#1 Coney Island Baby, un album BD de Nine Antico.

3 décembre 2010
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Les premières pages de Coney Island Baby ouvrent sur deux jeunes femmes qui veulent devenir playmates pour Playboy. Hugh Hefner, voulant vérifier qu’elles sont bien sûres de vouloir faire ce métier, leur raconte alors la vie de deux icônes : Bettie Page, la pin-up par excellence, qui, encore aujourd’hui, influence de nombreux artistes, et Linda Lovelace, la star de Gorge profonde (Deep Throat), l’un des tout premiers films pornographiques américains, qui créa la polémique en mettant en scène une fellation.

Au fil de l’album, le lecteur navigue donc des années 50 aux années 70, à la découverte de ces deux stars qui ont marqué l’histoire des médias, d’une part, l’image de la femme, d’une autre.

Rencontre avec l’auteur : Nine Antico.

Nine Antico © Hélène Giansily

Marguerite Tournesol : Pourquoi ce titre, Coney Island Baby ?

Nine Antico : C’est un endroit de New York qui est très nostalgique en soi. C’est un lieu où il y a une fête foraine qui a brûlé, il y a une atmosphère assez fantomatique là-bas, encore maintenant. Quand j’y suis allée, j’ai beaucoup aimé le côté populaire. Et en fait il se trouve que Bettie Page a vécu à New York à plusieurs moments de sa vie. Elle allait souvent se balader à Coney Island et c’est là qu’elle a rencontré Jerry Tibbs, le photographe avec qui elle a travaillé en premier, qui était un Noir, qui était policier et qui s’entraînait sur la plage. C’est le photographe qui l’a influencée pour se couper la frange, qu’elle n’avait pas au début. Il me semblait que, pour Bettie Page, c’était un élément clef de sa personnalité. Le titre est aussi lié à la chanson de Lou Reed, une chanson que j’adore, très nostalgique. J’aime bien ce que ça évoque comme atmosphère, un peu triste, un peu fantôme. C’est plus pour la sonorité. Ça ne me déplaît pas que ça n’évoque rien de particulier, mais plutôt une ambiance.

Je prends des ingrédients qui sont réels et je fais ma recette à moi.

MT : Quand on lit Coney Island Baby, on se rend compte que c’est un album très riche. J’ai appris beaucoup de choses. Tu t’es énormément documentée sur le sujet ?

NA : Oui, j’ai lu tout ce qu’avait écrit Linda Lovelace. Ses premiers bouquins étaient complètement commerciaux écrits par des mecs du marketing dans sa période porn star. C’était « oui, j’adore le cul » et des trucs un peu graveleux, qu’elle n’avait pas écrits elle-même. Et ensuite, elle a fait deux voire trois autobiographies, où elle allait toujours plus loin dans le côté « si j’ai fait ça, ce n’était pas 100% ma volonté ». En reniant son passé, elle a été toujours plus loin dans ses autobiographies. Et c’était écrit à chaque fois avec un journaliste. Donc il y a pas mal de matière sur elle, écrite par elle. Bettie Page a une biographie autorisée, qui est sortie en 1996, écrite par deux journalistes qui ont travaillé avec elle. Il y en a une, non autorisée, qui est très bien aussi parce qu’elle n’est pas pour autant à chercher le scandale. Par exemple, la période à laquelle elle se met à la religion est complètement passée à la trappe dans la biographie autorisée. Alors que c’est prouvé, qu’il y a des photos d’archives de quand elle s’est faite arrêtée par les flics. J’ai essayé de recouper un peu. Mon but, c’était de partir de faits réels, mais, après, d’aller chercher des points qui m’intéressaient moi, par rapport à ma sensibilité. C’est remanié. Je prends des ingrédients qui sont réels et je fais ma recette à moi. Ce n’est pas du tout la vérité vraie. C’est pour ça que c’est mentionné au début – c’est aussi pour se protéger juridiquement – il n’y a aucune valeur biographique réelle. Ce qui est flou, c’est que je suis partie de vrais documents. Je suppose que quelqu’un qui fait une vraie enquête se déplace là-bas, confronte les témoignages, etc. Moi, ce n’était pas mon but, je ne suis pas du tout chercheuse sur le sujet Bettie Page et Linda Lovelace. C’est vraiment une œuvre de fiction. La preuve, l’angle d’attaque, c’est deux jeunes filles qui viennent voir Hugh Hefner. C’est complètement inventé. C’est un fil rouge, pour en faire une fable. Parce que j’ai choisi, ouvertement, deux filles dont le parcours est chaotique, or j’aurais pu prendre nombre de filles qui ont fait du cul ou qui ont joué de leur séduction et qui ne se sont pas autant remises en question. D’ailleurs, Marilyn Chambers, une autre actrice porno super importante, la première à avoir baisé avec un Noir à l’écran, elle, elle est restée avec Chuck Traynor (NDLR : ex-mari et ex-manager de Linda Lovelace) toute sa vie. Elle n’est jamais revenue sur son passé en disant qu’on l’avait forcée. Moi, c’était un angle choisi.

