#3-Critique croisée : Apocalypse bébé de Virginie Despentes

15 janvier 2011
Par

Historique de clavardage sur Apocalypse Bébé de Virginie Despentes, 03-01-2011

Dans Apocalypse Bébé de Virginie Despentes, polar satirique entre Paris et Barcelone, Lucie, détective privé, doit retrouver une ado disparue, Valentine. Elle est aidée par la Hyène, flamboyante et imprévisible lesbienne reconnue dans le métier. Donnant la parole à une multiplicité de personnages, Despentes parcourt différentes classes sociales d’un oeil impitoyable, jusqu’à une fin inattendue.
Elisabeth avait lu
Baise-moi, Elenore vient d’achever King Kong Theory et Luise n’a qu’un gros a priori négatif sur Despentes. Transcription de leurs échanges clavardés à propos du Renaudot 2010.

Luise :
20:14:28
Bon alors, ce Renaudot 2010, scandaleux ou pas ?

Elisabeth :
20:14:35
Absolutely not!

Elenore :
20:14:59
Je ne sais pas quoi en penser car je ne lis pas assez de littérature française contemporaine… Vous en lisez beaucoup, vous ? Moi pas tant que ça… Je viens de lire Les Hauts de Hurlevent et Perceval, donc forcément mes critères de jugement, euh…

Elisabeth :
20:15:11
Oui, effectivement, c’est un peu différent ! Pour ma part j’en lis quand même pas mal.

Luise :
20:15:35
Je lis du roman contemporain mais rarement français.

Elenore :
20:15:46
J’avais lu Les Bienveillantes et Trois Femmes puissantes, Apocalypse bébé me paraît un tout petit peu en-dessous, en particulier du point de vue du style.

Elisabeth :
20:16:15
Effectivement j’ai lu les deux livres dont tu parles et si déjà on s’en tient strictement au style d’écriture, je trouve Despentes beaucoup moins intéressante.

Elenore :
20:17:13
Mais en même temps, ce style un peu oral parfois, familier, est voulu.

Luise :
20:17:41
Je n’ai pas trouvé ça si oral ni familier. Et puis, on peut écrire un style oral familier et faire de la grande littérature… Céline par exemple…

Elenore :
20:18:10
Oui, tout à fait, mais là je trouve ça moins maîtrisé que chez d’autres auteurs.

Elisabeth :
20:18:17
Par moments cela me semble beaucoup trop « brut », on a surtout l’impression qu’elle fait du vulgaire pour faire du vulgaire.

Elenore :
20:18:58
En fait je trouve cela inégal. On a tantôt des éclairs de style (même familier), et tantôt des passages qui semblent bâclés, comme quand elle nous dit que La Hyène a « un sourire amusé vissé aux lèvres » p. 35, puis deux pages plus loin « Elle ne sourit toujours pas, ça n’a pas l’air de faire partie de son répertoire ». Ou encore : « Être riche, c’est avoir confiance. Même à tort. Se sentir protégé. Le corps. Jamais mis en danger. Protégé par la maison, protégé par le nom, protégé par l’histoire, protégé par la police. » (p. 173). Ça se veut percutant et rythmé, mais je trouve cela plutôt plat. Du moins dans un roman, car ce genre de phrases passait bien dans King Kong Théorie.

Elisabeth :
20:19:26
C’est tout à fait ça mais en fait le livre est d’une grande inégalité à bien des niveaux.

Luise :
20:20:00
Oui exactement, stylistiquement, c’est un manque de cohérence qui m’a gênée. Certes, il y a plusieurs voix, donc forcément des parlures différentes, mais certains personnages semblent moins maîtrisés que d’autres.

Elenore :
20:20:28
Tout à fait !

Luise :
20:22:01
La voix de Yacine est juste, comme le personnage d’ailleurs. C’est celui qui me semble le moins stéréotypé et le plus intéressant. Les autres, même la Hyène, sont pétris de clichés. Certains critiques y ont vu une satire sociale, une écriture acide : je n’y ai trouvé qu’une collection de clichés, agréable à lire par moments, mais sans réel pouvoir subversif.

Elisabeth :
20:23:25
En effet, pour ma part je trouve que les personnages manquent de nuances. On tombe très vite dans le cliché et finalement peu de personnages attirent la sympathie : on a Lucie la godiche (anti-héroïne par excellence), la Hyène ultra-violente qui vilipende durement les faibles…

Elenore :
20:24:04
Mais quand même, je trouve que la Hyène est un personnage intéressant…

Luise :
20:25:45
Je ne suis pas d’accord à propos de la Hyène ! Je l’ai trouvée agaçante, pleine d’elle-même, tellement stéréotypée dans la figure de la lesbienne anti-hétéro… Par contre, sa disparition brutale à la fin m’a laissée sur ma faim… On dirait que Despentes l’a oubliée…

Elisabeth :
20:26:44
Et puis sa figure est tellement antinomique par rapport à Lucie que cela tend à grossir encore plus le trait et à renforcer le stéréotype.

