#2 Père à la télé ? « Fais pas ci, fais pas ça » vs « Life unexpected »

15 décembre 2010
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Deux séries sur la parentalité diffusées actuellement à la télévision française, deux séries dont le titre même exprime la part de négation qui réside dans le fait d’avoir des enfants.

Life unexpected : vie inattendue.

La polysémie du titre est riche.
Cette vie inattendue, c’est Lux, adolescente, née sous X, qui cherche à prendre contact avec ses parents biologiques afin d’obtenir leur consentement pour son émancipation. Existence inattendue. Grossesse non désirée. D’habitude, on attend un enfant (de même qu’en anglais, we’re expecting a child). Cet enfant-là n’a pas été attendu, du moins pas comme les autres. Lux est bien une vie inattendue.
Une autre vie inattendue est bien sûr la vie de parents à laquelle ni Cate ni Baze ne s’attendait, qui plus est parents d’une adolescente, directement, sans passer par la case couches & biberons, ni même la naissance pour Baze. Eux deux n’ont d’ailleurs partagé que la case conception sur le parking du bal du lycée.
C’est le troisième sens de cette vie inattendue : être le parent d’un adolescent alors qu’on sort soi-même de l’adolescence, alors qu’on estimait faire encore partie de la jeunesse, alors qu’on est tout juste trentenaire. On ne tarde pas à comprendre que grandir est le sujet de la série. Et ce n’est pas un hasard si cet enfant qui va faire grandir ses parents s’appelle Lux, la lumière. Le titre d’origine était d’ailleurs précisément Life UneXpected.

Fais pas ci, fais pas ça.

Le titre n’est pas moins riche de sens.
D’emblée, il fait référence à la chanson de Jacques Dutronc. Si c’est bien à l’âge adulte qu’il chante ces paroles, elles font directement appel à un point de vue d’enfant. Le chanteur incarne, le temps du morceau, un enfant qui répèterait, dans un tournis mécanique à donner le vertige, toutes les phrases qu’il entend à longueur d’années jusqu’à l’âge adulte. Le monde de l’enfance, c’est le monde des interdictions. Tout ce que l’on n’a pas le droit de faire. Vivement la majorité !
La série Fais pas ci, fais pas ça dément cette logique. Au générique, tous les personnages, petits et grands, entonnent un play-back sur la voix saturée de Dutronc. Bienvenue dans la vraie vie : les interdictions ne s’arrêtent pas à l’âge adulte. Fais pas ci, fais pas ça, c’est aussi tout ce que pères et mères ne peuvent, ne doivent pas faire, justement parce qu’ils sont parents.

Point commun entre les deux séries : on ne s’attendait pas à ça. La vie de parents, ce n’est pas ce qu’on croit. Pour autant, le même rôle n’est pas dévolu au père dans les deux cas.

Le père attardé.

Dans la série américaine, les parents enchaînent les erreurs et les bêtises. Pas étonnant, la parentalité leur tombe dessus, à retardement, seize ans après. Ce qui est plus étonnant – ou pas – c’est qu’à chaque fois, le père et la mère s’en sortent selon le même schéma. Baze, tout lui est pardonné ; Cate n’est qu’une mauvaise mère. Ne devraient-ils pas bénéficier de la même indulgence ? Non. Baze a toutes les excuses car il ne savait pas. Cate a froidement abandonné son enfant (qu’elle ait eu seize ans elle-même à ce moment-là n’est qu’un détail). Même lorsque le faux pas ne concerne en rien l’enfant, c’est encore la même chose. Sous le coup de l’émotion, Baze et Cate font une petite rechute et couchent ensemble, un soir. Là où deux adultes sont responsables, Cate devient la vilaine parce qu’elle est en couple, Baze le gentil car il ignorait la chose. Méconnaître la réalité du monde ferait-il de l’homme un bon père ? Tout le monde semble oublier que Baze n’est rien moins que l’ancien ado crétin qui, un soir, a mis en cloque une lycéenne avec laquelle il aurait eu honte de s’afficher le lendemain. Seize ans plus tard, personne ne lui en veut, à part Cate, et encore, gentiment. Le père n’est qu’un ado attardé, qu’on n’estime pas encore assez mûr pour comprendre ou prendre ses responsabilités.

Le père fragile.

Il en va tout autrement dans la série française. Qu’on soit chez les Lepic ou chez les Bouley, toute la famille dépend du père. Papa est muté en Chine, toute la famille doit le suivre, de gré ou de force. Papa n’a pas de travail, c’est la fin du monde ou alors il doit prendre un congé parental et s’occuper de toute la maisonnée. D’ailleurs, on fait des choses dans son dos. Maman décroche un job, Maman n’ose pas lui dire qu’elle préférerait qu’il n’assiste pas à l’accouchement, Maman demande aux enfants de faire des efforts avec Papa. Il faut ménager Papa. Maman, elle, est forte, elle assure, qu’elle bosse ou qu’elle soit femme au foyer, elle a les épaules solides. Elle accouche même à la maison, entre femmes, comme autrefois, parce que rien ne lui fait peur. Ce qui est intéressant dans cette conception de la famille, c’est la vision nouvelle du père. Le père est fragile. C’est paradoxalement cette responsabilité écrasante de la parentalité qui le rend fragile. Être responsable, ce n’est pas facile. Et si ce n’est pas facile pour les femmes, ça ne l’est pas plus pour les hommes. Ici, les scénaristes inversent la donne traditionnelle. La femme n’est pas une petite chose fragile, d’accord. L’homme n’est pas non plus cette montagne de muscles – et de cervelle – résistante à toute épreuve. Le père a des doutes, des angoisses, des émotions à gérer, lui aussi.

Indépendamment de leur parti pris, les deux séries sont de qualité et interrogent intelligemment la fonction parentale, en partant d’une évidence : ce n’est pas simple. Mais surtout en ajoutant une ouverture : chacun fait ce qu’il peut et, de toute façon, il n’y a sûrement pas une façon de faire. Le pari est réussi. Les personnages sont attachants et les scénaristes habiles. Fais pas ci, fais pas ça a d’ailleurs réuni 4,5 millions de téléspectateurs fin novembre.

La saison 1 de Life unexpected est diffusée sur Canal + Family le mercredi matin (+ rediffusions).
La saison 3 de Fais pas ci, fais pas ça est diffusée sur France 2 le mercredi soir (+ VOD).

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