Je suis assez obsédée par comment on est en tant que femme, comment on se place, comment on se positionne par rapport à sa séduction.

MT : Pourquoi ce sujet t’a intéressée ? Qu’est-ce qui t’a donné envie de te documenter, de faire cette BD ?

Nine Antico : Parce que dans les sujets auxquels je suis sensible, les questions que j’aime me poser (je pense que je suis dans un cycle et qu’un beau jour, j’aurais dégagé toutes mes réflexions par rapport à ça), c’est vrai que je suis assez obsédée par comment on est en tant que femme, comment on se place, comment on se positionne par rapport à sa séduction, comment on en joue ou pas. Qu’est-ce qu’on choisit vraiment d’incarner sans se poser de question. Et qu’est-ce qu’on est malgré nous. Donc c’était la séduction : comment les femmes en jouent. J’avais envie de partir de femmes qui ont choisi de vivre de leur séduction. Il se trouve que je suis tombée par hasard sur un tout petit papier sur la vie de Bettie Page, où j’ai vu qu’elle avait eu des hauts et des bas, qu’elle avait fini dans la religion et qu’elle avait pété les plombs. Ça m’était resté en tête, j’avais découpé l’article. Peu de temps après, j’avais vu au cinéma un super documentaire qui s’appelle Inside “Deep Throat”, qui racontait tous les aléas du film après sa sortie. Il a été poursuivi, l’acteur a failli faire de la taule, etc. Et on voyait Linda Lovelace. J’ai trouvé son personnage hyper touchant. En me documentant sur elle, j’ai vu qu’elle aussi avait un parcours, qu’elle n’avait pas arrêté de revenir sur ses choix et d’être récupérée. On a l’impression que toute sa vie, elle n’a pas vraiment choisi. Elle était assez manipulable comme fille. On ne sait pas quelle position elle avait elle-même. Qu’est-ce que, d’elle-même, toute seule dans une chambre, elle aurait décidé de faire. Ce que j’ai bien aimé aussi, c’est leur différence de personnalité, avec Bettie Page. C’est-à-dire qu’il y a une fille quand même très affirmée, très intelligente et lucide, qu’est Bettie Page, même si elle penche pour la religion à un moment donné. Sa carrière, elle savait ce qu’elle faisait, c’était choisi. Linda, il y a un gros doute là-dessus. Finalement, ça a un rapport avec leur séduction aussi. Pour l’époque, c’est vrai que les photos que faisait Bettie Page, c’est peut-être aussi l’équivalent de la pornographie dans les années 70. Enfin, les tabous qu’elle franchissait. Même si c’était plutôt des trucs qui circulaient de manière underground. Pour les tabous qu’elles ont franchis, c’est un peu la même notion.

On s’intéressait à l’orgasme féminin.

MT : Et tu penses qu’elles ont, volontairement ou non, apporté quelque chose à la condition féminine ?

