions-nous de l’autre qui nous veut du mal, trouvons un responsable à notre échec. Le paranoïaque, de larvé, devient parfaitement palpable, et entre dans une crise manifeste, dont le mensonge est un composant parmi les plus visibles.
Le mensonge
Attention sur ce point. Le paranoïaque ment, c’est indéniable, mais sans toujours le vouloir. A dire vrai, il déforme la vérité plus qu’il ne ment. Son angoisse agit comme un filtre sur son interprétation, et il réceptionne les signes ou paroles comme une pythie sous ectasy : il ne les prend donc plus pour la réalité lambda, mais pour l’enveloppe d’une intention malveillante qu’il faut décortiquer pour en saisir le suc véritable. Je m’emballe dans les images ? Ok, simplifions la démonstration avec un petit exemple pratique :
Vous accompagnez une amie pour choisir une robe. Joie et bonheur, après-midi insouciant à gambader dans les boutiques en faisant cramer la carte bleue, moment béni où le banquier n’est plus qu’une vague notion perdue dans les limbes d’une raison qui est partie en fumée… Bref, chouette épisode entre copines. L’amie sort de la cabine d’essayage, boudinée dans un machin informe qui coûte une pupille, et votre devoir est de lui dire que non, décidément non, elle ne mettra pas un demi-loyer dans ce bout de tissu immonde et mal taillé.
Vous (moue dubitative et vaguement dégoûtée) – Ouais, non, c’est pas terrible, ça te fait un fessier de jument qui va mettre bas.
NDLR : vous pourriez apprendre à choisir vos formules avec plus de soin, vous avez certes le mérite de la clarté et de la sincérité, mais on dirait vraiment que vous cherchez les ennuis.
Et maintenant, trois options :
1. Votre amie a une confiance en elle a toute épreuve, elle sait que vous l’aimez et que votre langage fleuri n’est que l’expression de votre parenté avec l’homme de la pampa. Son cerveau ne s’embarrasse pas d’analyses superflues, elle déclare tout à trac : « Ouais, t’as raison, c’est vraiment des branques, vendre aussi cher un truc aussi mal coupé, ça devrait justifier de remettre en route la guillotine. » NDLR bis : votre amie et vous-même êtes sans doute cousines au Xème degré, au vu de votre nuance dans la vision du monde. Demandez donc à l’oncle argentin de faire quelques recherches, vous pourriez avoir des surprises. Vous êtes en tout cas sur la même longueur d’ondes, elle a compris ce que vous disiez, est d’accord, repose le machin sur son cintre, qui est d’ailleurs le seul à pouvoir porter ça, et vous allez dans une vraie boutique où l’on n’a pas oublié qu’une femme pouvait avoir des seins et des hanches.
2. Votre amie est un peu complexée par ledit fessier. Elle prend donc votre remarque assez mal et vous envoie bouler dans le magasin. Si c’est une discrète, elle ronchonne et vous tire un peu la tronche. Vous vous en rendez compte, bafouillez une excuse ou deux en vous mettant mentalement des claques. Votre amie sait que vous n’êtes pas exactement une pro de la dentelle verbale et réinterprète votre remarque dans le bon sens, à savoir que la robe est mal coupée et qu’elle-même n’a pas à avoir honte de ses fesses, si rebondies soient-elles. Vous ne résolvez pas quinze ans de complexe avec ça, mais votre après-midi est sauvée. Même issue que précédemment, vous vous rendez dans une vraie boutique de vêtements pour couvrir votre Vénus Callipyge. Et vous lui payez un café au passage, ‘spèce de goujate !
3. Version hard-core où la copine est une paranoïaque larvée. Votre remarque va parler directement à son complexe d’infériorité et lui confirmer que non, décidément non, elle ne mérite pas de porter une robe à 300 euros. Ni à 200. Ni même à 100, puisque de toute façon, un sac à patates serait encore ce qui lui conviendrait le mieux, vu qu’elle est fichée comme un tubercule, que dépenser de l’argent pour se faire belle n’est que peine perdue inutile vouée à l’échec abyssal– oui, elle combine mentalement les expressions, la parano rend assez inventif dans l’auto-dénigrement -, bref, de toute façon, elle ne s’habille que parce que la décence l’impose et que le pays n’est pas chaud, mais, si elle pouvait disparaître là maintenant dans un trou de souris, ce serait beaucoup mieux, même si la souris se ferait sans doute elle aussi un plaisir sans nom de la mettre dehors de toute la force de ses petites papattes grises.
