#2 La Paternité dans l’art occidental chrétien

15 décembre 2010
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Le sacrifice d’Isaac, Ghiberti, 1401, Musée du Dôme, Florence

La maternité est l’un des principaux thèmes de l’Art, un sujet sans cesse renouvelé, comme l’attestent les nombreuses Vierges à l’enfant qui peuplent les cimaises, mais qu’en est-il de la paternité ?

Qu’on se rassure, la figure paternelle n’est pas en reste.

La ligature d’Isaac [1]

Le sacrifice d’Isaac, Rembrandt, 1635, Musée de l’Hermitage

Les textes sacrés, première source d’inspiration des artistes, regorgent d’histoires, plus ou moins dramatiques, qui mettent en scène la figure paternelle. Ainsi en est-il de la ligature d’Isaac. Voici un thème de choix pour illustrer toute la complexité des rapports père-fils : Abraham est prêt à sacrifier son unique enfant à la demande de Dieu, qui entend tester sa loyauté. Ghiberti ou Rembrandt insistent sur l’aspect religieux de la scène – l’agneau est prêt à être substitué au fils chez le premier, l’ange arrête la main d’Abraham chez le second –, alors que Le Caravage dans son Sacrifice d’Isaac le fait passer au second plan. Il fait quasiment disparaître tous les éléments traditionnels de l’iconographie religieuse : si l’ange est bien présent, ses ailes sont quasiment invisibles. Ce qui intéresse le peintre, c’est la dimension humaine du drame. Son attention se porte sur la figure du jeune homme hurlant de terreur et d’incompréhension devant le geste de son père. Que va-t-il en être des rapports entre le patriarche et ce fils qu’il était prêt à envoyer à la mort ? Le regard d’Isaac témoigne de toute la rancœur qu’il éprouve vis-à-vis de son père.

Le sacrifice d’Isaac, Caravage, 1602, Musée des Offices

Dieu le Père

Grande Pietà ronde, Jean Malouel, vers 1400, Musée du Louvre

Dans la peinture religieuse, majoritaire en Occident durant les temps modernes (XVe XVIIIe siècles), c’est bien sûr le rapport Dieu-Jésus qui est exemplaire de la relation père-fils.

À côté des images qui montrent Dieu dans toute sa puissance, d’autres thèmes se développent qui insistent sur son humanité, notamment par le biais de la représentation de ses sentiments paternels. C’est le cas de la « compassion du père » qui le peint soutenant le corps de son fils tout juste descendu de la Croix : le geste de présentation solennelle traditionnel se transforme en un tendre soutien tandis que le visage divin trahit une infinie tristesse, voire se couvre de larmes. Cette iconographie, utilisée notamment par Jean Malouel, vers 1400, ne s’appuie sur aucune source textuelle. Elle se développe au moment où l’Église cherche à se rapprocher de ses fidèles : elle cherche à émouvoir les spectateurs en faisant appel à leurs sentiments pour leur permettre de prendre conscience du drame de la crucifixion à travers la tristesse de Dieu.

Vierge ouvrante, XVe siècle, Musée national du Moyen-Âge, Hôtel de Cluny

La question de la nature divine de Jésus renvoie à celle de la Paternité de Dieu. C’est à cette question que tente de répondre une série de Vierges ouvrantes abritant en leur sein une représentation de Dieu le Père tenant le Christ en croix. Le sens de ces groupes est à chercher dans les écrits d’un théologien allemand, Johannes Marienwerder, qui évoque la naissance de Jésus par le Père sans la Mère et par la Mère sans le Père (si Jésus est le fils de Dieu, il n’a pas de mère, s’il est le fils de Marie, il n’a pas de père, s’il est Dieu, il n’a ni père ni mère). C’est donc bien la paternité, ainsi que la maternité, qui sont au cœur de la réflexion qui a présidé à la réalisation des ces œuvres.

Joseph le nourricier

Il ne faut pas oublier non plus la représentation du père nourricier de Jésus, Joseph de Nazareth, qui connaît également une évolution. Durant tout le Moyen-Âge il est représenté légèrement en retrait par rapport à Marie et à Jésus. Il est comme étranger à l’enfant qui se trouve sous ses yeux. À partir du XVIe siècle les artistes peignent plus volontiers Joseph avec l’enfant Jésus. Ainsi, Guido Reni montre-t-il l’enfant dans les bras de son père nourricier en train de jouer avec la barbe de ce dernier qui le regarde avec tendresse. La représentation de l’attachement paternel de Joseph est un moyen de traduire l’humanité des personnes de l’Histoire Sainte et, ainsi, de les rapprocher des croyants.

Une iconographie en déclin

Saint Joseph avec l’enfant Jésus, Guido Reni, 1635

Depuis deux siècles, les sujets picturaux deviennent plus profanes. Le nombre de croyants décroît et le besoin d’un référent paternel rassurant est moins indispensable. La représentation de Dieu et de la sainte famille évolue donc, jusqu’à quasiment disparaître. C’est la figure du Crucifié, symbole de la souffrance de l’humanité, qui prévaut. Lorsque Dieu est représenté – rarement –, il l’est plus volontiers seul, comme par exemple chez Rouault.

Ne reste plus maintenant qu’à se mettre en quête des figures paternelles accrochées sur les murs de nos musées… et n’oubliez pas le guide !

Pour compléter, je vous conseille Dieu et ses images, François Boespflug, Bayard, 2008.

***

[1] Épisode plus connu sous le nom de sacrifice d’Isaac.

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