NA : Vu les documentaires, je pense que Linda Lovelace a fait s’interroger. Mais elle faisait partie d’un tout. La révolution sexuelle était passée avant. Les féministes américaines ont commencé à émerger à ce moment-là. Elle a fait vraiment partie d’une montée de quelque chose : la sexualité ouverte. On parle de la fellation et du plaisir féminin dans Deep Throat. En fait, le film, en lui-même, a créé une grosse polémique parce que – même sous un scénario complètement bidon et une femme qui a son clitoris dans la gorge – en fait, le postulat, c’est quand même « je veux jouir, j’y arrive pas ». Donc on s’intéressait à l’orgasme féminin. Ça, c’était une première. Je pense que Linda n’avait pas du tout conscience de ça. Elle s’est retrouvée star parce que le film était décalé, humoristique, etc. et pour le sujet. Bettie Page, non, je ne pense pas qu’elle ait contribué à… Enfin, je ne suis pas non plus une référence. Ce n’est pas parce que j’ai écrit Coney Island Baby que je suis une référence en la matière. Mais il me semble que non, parce que c’était plutôt des photos qui circulaient pour un public masculin. Elle est devenue une icône, au moment où elle était, elle, en train de se faire soigner pour ses problèmes psychiatriques. En fait, tout son culte a été une postérité malgré elle. Maintenant, elle a sûrement mis en valeur la femme avec toutes ses formes. Et elle a un côté très épanouie. Mais je n’ai pas l’impression que ça ait beaucoup joué.

Bettie Page est très en avance sur son temps, elle est très moderne.

MT : Dans la BD, tu la présentes de façon beaucoup plus sereine, intelligente, qui sait ce qu’elle fait, qui maîtrise, par rapport à Linda.

NA : On pourrait considérer que Bettie Page est très en avance sur son temps, elle est très moderne. Déjà, elle travaillait avec des Noirs à une période où ça ne se faisait pas du tout. Et puis, effectivement, elle a assumé. Tant qu’elle l’a fait, elle s’en amusait et voilà. Si on regarde son histoire, oui, ça peut être un exemple de femme moderne, en dehors des préjugés. Mais n’empêche qu’elle a pâti, quand les photos ont commencé à circuler, des photos auxquelles les gens n’étaient pas habitués : elle écarte les jambes et on voit son sexe. Elle n’a pas su gérer ça. Après, c’est un modèle de femme, dans le sens où c’est une femme indépendante, qui travaillait, qui était brillante. C’est un peu comme Marilyn Monroe. Elle me fait penser à elle, dans sa fragilité et en même temps son intelligence.

MT : À propos de Marilyn, justement, le livre fourmille d’icônes. On croise Marilyn sur une photo, Joan Crawford, Bette Davis à la télé, pas que des pin-up. L’album est plein de références à des stars. Est-ce que tu peux dire pourquoi ?

NA : Alors, il y a des vraies références. Par exemple, Sammy Davis, elles l’ont vraiment croisé. Bettie Page, j’avais lu qu’elle l’avait croisé dans un taxi. Et Linda Lovelace a vraiment eu une aventure de libertinage avec le couple Sammy Davis et sa femme. Il est connu, comme plein d’autres (Warren Beatty ou Peter Lawford, …) qui traînaient au manoir Playboy, pour son libertinage. J’avais un super bouquin qui parlait des fêtes de Playboy, donc à chaque fois qu’il y a une autre célébrité, j’ai des sources. Je ne me serais permise de faire tailler une pipe par Sammy Davis à Chuck Traynor si je ne l’avais pas lu.

Toute cette époque du théâtre actors studio.

MT : Donc c’est une anecdote rapportée ?

NA : Oui, ça, c’est vrai. Par contre, Bette Davis, c’est juste que ça collait parfaitement avec le sujet de la vieillesse d’actrice, dans Qu’est-il arrivé à Baby Jane. Il peut y avoir tout ce côté malsain.

MT : Et All about Eve ?

NA : Oui. C’est toujours pour Bette Davis qui incarne aussi une femme très indépendante. Oui, ce sont des références à des films que j’aime. Quand les personnages sont actifs, c’est parce que je l’ai lu et parce que ça avait un vrai intérêt dedans.

MT : On voit aussi Un Tramway nommé Désir à un moment donné, une scène avec Stella.