Mais ça, voyez-vous, elle le savait déjà. C’est même une règle de base dans son appréhension du quotidien. D’ailleurs, vous avez dû la traîner pour venir chercher cette robe. Oui, tiens d’ailleurs, mais pourquoi avez-vous tant insisté ? Parce que, vous, – attention, tout le monde dans le train fantôme, c’est parti pour un bon glissement dans le délire paranoïaque – vous êtes une garce innommable qui n’attend que l’occasion de l’humilier, en public si possible. Ce n’est même que pour cela que vous la voyez, pour lui faire sentir à quel point elle est minable, pire même, vous vous servez d’elle comme faire-valoir, vous vous amusez comme une folle à lui faire essayer des choses laides, ou trop petites, ou trop grandes, elle s’attend même à se voir proposer un tour au rayon femmes enceintes… Bref, vous êtes une salope.
Oui, hein. Ça s’appelle faire sérieusement monter la mayonnaise sur une remarque maladroite. Mais le vrai problème est que cette mayonnaise va se monter en interne, sans un mot prononcé, en une spirale mentale dont il ne sortira pas un mot, ce fameux mot de colère qui pourrait vous faire prendre conscience de votre bourde et vous permettre de rectifier votre propos. Non, non, toute cette petite sauce mentale va s’élaborer en dedans et y rester. Le réflexe de survie suppose de vous rendre responsable pour ne pas creuser un peu plus une faille déjà béante. Mais le silence est insatisfaisant : quand les considérations sur votre malveillance manifeste seront suffisamment nombreuses, tout va être dit. Et là, si je puis me permettre, tous aux abris.
L’agressivité
Quand le paranoïaque explose, vous n’avez aucune chance. Ne discutez pas, laissez tomber, fuyez même, ne rentrez surtout pas dans la danse. Vous allez vous en prendre plein la tête pour pas un rond, avec ressurgissement de vieux dossiers d’une précision ahurissante alors que vous n’en soupçonniez même pas l’existence – Mais si, souviens-toi, le jeudi 4 août 1997, tu as fait tomber du jus d’orange sur ma jupe blanche ! Attendez-vous à un listing de vos vilenies dans les moindres détails et préparez-vous à tomber des nues. D’un petit accrochage – la goutte d’eau, la fameuse ! – va naître une montagne de reproches et d’insultes, dont la majeure partie tournera autour du thème tu n’es qu’une garce hypocrite qui a tout mis en œuvre pour me détruire. Avec un peu de chance, vous allez même être à l’origine d’un complot – oui, oui, d’un complot, rien que ça, avec des coups calculés comme aux échecs, des stratégies de destruction massive, des alliances façon Koh Lanta – qui, maintenant qu’il est exposé au grand jour, va permettre à notre ami le parano de laisser éclater grand sa colère.
Moui. Voilà. Autant dire que vous êtes parfaitement désarmé pout lutter. D’abord, parce que l’effet de surprise va vous donner un désavantage considérable. Ensuite, parce que les faits reprochés sont tellement délirants et montés en épingle qu’il va être compliqué d’essayer de vous justifier. Enfin, parce que la mécanique est tellement bien huilée dans la tête de votre interlocuteur que vous ne pourrez pas démonter sa petite logique personnelle et son interprétation des faits : il ne vous écoutera pas. Vous avoir de toute façon langue fourchue faite pour tromper les Esprits, alors lui fermer toutes écoutilles quand vous parler. Hugh.
Ne gaspillez donc pas votre énergie, prenez le large et laissez retomber la crise. Faites-le, sinon, vous risquez la destruction pure et simple. Symboliquement, le paranoïaque va tellement vous pourrir que vous risquez de ressortir en petits morceaux. Il va en effet sans dire que se faire démonter la tête par quelqu’un qu’on aime n’est pas exactement une partie de plaisir. Ça fait même très mal, souvent. Surtout lorsque c’est injuste et que l’autre se verrouille en face sans vous laisser la possibilité de débloquer la situation. Et puis, le stade symbolique n’est pas l’unique possibilité de destruction du paranoïaque : il peut s’en prendre à vous physiquement, même sans aucune voix dans sa tête pour lui dire quoi faire avec ce grand couteau de boucher, là, sur la table. Donc pas la peine d’alimenter le petit cinéma mental du paranoïaque qui n’a pas vraiment eu besoin de vous pour alimenter son scénario : on coupe court, une fois la surprise passée et on le laisse se calmer, sans lui tourner le dos quand on s’en va.
L’isolement
Bien.
Posons un peu les choses. Voyons un peu plus large. Disons qu’actuellement, vous êtes la cible de la rage du paranoïaque. Mettons également que certaines personnes, ravies de la double opportunité de se faire mousser à peu de frais et de vous nuire, vont en rajouter quelques couches au lieu d’apaiser la situation. Fort bien. Je me répète, mais laissez faire, prenez le large, barrez vous vite et loin. Tenez-vous simplement au courant : n’ayant plus sa cible privilégiée pour se défouler, le paranoïaque ne va pas tarder à faire glisser sa colère et vous pourrez constater que d’autres personnes, peut-être même celles qui jouissaient de vous voir en prendre plein la tête, ne vont pas tarder à vivre la même délicieuse expérience. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que le paranoïaque ait épuisé toutes les ressources de patience et d’écoute autour de lui. Ce n’est qu’une question de temps. Votre paranoïaque va finir par se retrouver tout seul, comme un con, retranché derrière ses certitudes. Aigri, amer, ressassant et déformant sans cesse les épisodes qui ont conduit à cette situation, il restera sur son rocher à faire tourner en boucle sa théorie du complot et, s’il n’est pas pris en charge médicalement, vous trouverez son squelette au milieu des coquilles de moules.
