#1 Je bande donc je suis, épisode 1 : Kant et la masturbation

15 novembre 2010
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« Masturbe-toi, le ciel te masturbera ».

Telle est la formule qui ne résume pas la position d’Emmanuel Kant (1724-1801) quant à la question éthique de la masturbation. «Le ciel étoilé au-dessus de moi» en effet, est l’horizon eschatologique de l’accomplissement éthique dont la masturbation est la stricte antithèse. Il s’agit bien, en effet, pour le célibataire de Königsberg de souligner que cette caresse génitale que tant (tous ?) se prodiguent, ressortit à une certaine disposition non-éthique et même anti-éthique propre à subvertir le principe même de l’humanité.

Que veut dire se masturber ?

La Doctrine de la vertu, texte de 1797, est à ce sujet on ne peut plus clair : il s’agit d’un crime moral, plus grave encore que le suicide, en ce qu’il contredit « le plus haut degré de la moralité » ! Que faut-il entendre par un tel anathème ? Nous ne gloserons pas sur le rigorisme protestant de Kant. L’économie de l’œuvre pratique fournit de suffisants éclairages. Se donner à soi-même du plaisir est une manière de transgresser la finalité ultime de l’humanité en ce que ce geste opère l’effacement de l’être humain comme fin et son remplacement par une entité qui n’est que moyen. En d’autres termes, l’homo masturbator est celui qui s’utilise soi-même en vue du plaisir qu’il espère se donner. Il transgresse ainsi l’impératif catégorique qui commande d’ agir « de façon telle que l’on traite l’humanité, aussi bien dans sa personne, que dans la personne de tout autre , toujours en même temps comme fin, jamais simplement comme moyen »  (nous soulignons). Crime contre l’humanité.
Partant, dans l’acte masturbatoire, seul mon sexe est objet de mon désir, nullement ma personne prise lato sensu dans sa spécificité d’entité éthique irremplaçable, donc absolument respectable.

Un sexe existant pour lui-même.

Tout se passe ainsi comme si l’attirance pour mon propre sexe était le fait d’une autonomie monstrueuse de ce sexe : un sexe existant pour lui-même, commandant la série de mes actes et orientant cette série vers lui seul et sa satisfaction. En 1975, Fréderic Lansac réalisera un film pornographique demeuré célèbre : Le Sexe qui parle. L’intrigue de ce film est involontairement kantienne : Joëlle, publicitaire délaissée par son mari, voit sa libido se réveiller brutalement.

Ce réveil prend la forme d’une autonomisation de son sexe qui se révèle parlant, ne cessant de lui ordonner les actes sexuels propres à le satisfaire. Ce sexe, qu’est-il alors sinon le lieu amphibologique dans lequel la jeune femme se perd comme fin, et n’est plus que le moyen, l’outil aphrodisiaque de la jouissance de son sexe doué de volonté. On voit alors à quel point les sex toys sont les produits d’un imaginaire sexuel parmi les plus pauvres : le kantisme subreptice du film de Lansac nous introduit au contraire à une perspective au sein de laquelle la réalité transgressive de la masturbation est l’objet du plus troublant accomplissement du plaisir : Joëlle n’est autre chose que le sex toy haletant de son sexe souverain.

Lectrice, lecteur, je te souhaite bien du plaisir, solitaire ou pas.

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