NA : Oui, c’est parce qu’ils étudiaient la méthode Strasberg, enfin Stanislavski. Et puis, c’est le premier film que j’ai vu quand j’avais seize ans, qui m’a fait découvrir le cinéma ensuite. Ça a été une claque de me rendre compte qu’un film en noir et blanc de cette époque pouvait être aussi sexy et aussi glamour et aussi peu vieux. Dans l’album, c’est pour synthétiser toute cette époque du théâtre actors studio où Bettie Page a essayé tant bien que mal de devenir actrice. D’ailleurs, je pense qu’elle n’était pas mauvaise, mais qu’elle avait un réel manque de confiance en elle, qui fait qu’alors qu’on la poussait, elle n’a pas été au casting. Il y a des choses qu’elle ne s’autorisait pas. Peut-être qu’elle était extrêmement lucide et qu’elle savait.

Je baigne dans la littérature, l’imagerie, la photographie américaines.

MT : Toutes ces références, qui apparaissent parfois juste dans un coin de la vignette, créent vraiment un univers. J’ai l’impression d’avoir plongé dans une Amérique de ces deux époques-là. Tu t’en défends, mais il y a un côté presque historique, didactique. On apprend.

NA : C’est cohérent pour moi, dans le sens où et le cinéma et mes références sont beaucoup américains. Je baigne dans ces trucs-là, dans la littérature, l’imagerie, la photographie américaines. En fait, elles me ressemblent. Si j’avais dû faire ça sur le Japon, je n’aurais pas pu. J’ai une culture populaire de l’Amérique assez fluide. Je me suis même rendue compte en allant là-bas, à New York, qu’on est parfois, nous, Européens très portés sur le cinéma et la littérature, beaucoup plus au fait de ces choses-là qu’eux-mêmes. L’américanat a déteint sur nous, et moi complètement. Le rêve américain en soi, c’est un truc qui me fascine.

MT : Dans tes dessins, il va y avoir des moments où on retrouve une photo de Bettie Page qu’on est persuadé d’avoir vue.

NA : Pour toutes ses séances de pose, il y avait tellement de matière que j’étais obligée de partir des vraies photos. Parce qu’elles sont sublimissimes. En plus, elle a vraiment sa façon de poser. Ça faisait partie de l’imagerie. Pourquoi inventer alors que les photos sont si géniales. Pour toutes les séances de pose, je me suis basée sur les documents d’époque. Après, quand je la fais bouger, parler, ça, c’est dans ma tête.

Sur la plage de Coney Island, Jerry Tibbs vient de créer la frange de Bettie Page.

Bettie Page avait vraiment cette juste dose d’innocence et de coquinerie et de naturel.

MT : J’ai l’impression qu’entre les deux, ton dessin change un petit peu. Il y a vraiment un respect, une fidélité des images qu’on connaît et, lorsque c’est ta Bettie Page à toi que tu fais avancer dans la rue, le dessin est plus naïf peut-être. Elle est moins sculpturale en tout cas.

NA : Quand tu reproduis les photos, il faut vraiment montrer ce qui faisait la différence entre cette fille et les autres. Je le raconte dans un chapitre où les mecs sont fascinés. Elle avait vraiment cette juste dose d’innocence et de coquinerie et de naturel. Elle savait exactement se positionner, mettre en valeur chaque partie de son corps. Elle avait un vrai art de la pose. Comme maintenant, effectivement, certains mannequins dégagent quelque chose. Kate Moss, chacun peut avoir son avis sur elle, mais assez unanimement, on trouve qu’elle a un truc. Pour Bettie Page, sur les photos, c’était important que le côté sculptural, la pose naturelle et en même temps très contrôlée transparaissent. Après, quand je la fais marcher, parler, ce n’est pas la même chose que j’ai envie de mettre en avant. D’ailleurs, je l’ai souvent mise en robe quand elle est dans son quotidien, or elle était beaucoup plus trousers/chemise. Moi, ça m’intéresse plus, visuellement, qu’elle soit dans une ligne. Mais elle était beaucoup plus casual, elle ne jouait pas tant de ce côté-là. D’ailleurs je n’ai pas réussi à savoir, dans les bouquins, si on la reconnaissait dans la rue. C’était une très belle femme, c’est sûr. Mais peut-être qu’elle était anonyme.