Ne culpabilisez pas, il lui faut un psychiatre. Même si cela fait mal, vous n’avez aucune possibilité de rétablir chez lui une vision à peu près valide de la réalité car il est, pour simplifier, dans une version névrotique de la mauvaise foi qui lui sert de protection mentale. Affronter son échec sereinement est hors de portée, la seule solution pour lui est d’en rendre quelqu’un d’autre responsable.
D’autant que si vous acceptez de vous prendre une artillerie lourde de reproches, avec force patience et abnégation, façon attendons qu’il se calme, ça va passer, vous entretenez le rapport pervers que le paranoïaque a avec le pouvoir. Puisque lui-même se sent constamment humilié par l’autre, reprendre le pouvoir passe par l’humiliation inverse, à savoir faire ramper son interlocuteur avec n’importe quel moyen à disposition. Si le paranoïaque a effectivement un outil conséquent en main, nul doute que votre tentative de communication et d’apaisement sera elle aussi interprétée de travers et, quoi qu’il arrive, à votre désavantage. Exemple simple et utilisé à foison dans le cinéma américain des années 50 : le mari soupçonneux. Le changement de coiffure de sa femme devient objet de focalisation, déclenchant une crise aigüe où Monsieur déduit l’infidélité de sa chère et tendre, attendu qu’il est évident qu’elle veut être belle pour un amant. Les justifications désespérées de Madame ahurie suite à la baffe syndicale de mise en route ne peuvent que l’enfoncer davantage : tu mens ! Telle est l’arme de poing du paranoïaque qui, avec ce crédo, condamne d’avance sa victime désignée et n’a plus à se forcer à entendre quoi que ce soit. Dans le film noir des années 50, nous aurons en général une résolution drastique du problème grâce à un browning sorti de la poche interne de la veste du mari. C’était bien la peine de discuter, tiens !
En bref, le paranoïaque construit sa propre prison mentale et sociale, bien malgré lui, et finit par se mettre à dos la plupart des gens qui l’aiment et le considèrent. Nous-mêmes, face à une telle situation, devons mettre beaucoup de soin à préserver notre intégrité physique et mentale, car le paranoïaque est l’un des types de névrosés les plus enclins à la violence. L’arme des faibles, certes, mais le paranoïaque est un faible qui a besoin d’aide et de médecins.
Bonne route, et regardez derrière vous.
[1] Lillian GLAS, Ces gens qui vous empoisonnent l’existence, éd. Marabout, 2004.
[2] Eric-Emmanuel Schmidtt, La Part de l’Autre, Folio, 2001.
Photographies : Cédric Chort
Pas d’inquiétude pour les paranoiaques qui pourraient lire ces lignes, de toute façon, ils ne risquent pas de se remettre en cause…. et puis pour l’entourage, ça fait du bien de lire ces lignes.
Oui Joseph des personnalités paranoïaques peuvent lire ce texte. Seulement des personnes victimes de ces personnalités peuvent également le lire… et je vous assure que cela fait du bien. Même si je n’ignore pas qu’avoir une personnalité paranoïaque est d’abord et avant tout une maladie. Je ne vois pas où est le manque de respect dans cette description qui sort un peu des sentiers battus. Au nom du respect, faut-il justifier les souffrances que ces personnalités pathologiques font subir à leurs victimes ?…
Robert
Bonsoir,
un peu de modération dans vos propos vous servirait. Inutile de déverser ce qui semlerait être un déficit voire une défaite vis-à-vis de la personnalité paranoïaque. A défaut peut-être d’avoir le dernier mot.
Un minimum de respect envers ce qui est avant tout une maladie. Des paranoïaques peuvent vous lire.
Joseph S.
Au contraire, que les personnalités paranoïaques lisent et relisent ce texte, si d’aventure ceci pouvait leur faire comprendre le manque de respect qu’elles ont pour les autres et que leur manière d’être s’apparente à une maltraitance de leur entourage, elles commenceraient à changer. Ce n’est pas parce qu’elles sont malades qu’elles doivent s’autoriser à rendre les autres malades.
Et n’oubliez pas , les paranoïaques ne se remettent que difficilement en cause , ils se prennent au sérieux et ont beaucoup de mal à rire .
Casserole