Elenore :
20:27:47
C’est vrai que la Hyène est pleine de clichés… Mais c’est aussi, à mon avis, un personnage impressionnant, un peu comme certains personnages de la trilogie Millenium : invraisemblables et pleins de clichés, mais, du coup, accrocheurs.

Luise :
20:28:13
Accrocheurs ? C’est bien le problème pour moi… Je crois qu’aucun personnage ne m’a accrochée… J’ai plus été saisie (mais trop rarement) par de petites trouvailles langagières, mais pas par les personnages… En ce qui concerne la Hyène, je pensais qu’elle aurait un rôle plus important à la fin. Fin qui est vraiment ratée, à moins que le côté grand-guignol soit recherché… mais racontée par Lucie, ça fait une fin… molle, en dépit même des événements qui s’y produisent !

Elisabeth :
20:29:29
Le style polar n’est pas toujours bien ficelé. En effet, l’intrigue de départ n’est pas spécialement excitante : il s’agit de retrouver une ado en fugue et à aucun moment on n’envisage que les deux enquêtrices peuvent échouer…  Il parait évident que l’ado va être retrouvée ! Du coup, ça manque de suspense et pour un livre qui se veut polar, c’est bien dommage. Les chapitres sont d’ailleurs très linéaires. Une fois l’adolescente localisée, il y a de nouveaux événements qui donnent lieu à une nouvelle intrigue… Mais, d’une part, ce n’est pas assez développé et le lecteur reste avec de nombreuses questions en suspens, et d’autre part, on finit sur une apothéose qui n’est pas du tout en adéquation avec le reste du livre. Certains critiques avaient même suggéré que la fin avait été rédigée par l’auteur afin de justifier le titre : « apocalypse bébé ».

Elenore :
20:29:45
J’ai aussi trouvé que la fin était décevante.
Donc Luise, tu n’as pas apprécié ? A priori confirmé ?

Luise :
20:29:50
Je n’ai pas aimé, en effet, mais pas pour les raisons auxquelles je pensais ! J’aurais en fait adoré la détester, mais ce n’est pas le cas. C’est peut-être pire finalement…

Elenore :
20:30:27
C’est intéressant… Tu pensais la détester pour quelles raisons ?

Luise :
20:30:40
J’imaginais que ce serait vraiment plein de provocations gratuites, de sexe à outrance, de violence insoutenable. Ben non. Il y a à peine du gros discours subversif qui tache.

Elisabeth :
20:31:29
C’est exactement ça, elle fait du trash mais en tirant des ficelles souvent grosses et faciles.

Luise :
20:32:42
Justement, je n’ai pas trouvé ça trash. C’est pour l’aspect critique sociale que j’ai trouvé les ficelles grosses et faciles.

Elenore :
20:33:05
Pas trouvé ça trash non plus !

Elisabeth :
20:35:06
Il y a par exemple la fameuse partouze à Barcelone dans laquelle elle donne certains détails qui, pour moi, étaient là afin de donner un côté « choquant » à la scène… C’est en ça que je dis qu’elle fait du trash pour faire du trash. Finalement ça tombe à plat et cela n’a pas grand intérêt, ni d’un point de vue stylistique ni pour la narration.

Elenore :
20:35:57
Je suis d’accord pour la partouze : cela faisait un peu tentative de choquer le bourgeois. Mais pourquoi, Luise, penses-tu que la critique sociale est grossière ?

Luise :
20:37:59
Les personnages me semblent stéréotypés, ils sont attendus, sans surprises : l’écrivain sans succès et libidineux, sa femme bobonne qui s’investit dans sa maternité et son mariage alors que ce n’est qu’une illusion, l’hétéro molle et vide qui s’épanouit au contact des amours saphiques, la lesbienne assumée et revendicatrice qui taille de l’hétéro mais qui cache un petit coeur blessé…

Elenore :
20:38:53
Dit comme ça, c’est vrai que ça fait stéréotypé. Pourtant ce n’est pas ce que j’ai ressenti à la lecture, enfin, pas tout le temps. En revanche j’ai aussi trouvé que la femme de l’écrivain était un personnage assez convenu et plat…

Elisabeth :
20:39:27
Les propos également font cliché : Lucie n’ose pas commander un chocolat chaud pour ne pas faire petite fille, la Hyène assène que les faibles meurent tous… Par moment cela fait catalogue des stéréotypes.