Linda Lovelace est assez normale comme fille. C’est juste qu’elle a fait des trucs publics.

MT : Dans l’histoire de Linda, tu montres bien le fait qu’elle renie son passé, mais tu prends à peine parti, tu n’essayes pas de vérifier si elle le renie parce qu’elle en a honte ou parce qu’elle a vraiment été forcée.

NA : Tout le monde se doutait que Chuck avait carrément le dessus, qu’il la maniait, mais elle avait l’air d’apprécier ça. Et surtout, sur les tournages, elle était vraiment réputée pour être bien hard. Du coup, quand elle a sorti son bouquin où elle revenait là-dessus, les gens dans le métier ont pris ça un peu à la rigolade.

À travers ses bouquins, à plein de moments, tu as envie de lui dire « mais attends, si t’es pas contente, pourquoi tu te casses pas de là ? et pourquoi pas là ? et pourquoi pas là ? » Ses autobiographies ont un côté très Dickens, misérabilistes à mort. Et, en même temps, des portes de sortie, elle en avait quand même pas mal. Je pense qu’elle avait un tempérament assez faible. Ce qui est vrai, par contre, c’est qu’elle n’a jamais refait de porno après Gorge profonde. Elle a refait des films érotiques, mais pas porno. Elle a vraiment essayé d’aller vers le mainstream, ce qui a complètement échoué. Et puis, elle a même posé de nouveau pour un magazine érotique, alors qu’elle avait été embringuée dans le mouvement féministe. Dans le documentaire, on la voit hyper amère contre les féministes, parce qu’elle dit que, pour elles, elle a été un symbole, elles ont utilisé son nom et qu’elle n’a jamais touché un rond. Et tu la vois très misérable, cette femme, parce qu’elle est dans la merde financière et tu sens que ce qui l’embête le plus avec les féministes, malgré le rôle qu’elle a joué et la croisade anti-porno, c’est qu’elle n’a pas touché un rond dessus. C’est pour ça qu’elle a dû reposer. Elle se sabote elle-même. Quand tu la vois partir dans cette cause féministe, tu te dis que c’est peut-être ça son truc. Et puis non. C’est triste, en fait. Elle se met un manteau de fourrure et ensuite elle se fout dans la boue avec, quoi.

MT : Elle est sans doute moins intelligente que Bettie Page ?

NA : Oui. C’est une faiblesse ou un manque de détermination, d’assurance aussi. Elle est assez normale comme fille. C’est juste qu’elle a fait des trucs publics.

MT : C’est l’une des toutes premières actrices porno. Aujourd’hui, c’est une industrie qui roule, mais à l’époque, ça ne devait pas être facile à gérer.

NA : C’est vrai qu’à l’époque, ils ne faisaient pas ça pour la thune. C’était pour participer à un mouvement, une franche rigolade aussi, et puis pour être contre quelque chose. C’était une façon de dire merde à toutes les années 50-60. Ce n’était pas du tout un marché industriel.

Poses, Clothes and Expression.

MT : À un moment donné, tu parles de la règle de trois de la pin-up.

NA : Ça, c’est vraiment le photographe, un des mecs qui venaient souvent aux séances photos, qui disait ça de Bettie Page. En anglais, c’est Poses, Clothes and Expression. Et elle, elle avait ça. Clothes, parce qu’elle faisait elle-même ses costumes.

MT : En fait, elle posait dans des séances où plusieurs photographes venaient ?

NA : Oui, ça se passait comme ça. C’étaient des espèces de clubs un peu privés où il pouvait y avoir autant un étudiant d’Harvard qu’un camionneur. Tu venais avec ton appareil photo, ta pellicule et chacun faisait ses photos. Et Bettie, c’était la plus réclamée de toutes.

MT : Dans ton album, on voit qu’ils photographiaient tous en même temps.

