Chronique anti-girly #2 : La pub n’est pas dans son assiette

6 janvier 2011
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Utiliser toujours la même vaisselle depuis son mariage, mieux, celle de Grand-Mère – disparue trop tôt – c’est être à la pointe, et de l’économie et de l’écologie. Même, avec un peu de chance – si la famille a du goût –, c’est être indémodable. Non seulement on dépense intelligent, mais on ne jette pas à tort et à travers. Pas de gaspillage, c’est bon pour le porte-monnaie et pour l’air ambiant. En plus, la vaisselle qui a fait ses preuves, c’est une valeur sûre. Et les valeurs sûres, en ce moment, c’est rare, donc précieux.

« C’est les assiettes de Mamie ? Elle mangeait dedans quand elle était pas morte ? »

Pourtant – ô étrangeté du monde – qu’entend-on régulièrement sur la bande FM depuis bientôt deux ans ? L’exact contraire. Avoir fait ses preuves devient avoir fait son temps, être économe être radin, écolo ringard. Pardon, ringarde. La campagne publicitaire pour les Arts de la table le martèle : « Les arts de la table, c’est comme la mode, c’est bien quand ça change »[1]. Et là – ô XXIe siècle, où donc es-tu passé ? – pan, dans les dents ! La ringarde, c’est Bobonne – bonjour les années 60 ! – et Julot, un pauvre type pas fichu de mettre le couvert, qui ne s’adresse jamais à son épouse que pour critiquer.

« Tout est tellement in, chez Jacqueline ! Ah, c’est sûr, sa vaisselle, ça calme… »

À l’heure où Mad Men conquiert le monde, on apprécie l’ironie. Canular ? Second degré ? Hélas non. En quelques trente secondes, la femme – évidemment mariée – est réduite à la ménagère. Mauvaise, qui plus est. Pourquoi mauvaise ? Elle ne sait pas s’habiller ? Si, si. On vante même les mérites de ses robes. Elle ne sait pas cuisiner ? Si, si. On s’est régalé. Elle ne sait pas tenir sa maison ? Si, si. On trouve son intérieur charmant. Mais tout cela ne suffit pas à faire une bonne maîtresse de maison – hello, Betty Draper ! – pour peu que sa vaisselle date un peu, Madame n’est plus qu’une pôv’ tanche.

« Créer un « électrochoc » ». C’est sûr…

© Carin Baer / amctv

Comment le service public peut-il tolérer et diffuser ces spots publicitaires machistes et ringards, eux, pour le coup ? Mystère. Ou presque. Le médiateur de Radio France a bien été alerté par les auditeurs de France Inter, qui s’insurgent également, à raison, contre les spots vantant diamants et foie gras à l’heure où trop nombreux sont ceux qui ne parviennent pas à joindre les deux bouts. Sans compter le machisme inhérent à ces pubs pour bijoux précieux : cette pauvre tache, qui pense encore que ses meilleurs amis sont les diamants, n’a pas trouvé l’homme qui va avec la bague de fiançailles qu’elle convoite. L’interlocuteur n’offre, pour toute réponse, que : « cela rapporte ». Ben, oui, c’est le principe de la pub, en même temps. Mais pourquoi celle-ci ? Le médiateur va plus loin : « Pensez vous enfin que les auditeurs du service public sont si peu armés intellectuellement qu’ils ne peuvent prendre aucun recul par rapport aux 15 minutes de messages commerciaux qui leur sont proposés chaque jour ? Votre message et tous les autres sur le même thème prouvent au contraire que nos auditeurs savent développer des anticorps solides quand cela leur semble nécessaire. » Voilà. Tout est là. Les auditeurs de France Inter seraient donc les plus intelligents, soit les plus aptes à recevoir ce genre de conneries publicitaires, parce qu’il sont capables de « prendre du recul ». En bref, au lieu de râler, il faut au contraire se féliciter de ce que ces spots ne soient pas plutôt diffusés sur TF1 ou Skyrock, où ils auraient, alors, sans doute, des effets désastreux ? Qu’en pense la Confédération des Arts de la Table ? « L’objectif de cette campagne est de créer un « électrochoc » en se moquant avec humour des personnes qui ne changent jamais de vaisselle alors qu’il ne leur viendrait pas à l’idée de ne pas renouveler, en fonction des tendances du moment, leurs vêtements ni les accessoires de mode qu’ils utilisent (sacs, foulards, chaussures…) ! » Tiens donc. Ça ne « leur viendrait pas à l’idée ». C’est dit. Si l’on n’a pas « trente-deux robes », on est « ringarde ». Mais dans quel monde vivent-ils ?

Qui est le pigeon, dans l’histoire ?

On n’a pas un créatif, en 2010 – maintenant 2011 – pour trouver autre chose que casser une bonne femme parce que c’est une bonne femme et se poiler gras en mettant en scène un beauf faire du « tir au pigeon » sur les assiettes ? Une pub qui reproche de n’être pas assez tendance, mais qui joue sur des clichés ressassés, ras des pâquerettes, sexistes comme en 40. On croit rêver. Donc, aujourd’hui, pour vendre, on insulte le consommateur, on le dénigre, lui et sa pauvre vaisselle qui date.

Et si, d’abord, Mamie avait une belle vaisselle, hein ? N’est-ce pas dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ?

[1] La campagne publicitaire pour les Arts de la Table a été menée par l’agence Quelle Belle Journée. Les chanceux qui n’auraient jamais entendu les spots diffusés sur France Inter, Europe 1 et RFM peuvent les découvrir sur la page campagne.

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One Response to Chronique anti-girly #2 : La pub n’est pas dans son assiette

  1. Himont
    6 décembre 2011 at 18 h 08 min

    Faîtes comme moi passez sur France Culture il n’y a pas de pub..Sinon les pub je ne les écoute pasCaroline.

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