Luise :
20:39:27
Les quelques pages sur le monde de l’édition et des écrivains m’ont assez plu. Même si j’imagine que l’auteur Galtan est assez loin de l’auteur Despentes, j’ai senti une certaine exultation de sa part à évoquer la littérature actuelle et les répercussions du media internet : « Il n’avait pas imaginé ce qui allait se passer au début des années 90. Ce premier effondrement. Les crasseux, les incultes et les publicistes, plébiscités par leurs pairs. Il avait honte, rétrospectivement, de ne pas avoir anticipé ce que deviendrait le livre, une industrie un peu plus bête qu’une autre. Vieille rombière outragée, minaudant dans des robes en lambeaux. Ardisson-Canal +-Inrocks. Des ennemis dont on n’avait pas saisi le pouvoir de nuisance » (p. 40). Et à propos des commentaires sur les sites web : « Les commentaires. Cet anonymat crapuleux, litanie d’insultes obstinées, délivrées par des incompétents. Dès qu’il les avait découverts, il avait compris qu’il pénétrait le dixième cercle de l’enfer. Petits discours parallèles, sourds les uns aux autres, tous mis sur le même plan, lapidaires, hostiles jusqu’à l’écoeurement. La médiocrité avait une voix. Les commentaires de la toile. » (p. 41).
Et puis finalement, le personnage de Valentine est celui que je préfère, peut-être, parce qu’il est absolument insaisissable… Ado délurée, amoureuse éperdue, curieuse, convertie : elle est surprenante.

Elisabeth :
20:40:47
Le côté perdu de Valentine la rend attachante et son portrait est moins manichéen que celui des autres.

Elenore :
20:42:05
D’accord avec vous pour Valentine, mais je trouve que la fin vient gâcher ça. On n’y croit pas… J’ai bien aimé le début par contre : Lucie y apparaît assez intéressante comme anti-héroïne : incompétente, « dispensable », invisible, flemmarde, peu sûre d’elle…

Luise :
20:40:41
Oui c’est vrai pour Lucie. Et c’est finalement dommage que le discours de la Hyène vienne détruire cela.

Elenore :
En même temps, j’ai apprécié la construction à plusieurs voix : un chapitre sur deux est raconté par Lucie, un chapitre sur deux s’attache au point de vue d’un autre personnage, jamais le même.

Elisabeth :
20:41:36
Le road-book m’a semblé intéressant pour plusieurs raisons. Tout d’abord le fait de décentraliser l’action dans une autre ville permet de donner du rebondissement au récit et cela fait du bien au lecteur de quitter la grisaille parisienne. De plus, Despentes qui connait très bien Barcelone, nous donne accès à une autre Barcelone que celle que l’on connait initialement avec les jardins de Gaudi, le tapas, la fondation Miro… Dans ce livre, Despentes nous donne accès à une Barcelone alternative que le commun des voyageurs ne connait pas.

Luise :
20:41:50
La multiplicité des voix n’est pas exploitée jusqu’au bout je trouve, quelque chose m’a manqué. J’ai apprécié que le sens des propos puisse se renverser selon si on les lit dans le sens des personnages qui les tient ou dans celui, inverse, de ce qu’on peut supposer appartenir à Despentes (comme dans les propos de Galtan que j’ai cités), car il y a de ce fait une remise en question sans cesse des points de vue. Mais il manque un lien organique entre toutes ces voix, une ligne de fuite commune qui aurait pu, peut-être, trouver son sens dans la fin.
Je te rejoins cependant sur la présence de Barcelone : j’ai aimé qu’un roman français décentre un peu l’intrigue, ailleurs qu’à Paris. Même la partouze est exotique puisqu’il ne s’agit pas de braves bourgeois se dévergondant, mais de pratiques alternatives qui semblent aller de soi.

Elisabeth :
20:43:43
Effectivement, à la fin, on a ce côté très surplombant alors qu’on aimerait connaître le point de vue de Valentine, savoir où est la Hyène, savoir qui est cette fameuse soeur Elisabeth, à quel réseau elle appartient.
Pour ma part ce n’est pas que je n’ai pas aimé le livre, il n’a pas suscité en moi un tel sentiment… Je ne lui ai pas trouvé grand intérêt et il ne laissera pas grand chose dans ma mémoire.

Elenore :
20:41:27
En fait, j’ai eu beaucoup de plaisir à le lire. Plus qu’un bon moment : j’ai vraiment été très accrochée, j’étais pressée de le retrouver… Mais maintenant, je me souviens à peine des noms des personnages… Il ne me reste pas grand-chose de ce roman, quelques semaines après. La fin m’a un peu déçue et a éclipsé le plaisir pris à le lire.

Luise :
20:43:16
J’ai passé un moment agréable, mais il n’est pas à la hauteur de la réputation qui est faite à Despentes. Ce n’est pas un mauvais roman, mais ce n’est pas un roman majeur.

Elenore :
20:47:04
Je crois que ce qui fait la réputation de Despentes et son intérêt indéniable malgré tout, c’est le fait qu’elle parle quand même de choses qui semblent peu évoquées dans le roman contemporain: lesbiennes, précarité, etc.

Luise :
20:48:07
Oui certainement, mais ça ne suffit pas pour faire un roman. Un bon.

Elenore :
20:48:43
Certes !

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