NA : Oui. Après, elle a fait des séances toute seule. Par exemple avec LA photographe féminine qui était une ancienne mannequin et qui a fait des photos hyper connues avec elle. Mais la plupart du temps, 90% des photos qui tournent d’elle, c’étaient des séances de photographie amateurs.

MT : N’importe qui pouvait se proposer pour faire des photos ?

NA : Oui. C’était comme un distributeur de bonbons. Tu venais avec ton appareil photo et tu repartais avec des photos.

Tant, qu’on réfléchit, la première année, c’est vraiment un truc où on essaie de résoudre des équations dans sa tête.

MT : Tu dessines avec quoi ?

NA : Avec un stylo Rotring. C’est comme les stylos d’architecte, avec des pointes très très fines. Et il y a plusieurs épaisseurs. C’est de l’encre de Chine.

MT : Tu utilises une technique que j’aime beaucoup où tu mets souvent un personnage au centre d’un halo noir. Les cheveux de Bettie se détachent alors juste avec un liseré blanc.

NA : Oui, alors j’ai compris vers la fin qu’il faudrait peut-être que je passe à un feutre plus gros. Après sur ordinateur, j’aplanis bien le noir parce qu’il y a de petits trous de blanc. C’est hyper chiant comme truc. Pour nettoyer les deux cents pages, ça m’a pris un mois complet.

MT : Et pour faire l’album en entier, tu as mis combien de temps ?

NA : J’ai bossé dessus pendant trois ans. Et si je compte l’année où je n’ai fait que lire, quatre ans en tout et pour tout.

MT : C’est un sacré travail.

NA : Oui. C’est un sacré boulot. Tant que ce n’est pas vraiment installé, qu’on lit, qu’on réfléchit, la première année, c’est vraiment un truc où on essaie de résoudre des équations dans sa tête et on ne sait pas comment on va bien le mener. Mais une fois que je rentre dedans, c’est vraiment chapitre par chapitre que je me fais plaisir. En même temps, je ne pouvais pas m’empêcher de me dire : « il reste 180 pages », « il reste 120 pages ».

MT : Parce que tu avais ton scénario page par page ?

NA : Oui. Je ne savais pas exactement comment j’allais terminer, mais je savais la répartition par chapitre. En fait, au début du cahier, j’avais plein de notes, et ensuite, le story board et le texte.

Storyboard de la séquence de la frange

Le burlesque ? Autant dans l’esthétique que dans le second degré, je trouve ça nettement plus intéressant que le strip-tease pur et dur.

MT : La Question du mois porte sur le burlesque. Que penses-tu de cette mode ?

NA : C’est chouette d’allier l’humour à tout ça. Ce que j’avais apprécié, avec le film Tournée, c’est que les actrices disaient que c’était d’abord des femmes qui se faisaient plaisir à elles. Et qui s’amusent. Les choses ne sont pas dirigées pour les hommes. Autant dans l’esthétique que dans le second degré, je trouve ça nettement plus intéressant que le strip-tease pur et dur. Autant pour les corps que ça met en avant, qui sont plus variés, que pour le côté humoristique et décalé.

MT : Et le fait qu’aujourd’hui, on trouve des cours qui ouvrent un peu partout ? Le fait que madame Toutlemonde peut aller prendre des cours.

NA : C’est une mode. C’est super, mais madame Toutlemonde n’a pas besoin d’attendre qu’il y ait des cours payants pour s’amuser. Je pense que c’est du marketing.

MT : Et pourquoi n’a-t-elle pas besoin d’attendre des cours payants ?

NA : Ça joue vraiment sur un côté personnel, je ne vois pas trop comment on apprend à rigoler avec soi en se mettant en valeur. C’est plutôt un truc personnel. Je pense qu’il y a vraiment une valeur marchande, là. Autant, les spectacles, je trouve ça rigolo. Autant, payer pour apprendre ça, ça ne me concerne pas des masses.

Il n’y a pas que cette façon d’être féminine.

MT : Tu penses que tout le monde peut faire du burlesque ? Tout le monde peut être une pin-up en travaillant son corps, son image ?

NA : Il n’y a pas à être une pin-up. À l’image de votre magazine, toutes les femmes ne sont pas pareilles. Je ne sais pas si je ne me sentirais pas plus con qu’autre chose avec des trucs à fanfreluches. Je trouve ça marrant à voir. Ensuite, est-ce que j’ai envie de rentrer dans le moule, un moule de femme pin-up. Il n’y a pas que cette façon d’être féminine. Lauren Bacall et Bette Davis n’avaient pas à jouer les pin-up. Donc, ça dépend des goûts et des couleurs. Je trouve ça marrant, mais tout le monde n’a pas à faire ça.

MT : Et tu penses que c’est féministe ? Que le burlesque peut avoir une dimension féministe ?

NA : Dans le sens où c’est d’abord s’amuser pour soi, ce n’est pas complètement orienté par le regard de l’homme, ce n’est pas donner à un regard masculin type le truc type qu’il attend, oui. En tout cas, c’est plus indépendant. Ce sont d’abord des filles qui s’amusent, enfin des gens qui s’amusent. Après, ça reste un spectacle où une femme se met en valeur. Ça fait partie de la séduction. Chacun s’habille comme il veut. Moi, les fanfreluches, peut-être pas, mais, des fois, j’ai envie de séduire, et je vais mettre une robe, avec du rouge à lèvres et tout ça. Donc oui, je pense qu’à partir du moment où ce sont des femmes qui se marrent et qui ne font pas un truc pour, en numéro 1, le regard de l’homme, eh bien oui, ça peut être féministe.

Girls don’t cry.

MT : Tu as sorti plus récemment un autre album, Girls don’t cry. Peux-tu le présenter ?

NA : Alors c’est en couleurs et ce sont des saynètes d’une page autour de trois personnages récurrents, dont principalement, la jeune fille blonde, Pauline. À la base, j’avais travaillé pour le magazine Mutine, pendant un an, donc douze pages, où j’avais publié les déboires et les épisodes de vie d’une jeune fille qui a entre 14 et 18 ans.

MT : De nos jours ?

NA : Oui. Tout en gardant une esthétique rétro.

MT : Avec la frange à la Bettie ?

NA : Oui. Simplement parce que c’est revenu très à la mode depuis cinq, six ans. Comme c’était un magazine pour cette tranche d’âge, j’ai un peu usé ces codes-là. Moi-même, je pense que j’ai eu la frange cinq mille fois dans ma vie. Les douze premières pages sont parues dans Mutine. Ensuite, j’ai arrêté ma collaboration avec eux et j’ai proposé à Glénat de continuer et d’en faire un album. Parce que ça m’amusait. J’aime bien la contrainte de faire un truc en une page et qu’il y ait une histoire malgré tout.

Quand on est une jeune fille, ce ne sont pas des questions que l’on se pose : « est-ce que je suis féministe ou pas ? »

MT : Y a-t-il une dimension féministe par rapport à la jeune fille, l’adolescente ?

NA : Non, pas du tout. Je pense que, quand on est une jeune fille, ce ne sont pas des questions que l’on se pose : « est-ce que je suis féministe ou pas ? ». Après, dans l’époque à laquelle on vit, on sait très bien qu’on n’a pas envie de faire comme nos mères, nos grands-mères, d’être une femme qui fait passer son mari et ses enfants devant tout ; ça, c’est certain. En dehors de ça, je ne pense pas qu’on soit très éveillée sur la question. On ne sait même pas qui on est comme genre de femme.

MT : Pourquoi l’album s’appelle-t-il Girls don’t cry ?

NA : C’est en référence à Boys don’t cry de Cure. C’est plutôt pour ce qu’on imagine que ça veut dire. Ce sont des filles qui ont un comportement un peu téméraire, très spontané, qui jouent un peu les dures à cuire dans les sentiments, et qui se prennent aussi beaucoup de portes dans la gueule. Et puis la chanson est géniale, elle a un côté pop. Ce qui est sympa avec un titre qui fait référence à une musique, c’est que ça évoque quelque chose dans la tête, tout de suite. Ce qui n’est pas permis avec un titre qu’on aurait inventé. En anglais, il y a des mots comme ça, hop ! ça évoque quelque chose. C’est un pouvoir très fort.

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